Mercredi 3 juillet / 2

7 minutes de lecture

Charlotte

Y a un truc qui cloche et je ne sais pas quoi. Une carotte dans une main et l’économe dans l’autre, le regard perdu dans le vague, je repense à certaines phrases, certaines attitudes, certains souvenirs. Des mots me reviennent en tête, comme des flashs et plus j’analyse et plus j’ai le sentiment que…

Non, je secoue la tête. Cela ne peut pas être ça.

— Mamaaaaaaaaaaaaaan, s’écrie Marion en me secouant l’épaule. Tu rêves ?

— Euh oui, pardon ma puce. Qu’est-ce qui se passe ?

— Je te demandais… demain soir je peux dormir chez Tiph’, ils partent en vacances vendredi et après on s’verra plus pendant six semaines. Steplait… dis oui, dis oui !

— Julie préférerait peut-être que vous dormiez ici, elle a sans doute d’autres choses à faire que…

— Non, mais Tiph’ veut que je l’aide pour sa valise. Et si Julie est d’accord ?

Je m’incline. La connaissant, elle ne refusera pas, surtout la veille des vacances.

Je poursuis la préparation du menu sans perdre de vue mon interrogation précédente. Et lorsque Manu vient m’embrasser pour me saluer, je n’ai toujours pas réussi à passer à autre chose. Il dépose un baiser sur mes lèvres, puis m’observe intensément me demandant s’il y a un problème.

— Je t’avoue que je ne sais pas trop.

Forcément avec une phrase pareille, le pauvre, il ne peut que s’inquiéter, mais je refuse d’entamer cette conversation en présence des enfants. Marion semble bien absorbée par les réseaux sociaux, mais Maxime ne cesse d’aller et venir, me faisant bien comprendre qu’il crève de faim.

— Un souci avec les enfants ?

Je secoue la tête. Il poursuit :

— Toi ? Tes parents ? Ma mère ?

Je continue de mimer la réponse et il soupire :

— On a pas vraiment l’habitude de jouer au devinettes, tous les deux. Qu’est-ce qui va pas ?

Il se penche et me chuchote :

— C’est en rapport avec… le sexe ?

Je hausse les épaules.

— Un de tes…

— Non ! Je dirais plutôt que ça te concerne.

Il ouvre grand les yeux, secoue la tête avant de répéter :

— Moi ? Mais j’ai rien…

Je fixe mes pupilles dans les siennes et attends, comme s’il allait trouver la réponse tout seul sans explication. Mais étonnamment, il ne soutient pas mon regard, me contourne et se sert un verre d’eau. J’enfourne le gratin, puis sors sur la terrasse pour mettre les couverts sur la table, Manu sur mes talons portant les assiettes et les verres. Il se penche vers moi et insiste :

— Tu veux rien me dire ?

— Je crois que c’est plutôt à toi de me dire quelque chose, non ?

Il recule, fronce les sourcils comme s’il réfléchissait à une énigme compliquée, puis se retourne en marmonnant :

— Je vois pas. J’ai le temps de me doucher avant le repas ?

— Emmanuel ! tonné-je.

Je ne l’appelle pas souvent par son prénom et encore moins sur ce ton qui le fait immédiatement stopper. Il se fige sur place, se pince les lèvres, tourne lentement la tête avant de la secouer légèrement.

— Rien, Charlotte… Absolument rien.

— Je ne pense pas, au contraire. Et c’est bien ça qui me ronge.

— Ce soir ?

Oui, ce soir nous parlerons, à l’abri dans notre chambre, une fois les enfants couchés. Je veux savoir ce que je pense avoir deviné et que me perturbe, mais surtout qui mine mon mari.

À la lumière de la lampe de chevet, assise sur la couette, le dos appuyé contre la tête de lit, les cheveux de Manu sur mes cuisses, le reste de son corps allongé sur le dos, son visage tourné vers moi et mes doigts cajolant sa peau, passant de son épaule à son cou, je l’écoute :

— Il n’y a rien eu de plus. Deux malheureux baisers. Sinon je t’en aurais parlé.

— Mais deux baisers qui comptent.

— Sans doute parce qu’il n’y a pas eu le reste.

— Julie est devenue un fantasme inaccessible. Tu n’as pas réussi à te rendre irrésistible, plaisanté-je en embrassant le bout de ses doigts qui me caressent l’ovale du visage.

— Elle est tellement différente de ce que j’imaginais. Je suis tombé de haut… Je pensais vraiment qu’elle était… joueuse.

— Elle a faussé les codes avec une attitude ambigüe.

— Je pense surtout qu’elle ne sait plus comment se comporter autrement que comme une maman. Elle ne demande qu’à éclore mais s’empêche de s’épanouir, restant toujours dans l’ombre de l’épouse modèle et la mère au foyer.

— Ça devrait changer, si elle retrouve son indépendance.

— Oui, peut-être.

— Et tu n’es pas plus enthousiaste que ça ? m’étonné-je.

— Charlotte… C’est devenue une de nos plus proches amies, pour ne pas dire notre seule amie commune.

