Iota.

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ENFERS – STYX

Après s’être démenée avec Hermès pour descendre des îlots infernaux, ce dernier avait guidé Aria et Hélios jusqu’au Styx. La route n’avait pas été simple. La foule d’âmes errantes était plus dense que jamais, et l’ambiance paniquée, oppressante du lieu n’aidait en rien. Les cris, les lamentations et les pleures emplissaient le lieu d’une atmosphère criarde et stridente. Plus ils approchaient le fleuve, plus les âmes étaient nombreuses. Ils recroisèrent Olivie un peu plus loin, mais préférèrent ne pas s’arrêter. Le chemin était encore long, et ils n’avaient pas le temps de réconforter tous les morts qui croisaient leur regard.

Enfin, ils étaient arrivés au lieu convenu. Le Styx était une Océanide. On pouvait voir son visage gravé dans la pierre, les yeux fermés comme si elle dormait. De ses longs cheveux en découlait l’eau du fleuve, qui laissait passer la barque du passeur des âmes.

Charon était un vieil homme, la barbe grisonnante et le visage ridé par les années de service aux Enfers. De son long bâton de bois, il faisait voguer son esquif lentement, avant de l’amarrer sur la roche. Il ne fit pas attention aux Dieux qui s’étaient approchés, se contentant de faire avancer les âmes, prenant connaissance de leur destination.

« Comment font les morts pour donner de l’argent, maintenant que le monde moderne n’enterre plus leurs proches avec une drachme sous la langue ? » demanda Aria, se souvenant du mythe entourant le passeur des Enfers.

Etonné qu’elle connaisse une telle information, Hermès écarquilla les yeux.

« Je l’ai étudié, répondit-elle nonchalamment.

— Au départ, lorsque la drachme a été remplacé par un autre argent, Charon a demandé à ton père comment son salaire allait être rémunéré. Car dans l’Olympe comme dans les Enfers, c’est cette monnaie qui est échangée. Alors, Hadès a répondu que c’était à Charon de choisir.

— Et qu’a-t-il décidé ?

— Que les âmes devraient donner leur bien le plus précieux. Lorsqu’un mortel meurt, la famille insère souvent dans leur tombe un objet de valeur sentimentale. Tous ceux qui veulent passer doivent s’en séparer. »

Lorsque la barque fut pleine, et que Charon s’apprêta à partir, Hermès s’approcha de lui. Aria ne put entendre leur conversation, mais elle le suivit lorsqu’il lui fit signe de les rejoindre. Le passeur jaugea la princesse, et tendit la paume de sa main.

« Ça vaut aussi pour les Dieux, les paiements ? »

Hermès afficha un air embarrassé.

Levant les yeux au ciel, Aria fouilla dans ses poches et en sortit un briquet, que Mélissa lui avait donné pour se désencombrer la veille. Charon secoua la tête.

« Un bien précieux. » dit-il, insistant le regard sur son collier.

Aria porta la main au pendentif. Le signe du phœnix, cet oiseau légendaire qu’Helena lui avait offert pour ses dix-huit ans. C’était la seule chose de ses proches qu’elle avait emmené chez les Dieux.

« Il en est hors de question ! s’exclama-t-elle, serrant le bijou entre ses doigts. N’importe quoi, mais pas ça !

— Alors je partirais sans vous. »

Il tourna le dos, agrippant son bâton pour s’aider à marcher. Paniquée, elle regarda Hermès, qui la pressait de trouver une solution.

« Tu le récupèreras quand tu seras reine ! » chuchota-t-il, battant des bras pour qu’elle accepte.

Hésitante, elle décrocha le collier de sa nuque et l’observa un instant. Les rubis sertis sur les ailes du phœnix brillaient davantage, même si aucun soleil ne l’illuminait.

« Attendez ! » cria-t-elle à Charon, avant que celui-ci n’embarque.

Elle lui tendit le pendentif avec réticence, puis inspira. Charon répéta la même chose à Hélios, qui lui refila une poignée de drachmes.

« Tu aurais pu m’en donner, pesta-t-elle.

— Je ne peux pas. Dans le monde divin, l’argent ne peut se donner, il appartient à ceux qui le méritent, c’est ainsi. Charon l’aurait refusé. »

Elle jeta un œil au concerné, qui hocha le menton. Alors, elle monta dans la barque, désespérée.

OLYMPE – PARC FLEURI

Si l’Olympe était désigné comme un endroit remplit de temples en tout genre, demeures des Dieux et des Déesses, c’était aussi et avant tout une cité. Surplombant les nuages, les montagnes et le monde des mortels, elle était remplie de jolis endroits dans lesquels les divinités aimaient se balader. Marchés, tavernes, écurie, ainsi que le célèbre parc fleuri aux arbres de milles et unes couleurs chatoyantes animés par un printemps à la faune variée. Il faisait toujours une douce chaleur, dans l’Olympe. Les oiseaux chantaient tous les jours, et lorsque l’hiver pointait le bout de son nez, ce n’était que pour la beauté de voir la neige recouvrir le ciel divin. Même lors de cette saison, il ne faisait jamais froid. La température glaciale était réservée aux Enfers.

