MERCREDI

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MERCREDI - Soral, derechef, vient d’ingurgiter six comprimés supplémentaires et il est au mieux de sa forme. Il est face à la glace de la salle de bains. Une douce lumière glisse sur la dalle du miroir. Soral a enduit généreusement son visage de mousse à raser. « Qui peut le plus, peut le moins », pense-t-il une nouvelle fois, à la manière d’un refrain. Il commence à faire glisser son sabre bien affûté au cuir sur la joue droite. Une agréable sensation de chlorophylle se répand dans la pièce. Soral aime bien se raser, « c’est une façon agréable de reprendre conscience », fredonne-t-il à mi-voix sur l’air de « La Traviata ». Il faut dire, il a toujours eu un faible pour Verdi. Mais, là, sur sa joue gauche, c’est pas vraiment de l’opéra comique, c’est plutôt du Lully et de la tragédie lyrique. Il y a un genre de cactus de chair qui a poussé, avec ses bulbes verts plein d’épines, ses étranges arborescences qui partent en tous sens. En fait sa joue ressemble en tous points à ces coussins de belle-mère, quiconque s’y assoit est condamné à vie à souffrir les martyrs, les piquants sont à leur aise, ils ne veulent plus partir. Soral n’est pas rassuré. Pire, il est consterné. Mais il va se battre, oui, il va se battre !

JEUDI - Ça va mieux, tout est revenu à sa place. Soral pense que cette maladie orpheline est un sacré truc, heureusement il y a le remède miracle. Six comprimés à nouveau. Soral est dans la rue, maintenant, il veut prendre un grand bol d’air frais. Il va faire son jogging au bord de la rivière, ça le requinquera et, peut-être le médicament, rapidement métabolisé, sera plus actif. Il court joyeusement, pareil à un enfant espiègle, il saute d’un pied sur l’autre, fait parfois un rapide salto, puis reprend sa course comme si de rien n’était. Mais voici que, venant de la colline d’en face, se sont levés de gros nuages noirs au ventre inquiétant. « M’en fous », pense Soral, j’ai échappé au psoriasis, j’échapperai bien à l’orage ! » A peine a-t-il terminé d’écrire la phrase dans sa tête que de grosses gouttes de pluie tombent en abondance, rebondissent sur le sol avec des bruits bizarres. Ce brave Soral est quasiment aveuglé et il sent, parfois, sur le plat des joues des sensations bizarres, comme des gifles mouillées ou bien des coups de serpillère humide. Ça fait un drôle d’effet.

Soral s’abrite un instant sous un arbre. Le couvert des feuilles est épais, aussi ne risque-t-il rien. La pluie redouble d’intensité et fait, devant ses yeux, un illisible rideau. A nouveau ça recommence cette impression de torchon sur le visage, on dirait une claque infligée par quelque énergumène énervé. Il fouille au profond de sa poche pour saisir son mouchoir. Quelque chose de visqueux résiste. Soral tire et sort… une grappe de grenouilles agglomérées, serrées comme si elles avaient peur de leur hôte. Oui, Soral a déjà entendu ces sornettes : une pluie de grenouilles. « Pourquoi pas une pluie de rhinocéros, tant que t’y es ? » Sa réflexion à peine terminée, voici que, précisément, un rhinocéros venu du ciel s’affale mollement sur le bout de ses chaussures, manquant de lui écraser les orteils. Cette fois c’en est trop, le Sportif décide de rentrer à la maison, mouillé comme une éponge, poches débordant de crapauds et d’escargots de Bourgogne. Il faut qu’il tire ça au clair. Les choses seront plus évidentes dans le calme du salon. N’empêche, il est un peu déprimé et commence, par éclairs, à ressentir les coups de canif d’une belle trouille au ventre !

VENDREDI - Soral a bien dormi. Il a digéré grenouilles et crapauds pour la bonne raison qu’atteint d’une amnésie béton il ne se souvient de rien. C’est tout juste s’il se souvient de son nom. Ce matin, c’est décidé, il va se contenter de faire son tour habituel en ville, il connaît le trajet sur le bout des doigts, il pourrait faire l’inventaire de chaque brin d’herbe. Derechef, maintenant c’est un rituel, il avale ses six comprimés, « Fier comme Artaban », comme on dit en terre de Gascogne. Il s’est habillé façon printemps, juste un short et une chemisette, le tout si seyant qu’il risque bien de faire une nouvelle conquête, le coin de la rue tourné. Il sort sur le perron, inspire un grand bol d’air qui sent bon la noisette et la fleur de chèvrefeuille mêlées. Il fait quelques pas dans la rue et se rend à peine compte que celle-ci, d’ordinaire parfaitement horizontale, présente une bizarre façon de se relever un peu à la manière des volées de marches qui montent en direction de la Butte Montmartre. S’étonne-t-il ? Certes, il s’étonne et même de belle manière.

Il entre dans la boulangerie de Madame Bérenger, celle du « balcon fleuri » et, en effet, le balcon est plus que fleuri puisque la Boulangère dont la poitrine est proverbialement développée, promène cette dernière sans aucun colifichet, ses généreuses doudounes se balançant gracieusement de droite et de gauche sans quelque pudeur que ce soit, librement, « naturellement » si on peut dire. Soral est moins étonné qu’amusé jusqu’au moment où il entend la voix de fausset de la Boulangère lui susurrer dans le creux de l’oreille : « Alors, mon gros lapin, c’est mes miches que tu veux ? », et sans attendre la réponse elle enfonce dans la bouche de Soral, médusé, un téton si virulent qu’il manque d’en tomber à la renverse. Lui, le Casanova de ces dames, lui l’habitué du sexe opposé, voici qu’il est pris d’une subite frayeur, sort de la boutique à reculons, redoutant que la Mégère ne l’attire vers de plus concrètes aventures, peut-être vers son buisson ardent et décide de faire de son nouvel amant la victime propitiatoire de ces nouveaux jeux de l’amour. Un genre de sacrifice à Cupidon !

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