LUNDI

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LUNDI - Pierre Soral s’était réveillé ce matin-là, disons avec quelques soucis. Comme un homme qui a mal dormi, a traversé des rêves incertains et ne sait plus trop où il en est de sa propre vie. Les choses flottaient autour de lui, dans un genre d’ineffaçable brouillard. Il gagna sa cuisine, grilla sa première cigarette en regardant par la fenêtre. Comme à l’accoutumée, son accorte voisine étendait du linge sur un fil, levant haut ses bras, si bien qu’elle dévoilait généreusement ses sous-vêtements. Il avoua qu’il avait déjà vu mieux, fit demi-tour et versa dans son bol une bonne rasade d’arabica bien noir dont il pensait que les vertus le tireraient de cette bizarre somnolence. Au moment de beurrer sa tartine, il vit sur le dos de sa main droite de bizarres vésicules rosâtres qu’entouraient des plaques plus claires, genres de desquamations qui ne cessèrent de l’inquiéter. Il ne savait nullement ce dont il s’agissait, alla dans la salle de bains, alluma la lampe au-dessus du lavabo. Oui, c’était maintenant sûr, il avait attrapé une saloperie et le plus fort c’est qu’il ne savait pas d’où lui venait cette bénédiction du ciel.

Le jour même, Soral prit rendez-vous chez le Dermato qui avait une place en fin de journée. Tout le long des heures il rongea son frein, regarda sur le Net des sites spécialisés. Il penchait entre l’eczéma, le psoriasis et un semis de staphylocoques. Peut-être même s’agissait-il d’un cocktail des trois ? Son moral n’était pas au beau fixe sur le coup de 18 heures, d’autant plus que la cartographie du mal s’était agrandie et menaçait d’envahir tout le bras. Il trompa son attente et tâcha d’éloigner son inquiétude en feuilletant les nullités habituelles des salles d’attente, têtes couronnées et figures du showbiz en mal de célébrité. Aux alentours de 18 heures 30, le Docteur Jillac fit son entrée dans la salle d’attente, à sa manière qui n’était rien moins que cavalière et superbement athlétique.

- Salut, Soral, quel bon vent vous amène ? Vous me semblez bien abattu !

- Bonjour Jillac, juste un brin de saloperie sur la main droite et le bras n’est pas en reste, je vous le dis.

Jillac coiffa son front d’une lampe munie de deux fortes ampoules, examina longuement la main et le bras de Soral :

- Pour une saloperie, c’en est une, assurément. Je parie, Soral, que vous avez déjà fait l’inventaire de vos malheurs : staphylocoques, psoriasis, eczéma, c’est classique mon vieux, tout le monde pense à ça en premier avec ces foutus sites soi-disant médicaux, ils vous bernent, je vous dis, plutôt que de vous éclairer !

- C’est pas le tout, Jillac, mais ça me dit pas ce que j’ai attrapé !

- Je vois, vous vous attendez au diagnostic infaillible du genre « c’est un psoriasis, un point c’est tout », vous partez avec une ordonnance et dans trois jours, plus rien, place nette. Les choses sont pas si faciles, croyez-moi, Soral et la médecine est loin d’être une science exacte…

- Dites, Jillac, c’est quoi cette cochonnerie ?

- Vous en savez autant que moi, cher ami, ce que vous avez, c’est dans aucune nomenclature médicale, c’est tout simplement une maladie orpheline. Ça veut dire que vous êtes peut-être le seul au monde à l’avoir contractée ! Vous êtes unique, mon vieux, nous sommes tous uniques !

- Je vois, je suis mal barré et avec mon tempérament un brin obsessionnel, cette saloperie ne va faire que croître et embellir et le moral chutera en vrille !

- Vous en faites pas, Soral, je vais vous prescrire un remède de cheval. Ou bien c’est vous qui crevez, ou bien c’est les lésions qui succombent. Au point où vous en êtes, y a pas le choix !

MARDI - Ce matin, Soral s’est levé de meilleure humeur. Il sifflote même en enfilant ses pantoufles. C’est plutôt bon signe chez lui. Bien qu’obsessionnel, il est optimiste et a, chevillé au fond du corps, une immense confiance en la vie. Test du miroir : impeccable, il a retrouvé une peau de bébé, lisse et soyeuse. « Un champion ce Jillac », pense-t-il et il se souvient de sa recommandation : « Même si ça va mieux rapidement, poursuivez donc le traitement une bonne semaine, qu’on soit sûr d’avoir damé le pion à cette sale infection ! »

Avec son bol d’arabica, Soral avale six comprimés, c’est un peu plus que la dose mais, pense-t-il, « qui peut le plus peut le moins ! » Il prend son journal, se pose sur le canapé du salon et lit les dernières nouvelles du coin. Le canard est spécialisé en chiens écrasés, potins divers, foires et marchés, vide-greniers et autres amuseries locales. Tout lui paraît normal jusqu’au moment où, les lettres se brouillant, elles font comme une curieuse salsa du démon. Au lieu de lire « Madame Bérenger, notre aimable Boulangère de la Rue Carnot a gagné le premier prix des balcons fleuris », il lit « Madame Dérangée, notre Boule de chair, a daigné mettre ses miches au balcon, tout le monde a applaudi ». Malgré l’étrangeté de la nouvelle, Soral poursuit sa lecture, concentré qu’il est sur le texte. Ainsi apprendra-t-il que la vespasienne verte que Monsieur le Maire avait fait installer à grand frais a été transformée en isoloir pour les élections, que Madame Dudeffand, la Mercière, ne vend plus que des boutons de braguette, que Pierrefitte, le Jardinier municipal, n’arrose plus les vasques fleuries que les jours de pluie.

Ce n’est pas que Soral ait peur ou bien doute de sa santé mentale. Il pense simplement que le « remède de cheval » est à l’origine de tous ses dérèglements et que les choses, bientôt, vont rentrer dans l’ordre. Aussi ne s’arrête-t-il pas trop sur ses misères et va de l’avant, lui le sportif que rien n’arrête, lui le séducteur que nulle femme ne peut rencontrer sans en être profondément et longuement chavirée. Voyez-vous, c’est comme ça le magnétisme, l’aura de quelqu’un, ça déborde son être et tout brille autour de lui à la façon d’une pièce de monnaie, une neuve, s’entend !

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