Jeudi 27 juin

5 minutes de lecture

Charlotte

Je me réveille, la tête à l’envers. Comme si j’avais bu hier soir. Un sentiment de malaise m’oppresse le cœur et une boule dans la gorge me fait grimacer.

Manu n’est pas revenu et j’ai passé la nuit à me tourner et retourner sous la couette. Inutile de préciser que ma séance avorté par son départ n’a pas connu de finalité et que mon corps oscille encore entre envie et culpabilité.

Je sais que j’ai exagéré… encore une fois, mais d’habitude, il revient et on en parle. On ne s’endort jamais fâchés. Mais ce matin, en arrivant dans la cuisine, je trouve sa tasse dans l’évier et aucun petit mot pour me rassurer. Il est parti à l’aube sans même vérifier que j’allais bien, sans m’embrasser… Sans confirmer que ce soir il rentrerait.

Au début de notre histoire, enfin… après les premiers mois de passion, il nous avait fallu trouver un juste équilibre et surtout que nous acceptions les besoins différents de l’autre. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à consulter un psy, spécialisé dans les maladies sexuelles. Le diagnostic nous a permis de mettre des mots sur mon appétit.

Comme tous les hommes que j’avais croisés dans ma vie, Manu avait été heureux que je ne refuse jamais une séance de sexe, privilégiant même les coups vite-faits à l’arrière d’une voiture ou dans un coin sombre d’une ruelle. Je pense qu’il n’y a pas un seul restaurant de Lausanne qui nous a servi à manger sans que leurs toilettes soient le témoin de nos culbutes. Plus d’une piste de danse a été témoin de nos frottages indécents, de nos baisers langoureux. J’avais souvent ma main dans les poches de ses jeans pour le branler, j’adore le faire à l’abri des regards mais en présence des autres. Et si au début, il était tout aussi friand que moi de ce genre de jeu, quand il a compris que pour moi c’était plus un besoin que juste un jeu, il a fallu trouver quelques trucs. Physiquement aussi, il nous a fallu nous adapter. Le sexe matin, midi, soir et nuit… il n’avait pas mon endurance et surtout il y mettait beaucoup trop de cœur à l’ouvrage. Passant de longues minutes en préliminaire, alors que je ne cherchais que la pénétration. Toujours prête, lubrifiée en quantité… ou au pire un peu de lubrifiant, mais cela ne faisait pas partie de ses habitudes, ni de ce qu’il aimait. J’ai du apprendre à être patiente, il a dû accepter que pour moi le sexe… avec ou sans lui c’est pareil. Je veux juste jouir. Plaisir tout simple, égoïste.

Je voulais un quota d’orgasme quotidien qui ne convenait pas à mon homme. Il voulait de la spontanéité, j’avais besoin d’être rassurée sur sa capacité à me donner du plaisir. Et c’est ainsi que nous avions fini par nous mettre d’accord sur une fréquence régulière et qu’en cas de manque, j’irai voir ailleurs. Il avait compris qu’il n’y avait pas de sentiment, qu’il ne risquait pas de me perdre parce que je ne faisais l’amour qu’avec lui. Avec les autres, je baisais. On ne s’embrassait pas, ou peu, on ne se câlinait pas, on se touchait souvent brusquement, et seul l’orgasme était recherché. Je ne flattais pas leur égo, ils ne cherchaient pas à me séduire.

Manu avait eu un peu de mal au début, il avait même voulu me faire réagir en flirtant avec une jeune voisine de notre immeuble. Mais quand je l’avais encouragé à la baiser il avait changé d’avis.

J’avais craint au début qu’il ne tombe amoureux d’une autre qui ne l’épuiserait pas au lit comme je le faisais mais comme il était tout aussi fou de moi, le sexe n’avait été plus qu’un élément de notre vie, un ingrédient fichtrement important, mais pas le principal. L’amour l’avait rendu moins important. Et Manu avait accepté que je sexe avec d’autres, comme j’irais faire un tennis avec un ami. Les limites qu’il m’avait imposées, et je crois que j’y aurais pensée toute seule, c’était les capotes obligatoires avec les autres et un test régulier.

Nous avions réussi à construire tout un monde autour de nous. Avec la venue des enfants notamment, renforçant encore notre amour.

Mais ce matin j’avais ce goût amer, cette impression qu’une fissure invisible était apparue et que j’aurais bien du mal à la colmater.

— Papa est déjà parti ? me surprend Marion.

— Oui, il avait un rendez-vous tôt.

— On le voit moins ces jours, marmonne mon ado en ouvrant le frigo pour se servir son jus de fruit matinal.

Je ferme les yeux, prête à lui trouver toutes les excuses du monde, mais au final… elle a raison. Obnubilée par mon futur projet, je n’ai pas vu qu’il manquait aux enfants. Un coup d’œil circulaire à l’intérieur de la maison et au jardin me prouve aussi que la maniaquerie de Manu n’est pas présente. Il n’aime pas particulièrement le propre, mais que le salon soit rangé, ça il y tient. Surtout depuis que les enfants sont assez grands pour jouer dans leur chambre. Le salon reste notre pièce de vie, mais je crois que c’est surtout son petit cocon. Il a choisi le canapé et les coussins, la table basse et les tableaux aux murs, tout comme la console ou le meuble télé. Je me suis occupée de la décoration de toute la maison, sauf… le salon. Il le fait sans rechigner, sans même demander de l’aide. À chaque passage, il prend un truc et le range sans que cela ne paraisse être un effort. Alors que ce matin, le linge à repasser trône sur un fauteuil, des chaussettes sont éparpillées un peu partout, un jeu de construction est étalé devant la télévision, sans oublier les coussins tous entassés dans un coin et les miettes du goûter de la veille sur la table, accompagnées des verres sales.

La poussière, il s’en moque, tout comme les bougies dérangées ou les plantes avec des feuilles sèches au sol, mais qu’il puisse profiter de son canapé en rentrant du travail… ça c’était important. Dans le jardin aussi, tout semblait abandonné. C’était souvent lui qui faisait le tour de la maison avant de fermer les volets et il vérifiait toujours que l’eau soit bien fermée et le parasol refermé. Il poussait les chaises et rassemblait les jouets. Il n’est pas comme Julie ou Tim, mais il aime remettre un peu d’ordre.

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