Lundi 1er juillet

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Charlotte

Je trépigne d’impatience, triturant mon téléphone dans tous les sens, fixant le numéro de téléphone de mon mari, avant de changer d’idée et d’appeler Julie. Autant prendre les informations à la source. Mais elle refuse mon appel. Je grimace et compose le numéro de mon mari.

— Bonjour mon amour, que se passe-t-il ?

— Tu as des infos ?

— Tu ne pouvais pas attendre ce soir ?

— Non. Julie ne répond pas. J’en peux plus d’imaginer. Alors ?

— Alors pas grand-chose. Il a la tête de travers mais côté pro, j’ai rien à lui reprocher.

— Mais je m’en fiche du côté pro. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Charlotte, je peux pas. Pas ici, pas maintenant.

— Enferme-toi dans les toilettes, et raconte-moi !

— Non. J’ai rendez-vous dans cinq minutes. Mais apparemment, ils partent en vacances sans changement.

Je fronce les sourcils. Est-ce que ça voudrait dire que c’est pas aussi grave que ce que Julie pensait ? Est-ce qu’elle lui a pardonné ? Il lui a peut-être juré que ce n’était pas ce qu’elle croyait… Il a peut-être des preuves qu’elle peut continuer de lui faire confiance. Qu’il l’aime…

— On en parle ce soir, Charlotte. Bisous, je t’aime.

— Moi aussi… je t’aime. À ce soir.

Les paroles de mon mari m’ont permis de ne pas me focaliser sur la vie amoureuse de Julie et d’assurer un minimum de mon quotidien, mais dès son retour, je trépigne alors que les enfants l’accaparent. Chacun racontant sa journée. Ça me gêne pas, d’habitude, de passer après eux, mais ce soir, je perds patience. Surtout que dès que je croise le regard de Manu, son manque d’étincelle et sa mine défaite ne me rassurent pas. Heureusement au moment du café, Marion se réfugie dans sa chambre et Maxime sous la douche.

— J’en sais pas beaucoup Charlotte. Tim n’est pas très causant, et au bureau c’est pas le meilleur endroit, mais il ne pense pas qu’elle va passer l’éponge.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Pourquoi il pense ça ?

— Quand un mec dit qu’il est heureux que sa femme n’ait pas broyé ses couilles pour en faire des castagnettes, c’est rarement une bonne nouvelle.

Je ne peux m’empêcher de sourire en imaginant Tim dire ces mots.

— On a déjeuné ensemble et entre deux bouchées il m’a dit que c’était foutu avec Julie.

— Et ? Tu ne l’as pas interrogé ?

— Charlotte ! Non je ne lui ai pas fait passer un interrogatoire. Je suis pas flic et même s’il a des torts, il n’était pas sur le banc des accusés. Elle refuse de tout bousculer, lui a demandé du temps pour s’organiser et comme ils partent en vacances vendredi, elle n’a pas voulu changer leurs projets. Il craint un peu la cohabitation.

— Mais c’est génial ça…

— Ah bon ! Tu trouves ?

— Ben oui, trois semaines en maillot de bain, les corps dénudés, les espaces clos…

— Je ne pense pas que Julie soit prête à se rapprocher. Tim n’y croit pas non plus.

— Ben moi je dis que tout n’est pas foutu. Une histoire de sexe… reste qu’une histoire de cul. Leur amour doit être bien plus fort que ça. Je pourrais peut-être l’appeler demain et…

— Ne t’en mêle pas, Charlotte. Sois présente si elle a besoin de soutien, mais ne t’impose pas. C’est sans doute un peu trop tôt. Faut la laisser digérer. Pas sûr que tes conseils sur un couple et une liberté sexuelle soient bien accueillis.

— Tu ne me fais jamais confiance pour ce genre de truc.

— Parce que je te connais et que je connais un peu la vision des autres.

— Ouais ben si les autres pensaient un peu plus comme moi…

Pour clore la conversation, Manu m’embrasse le bout du nez en me demandant de ne pas changer.

Julie

Allongée sur la méridienne du salon, un magazine sur le marché immobilier entre les mains, je repense à ma journée et aux changements qui sont en train de se mettre en place.