— Ouais ? Et alors ?

— On a toujours dit en dehors de notre cercle. Et il y a Tim aussi, et les enfants. Non !

— Bon Tim… Laisse-le où il est celui-là ! l n’a même pas été fichu de se protéger.

— Je vais pas lui chercher des excuses, mais une capote déchirée, ça aurait aussi pu nous arriver.

— Il n’empêche qu’il se retrouve avec un mioche fait avec une nana d’un soir. Tu vois que je ne m’étais pas trompée sur lui. C’est qu’un…

Manu pose son index sur mes lèvres et secoue la tête.

— Il a plein de bons côtés, professionnellement c’est une pointure, et humainement… hormis son comportement face à Julie…

— Arrête, plus d’une fois, tu t’es retenu de lui dire ses quatre vérités.

— On est pas d’accord sur certains points, mais ça ne fait pas de lui un mauvais gars. Et pour qu’il ait réussi à séduire Julie…

— C’est ça qui te chagrine ?

— Charlotte, soupire-t-il. Julie est mariée avec lui. Elle m’attire, c’est vrai, mais je ne suis pas amoureux. Ils ont leur vie, nous avons la nôtre, rien ne me chagrine, si ce n’est qu’ils sont en pleine séparation.

— Et tu ne supportes pas de la savoir malheureuse.

Brusquement, il se redresse, se glisse hors du lit et se plante devant la fenêtre de notre chambre, silencieux et le corps tendu. Je m’approche lentement, entoure son corps de mes mains et pose ma joue contre son dos.

— C’est pour ça que tu ne m’en as pas parlé… Parce que c’est plus qu’une attirance. Et que tu ne voulais pas que je m’inquiète.

— Non ! Je… je… j’étais perdu Charlotte, hésite-il. Et encore aujourd’hui, j’avoue que… c’est pas encore très clair.

Il pivote sur lui-même, me prend dans ses bras, m’embrasse amoureusement puis me susurre :

— Mais je t’aime, toi. C’est toi que je veux tous les jours dans mes bras. Je refuse de te faire du mal, ou que tu doutes.

— J’aurais préféré que tu couches et que tu l’oublies, mais on choisit pas toujours, hein, bredouillé-je.

— Les vacances vont nous éloigner.

Je resserre plus mon étreinte, enfouissant mon visage dans le creux de son épaule en disant :

— Tu devrais insister.

Il tente de reculer pour croiser mon regard mais je refuse de m’éloigner.

— Les émotions et les sentiments, tu sais parfaitement que je ne les gère pas… pas comme la plupart des gens. Le sexe, ça oui je connais. J’aimerais que tu couches avec elle pour qu’elle sorte de ta tête.

— J’aurais pu… avant. Avant de la connaître, avant d’avoir ses enfants sous notre toit, avant de travailler avec Tim. Aujourd’hui… je risque de tout bousiller.

— Pas besoin de le crier sur tous les toits. Vous faites votre petite affaire et puis on en parle plus.

— Charlotte, elle n’acceptera jamais et même pour moi, c’est pas…

— Tu as peur qu’elle te repousse ?

— Ça serait pas la première fois. Non, j’ai peur que l’un de nous souffre, si ce n’est pas les trois.

— Ben c’est foutu alors. Tu es mal, parce qu’elle refuse et je suis malheureuse de te sentir perdu. Franchement c’est quoi le risque ? Vous vous éclatez au lit, le lendemain je vais au théâtre avec elle et on passe à autre chose.

Il étouffe un rire dans mes cheveux, répétant que je suis incroyable. Ben quoi ? C’est pas si grave le sexe, si ? Pourquoi ça prend une telle place dans l’esprit des gens. Je me retiens de sauter sur tous les gars que je croise parce que mon éducation me dit que c’est mal et que Manu n’apprécie pas particulièrement, mais sinon… Dans d’autres cultures, les couples ne sont pas monogames, le sexe apporte du plaisir, et ils ne semblent pas plus malheureux que nous.

— Tu veux que je lui parle ?

— Pardon ?

— Ben oui… entre femmes… On se comprend. Si je lui dis qu’elle peut coucher avec toi sans que ça me pose de problème… Elle acceptera peut-être.

— Je ne me suis jamais mêlé de tes histoires et tu n’es jamais intervenue. Merci, mais je me débrouillerai. Comment tu l’as deviné ?

— Tu es un livre ouvert, mon amour. Mais si je n’ai rien senti avant leurs embrouilles, depuis, c’est aussi limpide que de l’eau de roche. J’ai failli t’en vouloir, j’aime pas les secrets et tu le sais.

— Je voulais t’en parler, dix fois j’ai essayé… mais pour te dire quoi ? J’ai embrassé notre nouvelle amie ? Je préférais oublier. Julie est tellement mal à l’aise avec cette situation. Elle s’est même excusée de m’avoir embrassé.

Alors là c’est le pompon ! On ne s’excuse pas ! Pas pour ça. Pas comme ça.

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