Ce jour-là, les jeunes divinités étaient de sorties. Aphrodite démontrait son amour langoureux dans les bras d’Héphaïstos, tentant d’ignorer les regards que lui jetait Arès, tandis que les jumeaux pique-niquaient sur la pelouse verdoyante. Athéna, qui préféraient la compagnie de ses animaux plutôt que celle des congénères, faisait son footing matinal aux côtés de sa biche. Dionysos, lui, cueillait ses raisins dans les vignes adjacentes. S’il n’était pas encore en âge de boire, il aimait tout de même confectionner de bons vins et les faire goûter à ses amis, même si ce genre de soirées finissaient souvent en imprévus. Il regrettait encore avoir participé au bannissement d’Hélios.

Tout le monde ne parlait que de ça, dans l’Olympe. La coucherie du Dieu soleil et de la Déesse de la sagesse était sur toutes les lèvres. Mais ce n’était pas le seul sujet de conversation. Macaria, que peu d’entre eux avaient déjà rencontrés, suscitait particulièrement l’intérêt. Depuis le départ d’Hadès, peu de personne ici haut s’imaginaient qu’une totale inconnue puisse monter sur un trône aussi placé que celui-ci. Car si ce monde était celui des Enfers, la place royale que l’on y occupait était aussi prestigieuse que celle de Zeus. Gouverner un royaume aussi grand n’était pas à la portée de n’importe qui, alors lorsque la nouvelle s’était répandue, les chuchotements s’étaient accentués.

Sous l’arche fleurie à l’entrée du parc, Eros fit son apparition. Les conversations se turent et les regards se tournèrent vers lui. Dieu de l’amour, il avait quitté l’Olympe un temps pour s’adonner aux plaisirs des mortels. Mais personne n’avait oublié ses fossettes, son regard lazuli et ses cheveux d’un brun chocolat. Pas même Dionysos, qui au-delà de son amour du vin, avait compris qu’il préférait un Eros à une Aphrodite.

Tous les regards étaient braqués sur Eros, et ses longues ailes immaculées qu’il avait déployé derrière son dos. Sans conteste, il était un homme incroyablement beau, et cela pouvait se lire sur les visages des Déesses présentes au parc. Tous, sauf Aphrodite.

Derrière les plumes angéliques du Dieu de l’amour, un homme, tout aussi attirant et désirable que l’était Eros, fit son entrée, emballant d’autant plus le cœur des divinités. Himéros, le Dieu du désir, venait de se montrer à son tour.

Pour les mortels, les Dieux étaient tous dépeints comme des créatures légendaires, magnifiques, sublimes et irréelles. Hermès, qui semblait banal aux yeux des Déesses en devenait ainsi irrésistible pour les humains. Pourtant, dans le ciel supérieur, la beauté atteignait un tout autre niveau. Et à cette échelle, les frères Eros et Himéros étaient au sommet.

Il faudrait remonter à des millénaires, pour comprendre d’où viennent ces Dieux de l’irrésistible. Pour cela, il est nécessaire de savoir qu’ils sont nul autre que les fils de Pénia, la Déesse de la pauvreté. Celle-ci, dénuée de tout bien matériel et immatériel, s’était unie à Poros, le Dieu de l’opulence. Mais Poros, aussi bon vivant qu’il put l’être, n’était pas amoureux de la jeune Déesse. Pénia, souffrant de ce sentiment qu’elle n’arrivait à rendre réciproque, profita que Poros soit soûl pour l’amener dans son lit, et abuser de ses faveurs.

Naquit de cette union non consentie, les jumeaux Eros et Himéros. L’un symbolisait l’amour dans sa plus pure conception, tandis que l’autre personnifiait le désir dans son ensemble.

Ce même jour, les Dieux fêtèrent la naissance d’Aphrodite, qui elle-même fut dépeinte comme la Déesse de la beauté. Tout d’abord, Eros fut attiré par cette jeune femme, avec qui il eut grandi. Mais souvent, bien qu’ils étaient plus proche que n’importe quelle divinité de l’Olympe, Eros se demandait si cette union était celle d’un amour sincère, ou s’il n’était dirigé que par l’attirance physique.

Alors, il se séparèrent. Le trio qui faisait envie à n’importe qui ne devint que des solos, éparpillés à travers les mondes. Aphrodite resta dans l’Olympe, soignant son cœur meurtri, avant qu’elle ne rencontre Héphaïstos. Himéros descendit aux Enfers, partager son désir ardent avec les âmes insatiables. Eros, lui, se rendit chez les mortels, en quête d’un amour qu’il ne sut trouver.

