SAMEDI

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SAMEDI - En ce début de week-end Soral est bien décidé à profiter de ces premiers rayons de soleil afin d’offrir sa peau à la clarté partout rayonnante, ainsi se hâlera-t-elle, ses Conquêtes raffolent de sa peau de pêche. Les premiers soucis sont loin maintenant, son épiderme est restauré et le lecteur se souvient de la puissante amnésie qui affecte la mémoire de notre Aventurier. Soral remonte la rue en direction de ce Parc de la Colline qu’il affectionne tout particulièrement. Il aime ses longues allées sablées, ses statues en marbre blanc, ses pièces d’eau, ses cygnes allongés sur l’herbe, ses bancs sur lesquels, le plus souvent, il flâne faisant de l’action de musarder la fin en soi de ses promenades. Soral pousse le portillon peint en vert qui grince et se referme sur son passage.

A peine notre Flâneur a-t-il fait ses premiers pas sur les allées gentiment gravillonnées, qu’il entend une manière de sifflement bizarre. On dirait le bruit de la soupape d’une cocotte-minute avec son jet de vapeur blanche qui fuse dans toutes les directions de la cuisine. Instinctivement Soral se retourne afin de localiser la source du son et voici qu’une espèce de balle étrange, à moins que ce ne soit une bogue de châtaigne ou un oursin des airs, surgit devant lui à la vitesse d’une comète, frôle son visage et finit sa course au milieu d’un bassin dans une explosion de gouttes d’eau. Soral s’avoue un brin inquiet. Peut-être même affolé. Il a bien entendu parler d’étranges créatures qui, à intervalles réguliers, dans les ouvrages de science-fiction, envahissent la terre, mettent à mal toute la population. Mais il se rassure, tout ceci n’est qu’aimable plaisanterie et le fruit d’imaginations exacerbées. Mais voici qu’une nouvelle mitraille passe en cet instant entre ses jambes, mitraille qu’il n’évite qu’à l’aune de sa légendaire souplesse.

Les « oursins » se plantent dans le tronc d’un platane et y demeurent fichés, sans doute pour l’éternité. Certes Soral a été épouvanté mais il n’est nullement au bout de ses peines. Il s’approche doucement de la meute d’oursins et commence à les observer prudemment. Ils sont bizarres, tout de même ces « oursins » avec, tout au bout de leurs épines, des genres de soucoupes plates ou bien des tubes creux allant s’évasant vers l’extérieur. Et puis cette couleur bleue irréelle ! Soral est doté d’une bonne vue, mais il chausse ses lunettes afin de mieux voir ce qui est devant lui. Sur de minces et presqu’imperceptibles plaquettes, nullement visibles à l’œil nu, un genre de plaque d’immatriculation ou d’identité avec, gravé dessus, la mystérieuse formule : COVID 1 ; COVID 2 ; COVID 3, je vous en passe et des meilleures, ainsi jusqu’à COVID 18. Notre Explorateur des espaces infinis n’en revient pas. Oui, il a bien entendu parler à la radio, autrefois, d’une attaque virale qui détruirait l’humanité mais il en avait conclu à une sordide farce et il aveint éteint la radio avec un sourire indulgent.

Soral allait repartir lorsque, venant de « La Bande à Covid », il entend distinctement, avec une voix de robot cependant : « Fais gaffe à toi et ceci vaut pour tes semblables, nos amis Covid 19 sont sur les dents et l’attaque, la dernière, ne saurait tarder ! » Prenant l’avertissement au sérieux, Soral, d’un air de rien, commence à prendre le large lorsque, de la porte sud du parc, en escadrilles serrées, volant à basse altitude, un nuage de COVID 19 fonce sur tout ce qui bouge, Soral y compris. « Vous, les humains, vous avez fait passablement les malins, maintenant c’est à notre tour, on va vous rayer de la carte ! ». Aussitôt dit, aussitôt fait, pareilles à une escouade de menus bombardiers, les étranges créatures frappent au hasard. Des têtes tombent comme à la Révolution, des rivières de sang pourpre dévalent les collines jusque dans la rivière, tout en bas, dans la vallée. Soral ne doit sa vie sauve qu’à sa légendaire agilité, à la vivacité de son instinct, à son intelligence prompte à débusquer tous les stratagèmes de l’ennemi. Avec une belle frayeur à ses trousses notre Héros rentre à la maison, fourbu, mais sain et sauf.

SAMEDI, fin de journée - Soral est dans la salle d’attente du Docteur Jillac. Il feuillette distraitement une revue médicale. Sur la « une », en gros caractères : Prenez garde à vous, les VIRUS ATTAQUENT. A peine la lecture du titre terminée la grosse et sympathique voix du Dermato se fait entendre : « A la bonne heure, Soral, content de vous voir remis sur pied. Vous avez une mine superbe » . « Oui, répond Soral, sauf que la mine superbe j’ai failli la perdre pas plus tard que ce matin ». Et Soral de raconter successivement, les nouvelles fantaisistes du canard local, le cactus sur la joue, la pluie de grenouilles, les assauts charnels de la Boulangère, l’attaque des oursins. Jillac, à demi-couché sur son fauteuil à bascule sourit gentiment comme s’il écoutait les balivernes d’un bambin, puis posément, amicalement, il dit à Soral : « Avez-vous gardé la notice du remède de cheval ? » Soral répond affirmativement. Jilliac : « Vous pouvez rentrer tranquillement chez vous, votre dermatose est passée. Buvez un grand coup de Cognac pour vous remonter le moral. Non, vous ne me devez rien, Soral, votre forme me paie au centuple ! »

De retour chez lui, Soral n’a de cesse de lire la précieuse notice : « Effets indésirables possibles du médicament Orodixylatorivium, autrement dénommé « Remède de cheval » :

« Dépression, anxiété, hallucinations, confusion, nausées, anorexie, sécheresse de la bouche et constipation, ataxie, hypotension orthostatique, céphalées. Les livedo reticularis et oedèmes périphériques ne s'observent que dans les traitements prolongés. Ils ne s'accompagnent pas de troubles rénaux ou cardiovasculaires. Liés à une vasoconstriction de l'artériole et de la veinule de la peau, ils cèdent au repos, au port de bandes élastiques, puis entre autres symptômes, lésion cornéenne, par exemple opacités sous-épithéliales ponctuées pouvant être associées à une kératite ponctuée superficielle, un oedème épithélial cornéen et une forte réduction de l'acuité visuelle. »

« Je l’ai échappé belle », pense, en son for intérieur, Soral, le médicament était pire que le mal. Sacré Jilliac, quel excellent type tout de même ! » Il se verse une longue rasade de Courvoisier ambré dans un verre ballon. Le soleil joue dans le liquide ambré à la manière du refrain de « La Traviata ». « A la santé du bon Docteur Jilliac et à la mienne ! ». Le soir tombe sur la ville. Il fera bon dormir ce soir parmi les rêves parfumés de lavande et la pluie des étoiles. Oui, il fera bon !

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