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J’aimais quand tu me racontais ta vie, avec cette dérision qui, je le savais, occultait ton malheur. Ton charme, que tu ne percevais pas, et qui attirait à toi les autres enfants et les gentillesses papouilleuses des adultes. La solitude est une inconnue pour toi, choyé d’admirations dès le berceau. Tu te souvenais de ces vacances, de ce petit camarade avec qui tu t’embrassais innocemment, fascinés l’un par l’autre. Les autres années, cela avait été des fillettes. Des plaisirs enfantins

Tu me disais ton attention particulière aux garçons, préférant leurs jeux et leurs occupations, alors que les filles te comblaient de leur sollicitude. Tu m’avouais tes émois devant ces corps d’enfants qui commençaient à afficher leur maturité, surtout leur virilité. Cela te troublait, sentant ces attraits coupables aux yeux de tes parents. Heureusement que chacune des ravissantes gamines redoublait de charme pour te séduire. Cela était si facile de leur répondre, puis de les satisfaire d’un baiser qui les affolait. Elles furent plusieurs à imaginer t’avoir déniaisé, heureuses de leur exploit. C’était simple et évident et tu cédais facilement. Tu aimais chaque fois, bien que cela te parût incomplet. Il te manquait cet emportement que, elles, trouvaient dans vos échanges intimes ; ce n’était pas à jeu égal. Tu appréciais surtout la douceur et la gentillesse qu’elles déployaient pour aboutir, te laissant croire que tu étais leur dieu. Pourtant, très souvent, trop souvent, c’était par un joli minois que tu étais attiré, essayant de conquérir un nouveau camarade dont tu espérais un infini, enfin gratifiant, sans y penser. Au moins un emportement de l’âme. Trop facilement, vous deveniez amis, lui flatté d’être proche de ce petit meneur courtisé, toi ne sachant ce que tu cherchais auprès de lui. Cette quête multipliait la joyeuse bande qui t’accompagnait, évoluant selon les lieux et les périodes.

Tu aurais pu jouer au petit chef, mais l’insatisfaction permanente te relançait dans cette vaine recherche, cet incompréhensible besoin insatisfaisable. Le mignon attiré par ta lumière, intimidé par ton aura attendait, comme toi, un signe, restant impénétrable par votre innocence. Cette incompréhension brulante se terminait par des disputes et tu chassais violemment le coupable de ta frustration, avec une méchanceté qui t’étonnait et que tu regrettais immédiatement. Ces sentiments confus rendaient l’issue impossible.

Un seul osa franchir la ligne. Vous étiez dans la même équipe. Le résultat du match était inattendu. Vous aviez gagné. La joie vous avait emportés et c’était une grappe de garçons s’embrassant, riants, s’étreignant qui allait vers les vestiaires. Quand tu as serré Jérôme contre toi, tu as senti son érection, la tienne se déclenchant immédiatement. Il était un camarade, sans plus. Une fois dans les vestiaires, il s’est dévêtu, toujours dans le même état, attirant des lazzis gentils. Cela arrivait, on se moquait gentiment du maladroit, heureux secrètement de partager cet affichage. Tu étais placé à côté de lui. Malgré une réticence gênante, tu l’as imité, faisant redoubler les plaisanteries de jeunes mâles. Tu avais déjà ta réputation de tombeur et te voir exhiber ton glaive conquérant satisfaisait la curiosité de tous. Jérôme te fixa une fraction de seconde. Tu n’as jamais cherché à comprendre ce regard.

La fois suivante, après des semaines t’ayant laissé dans les interrogations et les refoulements, il trouva à nouveau l’occasion de s’approcher. Vos camarades étaient éloignés. Tu m’as dit avoir senti ta poitrine s’affoler. Il t’a pris la main, tiré très, trop, doucement. Vous étiez face à face. Sa respiration te chauffait le visage. Il a fermé les yeux, penché la tête. Sa main descendait dans ton dos, vos lèvres se touchaient déjà quand tu as reculé. C’était si tentant, m’as-tu dit. L’évidence avait été telle que le gouffre s’était ouvert sous tes pieds. La bascule était ta destruction. Il t’avait alors effleuré le visage.

— C’est dommage. Tu n’es pas prêt. Quand tu le seras, je ne serais pas avec toi.

Il avait retenté. Cette fois, tu avais laissé sa main se poser sur ton pantalon. La rapidité de ta réaction t’avait surpris. Tu avais écarté sa main. Il avait haussé les épaules. Tout le reste de l’année, il t’avait ignoré, alors que tu rêvais qu’il recommence. Jérôme restait une blessure ardente.

Tu te réfugias dans une activité débridée, cochant la moindre femelle tournant les yeux vers toi. Cette sexualité ne parvenait plus à masquer ton vide sentimental. Ta fuite en avant a buté ce jour de rentrée où tu as aperçu une silhouette se glissant le long du mur. Tu as su immédiatement ta damnation arrivée, terrifié par ce destin qui enfin allait te libérer en te terrassant.

Ton coup de foudre dès ton premier regard sur moi t’a affolé : cela recommençait. En plus, j’étais un mec trouble, pas très viril, un pédé sans doute ! Tu as repoussé cette idée, horrifié par cette pulsion. Tes yeux étaient sans cesse tentés et tu devais produire un effort colossal pour m’ignorer. Tu me haïssais pour cela, pour cet égarement incontrôlable qui remontait d’autres souvenirs inassouvis.