Plus de cent ans s’écoulèrent avant ce jour-ci. Avant qu’ils ne se réunissent tous, ravivant les blessures du passé. Et si Aphrodite semblait froide à la vue de ces deux hommes avec qui elle avait vécu, au fond d’elle, son cœur s’arrachait. Autour de cette divinité de la beauté, les Déesses se mirent à battre des cils, et à secouer leur main, tentant en vain d’attirer leur attention. Car même après des années, tout le monde se souvenait d’eux, le trio de l’attirance, de l’amour, du désir et de la magnificence dans toute leur splendeur.

ENFERS – CHAMPS ELYSEES

La barque de Charon s’arrêta au premier des trois mondes souterrains. A la sortie d’une grotte, là où le Styx s’écoulait lentement, s’étendait un endroit qu’Aria n’avait jamais imaginé possible dans un lieu aussi sinistre que l’était les Enfers.

Les Champs Elysées.

Loin d’être similaire à Paris et sa rue excessivement touristique, cette vallée semblait être un village de campagne durant un printemps fleuri et joyeux. Plus elle avançait dans les herbes verdoyantes et les fleurs des champs, plus elle respirait un air frais et agréable. Le soleil qui illuminait l’Elysée était vif comme celui d’un été, mais la chaleur qui régnait dans cet endroit n’avait rien d’étouffante. Cet astre, par ailleurs, n’avait rien de celui qu’elle connaissait chez les mortels. Il était un plus gros, plus rayonnant, moins agressif. Un véritable paradis en enfer.

« C’est époustouflant. » s’émerveilla-t-elle, admirant le paysage avec béatitude.

Hermès sourit.

« Il existe trois régions aux Enfers. Celle-ci est consacrée aux bonnes âmes. Les vertueux, les héros ainsi que ceux qui n’ont jamais commis de crimes durant leur existence se retrouvent ici.

— Ca ne doit pas être très peuplé, se moqua Aria.

— Moins que les deux autres mondes, malheureusement. » soupira Hermès, qui lui, ne plaisantait pas du tout.

Une douce brise se leva, effleurant son visage.

« Comment fonctionne cet endroit ? Est-ce qu’il y a un roi, un ou plusieurs présidents ?

— Rhadamanthe dirige l’Elysée, suivant les instructions de ton père. Enfin de toi, maintenant.

— Le juge ?

— Tout à fait, affirma-t-il. Il travaille au tribunal durant quelques heures, puis retrouve son poste ici.

— C’est un lieu de rêve… s’émerveilla Aria.

— C’est aussi ton lieu de résidence, princesse. »

Etonnée, elle se tourna vers lui. Hélios, qui restait en retrait, écarquilla les yeux.

« Je vais habiter ici ? »

Hermès acquiesça.

« Ton palais est sur la colline, au-delà des prés. »

Un palais. Elle avait encore du mal à s’imaginer gouverner un royaume, alors vivre dans un palais ? La curiosité, mêlée à un sentiment inexpliqué de malaise vint se loger en elle. Avait-elle réellement sa place ici ?

« Il me tarde de le voir. » répondit-elle de mi-voix.

Hélios, qui n’avait pas encore prononcé un mot depuis son aveu, se laissa guider par Hermès et Aria, découvrant à son tour toute la beauté de l’Elysée.

Ce n’était pas seulement un endroit incroyablement fleuri et printanier. Des vestiges immaculés de la Grèce antique étaient éparpillés ça-et-là, et des collines verdoyantes entouraient la vallée. Prenant sa source dans le Styx, le fleuve du Léthé serpentait à travers l’Elysée dans une mélodie apaisante. Dans l’eau claire, on pouvait apercevoir quelques bancs de poissons colorés nager à la surface.

Le plus étonnant était les âmes qui habitaient ici. A l’opposé de celles qu’ils avaient vus au tribunal, celles-ci semblaient mener une vie heureuse, chantonnant au gré du vent et dansant sur la pelouse fraiche.

Accordés à la Grèce d’antan, on pouvait apercevoir plusieurs types d’habitations. Certaines maisons étaient circulaires, comme dans il était le cas au Nord du pays, tandis que d’autres rectangulaires se superposaient dans les hauteurs. Toutes disposaient d’une grande terrasse sur le toit, aménagée de fleurs et de plantes ainsi que de sofas à-même le sol de couleurs chaudes et chatoyantes.

En avançant sur les chemins de graviers blancs, ils découvrirent aussi que certains avaient mis en place des commerces de toutes sortes. Poissonneries, boucheries et fruitiers étaient les plus répandus. Les marchands ne semblaient pas réclamer quelconques drachmes pour leurs produits, l’échange était seulement du troc, au bon vouloir des habitants.

Mais malgré tout ce qu’Aria pouvait voir de cet endroit magique, elle n’avait qu’une seule chose en tête : A quoi pouvait bien ressembler le palais du Dieu de la Mort ?

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