Maudite pause café !

4 minutes de lecture

[Bruit de la sonnerie de Skype]

Qu'est-ce que c'est encore ? Est-ce possible de travailler plus de trente minutes d'affilée sans avoir un coup de téléphone ? Déjà 11h30 ! Je n'ai pas vu le temps passer. Et j'ai déjà faim...

- Gabrielle Leclercq. Que puis-je pour vous ?

- Gaby ? C'est moi, Marie !

- Marie ? Mais pourquoi tu m'appelles avec ton numéro privé ? Tu n'es pas au bureau ? C'est ton jour de permanence pourtant, non ?

Marie Costelot est ma collègue depuis une dizaine d'années et ma meilleure amie depuis presque autant de temps. Nous avons commencé toutes les deux plus ou moins à la même période, elle comme secrétaire et moi comme comptable. S'il ne fallait qu'un mot pour la décrire, je dirais : énergique. Cette femme est une boule de nerfs, toujours en mouvement ! Je suis parfois étonnée de son niveau de concentration alors qu'elle semble faire quinze choses en même temps.

- Oui, oui, je suis au bureau. Mais je galère avec le wifi depuis ce matin. Tu veux bien m'appeler sur mon gsm pour pas que j'explose mon forfait ?

Bientôt un mois que nous ne nous sommes plus vues, bientôt un mois que la Belgique a arrêté de vivre à cause du confinement. Je ne me plains pas. Contrairement à beaucoup de gens, j'ai toujours un emploi et je peux même le faire à domicile. J'ai l'occasion d'aller une fois par semaine au bureau pour la permanence du courrier postal. Je ne vois personne, mais au moins je change d'air !

- Voilà. Je te rappelle, dis-je en souriant. C'est quoi ces problèmes de wifi ? Mardi, quand j'ai fais la permanence, je n'ai pas eu de problème.

- Hooo j'en sais rien, moi. J'ai essayé de me connecter plein de fois et il n'y a rien qui marche. J'ai appelé le chef pour lui demander de faire venir un type. J'attends depuis une heure déjà.

- Ha ok. Et tu m'appelais pour... ?

- Ben pour savoir ! Me dit Marie avec une voix de conspiratrice.

- Savoir quoi ?

- Ben... Le voisin ! Dit-elle comme s'il était évident que je savais de quoi elle parlait.

- Quel voisin ?

- Le tien, voyons. Est-ce que tu l'as encore vu ?

- Haaa ce voisin là ! Non. Mais personne ne tond sa pelouse tous les trois jours non plus.

Lundi passé, quand Marie et moi prenions notre pause café-skype vers 10h30, elle a entendu un bruit bizarre venant de chez moi. Je lui ai dit que c'était le voisin qui tondait la pelouse et qu'il était pas mal... Je n'aurais jamais dû ajouter ces deux derniers mots ! Je savais qu'elle ne me lâcherait plus.

- Hooo dommage, dit-elle avec une grande déception dans la voix.

- Mais qu'est-ce que ça peut te faire puisque tu es mariée ?

- Moi, rien. Mais toi, tu es célibataire depuis trop longtemps !

- Pas tant que ça. Et puis, ça passe vite, dis-je un peu enervée.

Je déteste quand elle commence à se mêler de ma vie amoureuse. Divorcée depuis presque sept ans, je ne suis pas restée à me morfondre dans mon coin. Mais ce n'est pas évident d'avoir suffisamment confiance en quelqu'un pour le faire entrer dans ma vie, et surtout dans celles de mes enfants. Même s'ils sont presque adultes maintenant, il y a toujours cet instinct de protection en moi. Et je l'aurai toujours, peu importe leurs âges.

- Et si tu allais sonner chez lui en disant que tu as besoin de sucre ou un truc comme ça ? Dit-elle, continuant à jouer les marieuses.

- Mais nooon. C'était juste une réflexion comme ça, en passant.

Le voisin en question s'appelle Maxime et je le connais depuis très longtemps. Je lui ai changé ses couches, mis des pansements aux genoux et raconté des histoires avant de se coucher. Je l'ai vu grandir et jouer avec mes enfants dans nos jardins mitoyens. Il est né seulement quelques mois après ma fille, Marion. Ils ont même eu une petite amourette vers l'âge de 15 ou 16 ans, mais qui s'était terminée parce que "Ça va pas le faire, maman. On est juste ami en vrai". Et sur ces bonnes paroles, ils avaient continué à jouer à la console ensemble, comme s'il ne s'était jamais rien passé entre eux. Bref, il a 20 ans ! Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas envie de dire ça à Marie...

[Bruit de l'interphone]

- Ha. Je crois que l'informaticien est là pour le wifi. Je te laisse.

- Ok. Bisous, dis-je, en pensant "sauvée par le gong".

Après cet appel, je ne suis plus tellement concentrée et il est encore trop tôt pour manger. Je vais aller faire ma séance de vélo elliptique. Ce truc m'a coûté 600 euros, mais finalement il en vaut la peine. Avec ce foutu confinement, plus moyen d'aller à la piscine faire mes longueurs hebdomadaires. Et, passé quarante ans, le martini et les chips de l'apéro se transforment directement en graisse et se stockent beaucoup plus vite sur mes fesses. Pour garder une silhouette acceptable, selon mes critères du moins - pas ceux des magazines, je me suis mise à monter des marches. Le livreur de chez Décathlon n'a pas trop apprécié de le monter au premier étage, mais je voulais vraiment avoir une vue sur la rue. Bon... C'est vrai qu'en cette période, ça ne change rien. Mis à part Gérard qui lave sa voiture tous les deux jours... Je ne vois pas grand monde passer dans ce quartier résidentiel si calme.

Haaa... Mais non, ce n'est pas Gérard aujourd'hui ! C'est Maxime. Oups, repérée. Il me fait un petit signe de la main. Je lui renvoie son "bonjour", restons polis entre voisins.

C'est quoi cette manie d'être torse nu ?! J'en frisonne... Mais pas de froid.

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