La Voix des Dieux

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« Excusez-moi, mais… Je vous connais ? s’exclama le jeune homme, interdit.

– Et oui, lui sourit la déesse. Cet anneau, c’est mon cadeau. Et en tant que pécheresse, je dois bien avouer… »

Elle fit mine de l’embrasser. Lucifer les regarda faire, pétrifié. Et son regard horrifié suivit les lèvres de sa femme jusque sur la joue de l’infâme.

« Junon ! Tu n’as pas le droit ! Tu m’es liée, à moi ! Pour l’éternité ! Pas à un vagabond !

– Parce que tu crois que je l’ignore ? Combien de fois ? Tu me déshonores ! Combien de demi-dieux, de prophètes, de valeureux, d’insectes as-tu eu avec des femmes ? Et tu oses les traiter d’infâmes ? »

Sa main posée sur la poitrine de son amant s’était refermée et possédait maintenant la force du diamant. Quiconque aurait voulu la décrocher aurait vu ses doigts saigner. Son mari n’essaya même pas de les séparer, mais ses poings serrés trahissaient les trésors de force qu’il déployait.

« Mon frère. »

Dans la voix du Diable transparaissait à la fois la brûlure des flammes et la douceur de leur chaleur. Lucifer ne fit pas un geste, rien dans sa posture ne trahit qu’il l’avait entendu. Junon, au contraire, se tourna vers lui et lui adressa un sourire sincère.

« Satan ! Depuis tout ce temps, comment vas-tu ?

– Pas mieux que depuis la dernière fois que l’on s’est vu, Junon, malheureusement. Toujours seul. Sans vous.

– Tu me manques beaucoup, toi aussi. Je serais venue, mais à cause de lui… Enfin, nous ne sommes pas là pour ça, n’est-ce pas ?

– Grâce à toi ! sourit son beau-frère sincère.

– À cause de toi ! répliqua son mari en la prenant par le col.

– Doucement, mari frivole ! »

Son ton narquois, pas même effrayé, laissa le jeune homme coi. La Déesse menacée, alors que ses pieds ne touchaient plus le sol, avait la force de retourner les coups de son époux féroce, avec, dansant dans son regard, une lueur folle. Une lueur dangereuse, mais magnifique, dont les étoiles vaporeuses dansaient un tango maléfique. Sans doute savait-il à quoi s’en tenir, car sa main, tout son être se mit à frémir. Et il la libéra.

« Tu sais aussi bien que moi pourquoi nous sommes là, asséna-t-il.

– Et tu le sais, c’est futile. Seth, relâche Octave, ce n’est pas un esclave, ni une chaussette. C’est un ami et ce n’est pas comme ça qu’on traite les amis.

– Surtout ceux qu’on se fait sur un oreiller…

– Quand tu auras fini de persifler, Lucifer, peut-être qu’on pourra parler affaires ? Alors, mon frère, que veux-tu faire ?

– L’anneau.

– Ah, rien de nouveau ! s’exclama le Dieu le plus haut. »

Mais sa femme le regarda et, au fond de son âme, s’enflamma, murmura.

« Quelque chose a changé, mon aimé. J’ai changé de côté. C’est mon anneau, mon agneau. Le mien, pas le tien. C’est ma volonté. Et si tu pensais me faire changer d’avis, je te le dis, tu t’es trompé. Je suis Junon et ma force n’a d’égale que la raison. Au diable la famille, la monnaie, le sang des filles, les valets. Je veux rétablir l’équilibre. Je veux qu’ils puissent vivre libres.

– Ils vivent déjà très bien comme ça ! Ils se fichent de savoir qui possède cette bague et qui ne la possède pas ! C’est leur faute, encore une fois !

– Je ne vous permets pas ! hurla Octave. Ces fautes, si graves, ne nous incombent pas ! Nous ne savons pas la valeur de nos choix si vous ne nous les expliquez pas ! Nous n’en savons rien si vous nous traitez comme des chiens ! Nous ignorons tout, tout !

– Il a raison, déclara Junon. Qui entretient le mystère, si ce n’est nous ? Qui souffre nos manières, si ce n’est vous ? Personne n’aurait à se battre si cet anneau était resté loin de ces marmots, l’équilibre aurait été préservé, protégé, nous n’aurions pas eu besoin de nous déchirer !

– Et pourtant, l’erreur a été commise, il n’y a pas besoin de la réparer. Tu sais d’ailleurs que ce n’était pas une bêtise, mais une décision pesée. Revenir dessus, c’est dire que nous avions tort. C’est quelque chose que nous ne devrions pas crier haut et fort, c’est quelque chose qui s’est passé à notre insu.

– Et puis quoi encore ! Si, nous avions tort ! Nous avions tort et tu as voulu étouffer l’affaire, laisser faire, pour ne pas qu’elle nous déshonore ! Tu te rends compte que tu as brisé des vies par cupidité ?

– Je ne suis pas cupide !

– Non, c’est pire, tu es stupide !

– Et toi alors….

– Stop ! Stop ! beugla Satan. Arrêtez-vous immédiatement. Encore un mot et c’est le châtiment.

– Toi, nous châtier ?

– Si vous voulez bien m’écouter, non. Par contre, j’ai le pouvoir de créer un poste d’aide à mes côtés et d’y embaucher un humain. Et un humain différent chaque année. De quoi tous les débaucher, de quoi les convaincre que finalement, vous n’êtes plus que de malins humains. Que vous êtes tous les mêmes et peut-être même pires que les autres. C’est ça de vieillir. Donc vous allez m’écouter, ou on va tous mourir.

– Tu viens de révéler que dès qu’on cesse de nous révérer, nous disparaissons ? Tu te rends compte que c’est de la trahison ? Enfin, tu ne me fais pas peur, releva le mari moqueur, mais si tu nous menaces, j’imagine que ce n’est pas pour de la mélasse.

– Je ne relèverai pas, Lucifer, mais sache-le, malgré mon aversion profonde pour la mélasse, je la préfère à ta compagnie. Donc je vais faire clair et vite. Il faut qu’on parle de deux sujets, l’un au moins doit être approuvé si vous voulez éviter que je pervertisse l’humanité. Premièrement, je me suis engagé auprès d’Octave ici présent à lui laisser un peu de temps avec sa sœur, qui est au Paradis.

– C’est non. La suite.

– Donnez-moi l’anneau de Junon.

– Non plus.

– Laisse au garçon un peu de temps…

– Comme si… ! s’exclama le dieu, ahuri. Un pécheur au Paradis, mais vraiment…

– C’est ça où l’anneau, réfléchis, souffla Junon, ravie.

– Très bien, soupira-t-il en cédant, faussement servile. À une condition. Plus jamais ils ne se reverront. Et rien de malsain. »

Le jeune homme semblait avoir perdu le fil de la discussion et ne comprenait plus ce qui se passait devant lui. Comment en était-il arrivé à obtenir ce qu’il voulait ? Il ne réalisait pas vraiment. Pourtant, lorsque la Déesse lui fit face, il sentit ses jambes trembler, prêtes à se dérober sous son poids.

« Pour revenir, tout ce que tu as à dire, c’est « et que les Dieux nous pardonnent. » »

Et il disparut.

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