Cette attirance, ce désir te brula, te faisant rejeter le démon de ta perdition. Ta haine fut immédiate, déléguant tes sbires pour m’humilier. Habitué à ces moqueries et à ces provocations, je n’y ai pas prêté attention. Ce dédain t’atteignit, rapprochant la coupe tant attendue de ta destitution. L’ignorance et le mépris remplacèrent la hargne. Ce fut ce vide qui me blessa à mon tour. Plus que les sarcasmes, c’est l’inexistence qui meurtrit.

Tu as lutté contre l’inadmissible qui arrivait. Déjà, tu sentais des émotions t’envahir. Tu as changé de stratégie, tu as voulu te prouver que tu pouvais aussi aimer, pas seulement baiser. Tu t’es mis en couple, d’abord avec Jessica, un peu ton pendant. Jolie fille, sportive, féministe convaincue, elle revendiquait sa liberté et ses conquêtes, s’affichant ouvertement. Vous vous étiez déjà rencontré. Tu pensais, m’as-tu dit, que votre entente sexuelle pouvait s’accompagner de sentiments. Cela n’a pas duré ! Avec chacune, tu as essayé sincèrement de l’aimer. Tu étais généreux, tu donnais de l’estime, de la reconnaissance, de l’amitié, de l’affection. Elles ont chacune senti que ce n’était pas de l’amour, alors que toutes en avaient la tête pleine.

Tu leur faisais l’amour sauvagement, anéanti quand mon image te terrassait au moment crucial. Tu en venais à murmurer mon nom. Cela finissait en fiasco, inévitablement.

Petit à petit, tu as accepté cette fascination. En fait, elle devenait trop envahissante pour pouvoir résister. Tu avais perçu mes regards perdus, évitant soigneusement de croiser mes yeux, tu n’aurais pas su gérer !

La dernière, Pauline, t’a déclaré que ton cœur était ailleurs, déjà pris. Elle a cité mon nom. Elle t’a poussé doucement : « Vis ta vie ! Si c’est Joachim, soyez heureux ! ». Tu as été choqué ! Personne n’avait osé te dire que tu étais gay. Elle te l’a formulé sans fards, avec des yeux bienveillants. Tu as compris, tu as accepté l’inéluctable, ta liberté, la bascule dans l’infernal.

Tu m’as dit ta longue hésitation avant ce coup de folie : venir m’attendre chez moi ! Tu connaissais depuis longtemps mon adresse, attentif dédaigneux de la moindre information me concernant. Tu m’as dit ta longue attente, planqué dans un buisson, ta fuite, ton retour, ton faufilement dans l’entrée. Mon arrivée. La porte qui se déverrouillait et ton cœur qui s’affolait. Ensuite, tu n’as plus rien contrôlé ! Et ce fut merveilleux !

Tu te souviens quand tu m’as demandé

— Et toi ?

Je t’ai répondu que pendant tout ce temps, je n’ai rien vu, rien su de ta progression vers moi. J’étais dans mon trou, dans ma tête avec mon désir impossible, t’ayant pardonné tes attaques. J’évitais de croiser ton chemin, tes yeux, sachant que mon emballement irrépressible serait source de risées.

Ce qui m’a le plus touché, ce fut ton aveu : le jour où tu es venu me trouver, ce n’était plus le regard des autres qui te gênait, tu avais décidé de t’assumer auprès de tes amis. Tu avais fait le choix : tu savais le mépris dont tu serais l’objet dorénavant, la veulerie de ceux qui continueraient à te fréquenter pour te démolir par-derrière. Cela n’avait plus d’importance par rapport au bonheur que tu étais venu demander. Tu comptais aussi t’afficher face à tes parents, à leur indifférence si douloureuse depuis si longtemps. Tu espérais une réaction, n’importe laquelle, pour exister à leurs yeux. Ce fut la déception, car leur seule préoccupation fut leur réputation. Tu m’as raconté cette nuit épouvantable où tu as décidé d’abandonner tes parents.

Non, ta seule crainte ce jour-là était que je te repousse ! Tu m’as dit l’hypothèse extrême que tu avais envisagée… Tu es venu la veille me rencontrer. Sais-tu que tu n’as pas prononcé une parole, alors que nous avons passé des heures enlacés ? Ni ce soir, ni le lendemain devant les autres, ni les jours suivants. Tu exprimais ton amour et ton désir, mais tu n’arrivais pas à le verbaliser. Cette ambivalence était invivable. Tu m’as obligé à te parler !

Combien de fois m’as-tu dit ton regret de cette perte de temps dans le bonheur ? Après chaque acte ? Si souvent ? Je crois bien ! Je te répondais qu’avant, cela était impossible, pour toi, pour moi. Nous n’étions pas prêts. Si cela a été si facile, si vite, si naturel, c’était que nous étions mûrs. Tu as su trouver le moment exact pour nous embraser.

J’ai parlé longuement, je me suis tu longuement. Hugo buvait mes paroles et mon mutisme. J’ai tout revécu, avec un bonheur intact.

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