Mercredi 29 mai

4 minutes de lecture

Julie

Je regarde Christine, mon amie et patronne entrer dans la boutique et s’approcher de moi en souriant. Je dois lui dire… à elle, je sais que je peux. J’ai confiance en elle.

En son jugement peut-être pas, nous sommes différentes sur bien des points, mais il faut absolument que je me confie à quelqu’un et je ne vois qu’elle.

J’ai tourné le problème dans tous les sens et je ne vois aucune solution. Peut-être qu’un regard extérieur m’aidera. Elle me fait la bise et sans attendre j’éclate :

— J’ai embrassé un autre homme !

— Quoi ? s’étonne-t-elle.

— J’ai… embrassé un autre homme que Tim ! répété-je paniquée.

— Quand ?

— Je sais plus… il y a quelques jours, quelques semaines… un peu plus d’un mois… Ce n’est pas ça l’important !

— Combien de fois ?

— Juste une fois et c’est largement suffisant.

— C’est qui ?

Je la fixe intensément. La bombe est lâchée, je ne peux plus reculer et elle ne va pas se contenter d’un haussement d’épaule. Mais dans ma tête ça se bouscule, sans que j’arrive à faire la part des choses. Le dire, le prononcer à voix haute rend l’acte encore plus terrible, plus réel. Je sens mon souffle se raréfier, mes mains devenir moites. Je les essuie sur le tissu de ma robe sans parvenir à me calmer.

— Christine, qu’est-ce qui m’a pris ?

— Une pulsion, ça arrive… arrête de paniquer.

— C’est facile pour toi de dire ça.

— Tu dois le revoir ?

— Oui.

— Rien que tous les deux ?

— Non ! Tu es folle ou quoi ? Je n’ai pas une relation, je l’ai juste embrassé !

— Un petit bisou ou… le grand manège ?

Je ferme les yeux et sans répondre elle comprend que c’est même peut-être encore plus que ça !

— Ok… et si tu paniques aujourd’hui c’est que… ?

— Il bosse avec Tim. Dimanche dernier, le pique-nique de l’entreprise… un calvaire ! Et dimanche prochain, Tim l’a invité pour un barbecue, lui et sa famille.

— Ah ouais… quand même ! Choisis mieux tes amants, ma belle !

— Mais j’ai pas choisi, m’exclamé-je. En plus, ce n’est pas mon amant, grondé-je.

— Pas encore !

— Non ! Ça jamais… jamais je ne pourrai !

— Tu pensais pouvoir embrasser un autre homme ?

Je grimace. Elle a vu juste. J’ai juré fidélité à mon mari et jamais jusqu’à aujourd’hui cela ne m’avait pesé. Mon mariage ne m’oppresse pas, mais par contre que j’aie posé mes lèvres… ma langue… mes mains ailleurs… sur un autre homme.

Mais comment ai-je pu ?

Je tourne le dos à mon amie pour regagner le comptoir et trouver un appui. Je me sens mal, ma culpabilité devient insoutenable. Je pensais qu’elle diminuerait au fil des jours, mais j’ai l’impression inverse.

Christine m’accompagne sans vraiment se rendre compte de mon état et me questionne curieuse :

— Il est comment ?

Je hausse les épaules, en me servant un verre d’eau dans l’arrière-boutique.

— Arrête ! Pas à moi. Si au moment du baiser tu ne l’as pas regardé en détail, dimanche dernier tu n’as pas dû te priver.

— Beau, beaucoup de charme, de prestance, un regard hypnotique et…

Je me tourne, prends une grande inspiration alors que mon regard fixe une silhouette sur le trottoir. Mon sang ne fait qu’un tour et je m’exclame d’une voix stridente :

— Là… C’est lui !

Christine l’observe entrer dans la librairie alors que je reste à l’abri dans l’ombre.

Elle va à sa rencontre et lui demande ce qu’il désire. Il m’a vu et je rougis d’agir de la sorte. Mais c’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’approcher, ni le saluer, et encore moins soutenir son attention. Sans me quitter des yeux, il réclame son aide pour offrir un cadeau à l’épouse d’un collègue.

— C’est pour un anniversaire ?

— Non, une invitation pour un barbecue dans leur jardin.

Christine fait mine de réfléchir mais je sais qu’elle a compris dès la première phrase qu’il s’agit d’un présent pour moi. Pour brouiller les pistes, elle continue de l’interroger :

— Connaissez-vous ses goûts ?

— Pas trop… non. Mais c’est une grande lectrice.

— Romantique ? Quel âge a-t-elle ?

Je rougis. J’ai envie d’étrangler ma cheffe, ou plutôt de me baffer de lui avoir tout dit. Jamais elle ne pose autant de questions aux clients. Ce petit jeu doit l’amuser.

Il répond de manière évasive et elle l’entraîne vers le rayon de la littérature anglaise. Emmanuel saisit un livre des sœurs Brönte sans cesser de me fixer.

Il faut que je me trouve une excuse pour m’éclipser rapidement. Je suis incapable d’agir normalement en sa présence et encore moins devant Christine qui épie nos moindres réactions.

— Je dois aller chez le boucher pour passer commande avant qu’il ne ferme, annoncé-je en sortant de ma cachette qui n’en était pas une, mon sac à main sur l’épaule. Je t’abandonne un moment.

Et je sors sans attendre de réponse.

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