Ce matin, après le départ de Tim, le visage fatigué et cerné, j’ai rangé la cuisine puis appelé mon ancien patron, président d’un groupe de presses, pour voir s’il pouvait me proposer ou du moins me recommander à un confrère, de préférence à un éditeur. Responsable éditorial reste le travail qui me manque le plus et dont j’étais la plus fière. Hormis mon rôle de maman, évidemment.

Monsieur Paitallon a quelque peu bousculé son agenda pour me recevoir encore cette semaine. C’est gratifiant qu’un ancien employeur ne vous ait pas oublié, surtout de nombreuses années après et en plus qu’il cherche une solution à vous proposer.

Puis, je suis sortie faire des courses et j’ai apporté les croissants à mon amie libraire. Après son couplet sur les calories et son fameux régime, elle a écouté attentivement ma demande :

— J’ai rendez-vous demain pour un nouveau travail et avant, j’aimerais m’assurer qu’ici…

— Tu… Vous avez des ennuis d’argent ?

— Christine… Je vais quitter Tim et il me faut un vrai travail.

La pauvre, elle ne s’attendait pas à une telle révélation. Après l’effet de surprise et l’assurance que je pouvais garder ma place ici avec un jour fixe et non plus à la demande, elle a froncé les sourcils et marmonné :

— Je l’ai vu. Il est pas mal, c’est vrai… beaucoup de charme, mais franchement… ça vaut vraiment le coup de tout foutre en l’air ?

— Pardon ? dis-je interloquée. De quoi tu parles ?

— Manu ! Ce n’est pas à cause de lui que tu veux quitter Tim ?

J’ai éclaté de rire. J’étais tellement loin de cette histoire à cet instant que je ne comprenais pas vraiment pourquoi elle me parlait de lui.

— Tim m’a trompé plusieurs fois et la dernière en date…

J’ai encore du mal à prononcer les mots, à imaginer qu’il a eu un enfant… avec une autre. Je respire profondément alors que Christine termine ma phrase :

— Elle s’accroche un peu trop ?

— Ouais… on peut dire ça. Alors franchement le petit bisou échangé avec Manu… honnêtement, ce n’est pas vraiment le problème, et de loin ! On ne change rien et personne n’est au courant pour l’instant. Je te demande donc de rester discrète, mais je ne me vois pas poursuivre ma vie aux côtés d’un homme en qui je n’ai plus confiance et qui n’a plus de désir pour moi.

— Mais tu ne gagnes pas ta vie ici… c’était juste pour t’occuper et t’offrir une sortie de temps en temps.

— J’aime le contact avec la clientèle et j’ai pas envie de m’éloigner de toi.

Elle a fait la moue et semblait ennuyée

— Je ne peux pas augmenter ton pourcentage. Tu connais l’état des finances de la librairie.

— Ce n’est pas ce que je te demande. J’aimerais juste avoir un jour fixe pour pouvoir donner mes disponibilités.

— Evidemment. En fin de semaine de préférence pour moi, mais je peux m’arranger. Et tu as rendez-vous où demain ?

— Avec mon ancien patron.

— Tu vas retrouver ton ancienne place ?

— Non… ça fait bientôt dix ans que je n’ai pas bossé dans une maison d’édition. Il va me falloir un moment pour me remettre dans le bain. Mais si déjà il m’offre un poste le temps que je me familiarise…

L’édition… découvrir de nouveaux talents, coacher les auteurs, lire des manuscrits, s’occuper de la mise en page, chercher des idées pour les couvertures, présenter les fiches à la presse, convoquer les journalistes pour les vernissages… Je ferme les yeux et me remémore de bons souvenirs. Mais des souvenirs intenses avec des journées infernales. Je ne pourrais jamais offrir la même disponibilité que j’avais, avant d’avoir les enfants. Il faut vraiment que je sois très claire sur ce que je souhaite, ce que je peux faire et ce que je veux garder comme liberté. Même si j’ai bien conscience de ne pas être en position pour pouvoir négocier, mais je refuse de m’engager si je ne peux pas assurer après.

Une porte s’ouvre à l’étage, des petits pas descendent l’escalier. J’imagine que Tiphaine vient me dire bonne nuit. Rapidement je cache le magazine immobilier derrière un coussin. C’est encore un peu tôt, mais j’ai besoin de voir la tendance du marché et je refuse de l’inquiéter avant les vacances.

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