L'Anneau de Junon

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Ce fut la fraîcheur de l’air qui le réveilla. Et devant ses yeux, l’obscurité de la terre l’immobilisa. Il entendait les voix qui l’appelaient, son prénom, comme une incantation. Il n’avait besoin que d’un instant avant d’aller de l’avant. Juste le temps d’une pensée, pour se défaire du passé. Ils n’avaient pas besoin de hurler. Pas besoin de…

« Octave ! »

Il sentit sa tête basculer. Sa joue le brûlait. Et devant ses yeux, une Beatrice qui venait sans doute de le gifler.

« Ça y est, tu as fini de nous faire patienter ? On a été bien gentils, déjà, d’accepter qu’elle puisse y aller… »

Il n’essaya même pas de se contrôler. Sa main vola, colora la joue de Beatrice qui se jeta sur lui.

« Blasphématrice ! souffla-t-il avant qu’elle ne l’atteigne, se protégeant de cette teigne.

– Hé ! Mais… Arrêtez ! »

La voix des dieux sembla ne parvenir qu’aux oreilles d’Octave, qui n’allait de toute façon pas pouvoir changer grand-chose à sa position. Et d’après ce qu’il entendait, certains Dieux le préféraient comme ça. Quelque part, ça ne l’étonnait pas. Qu’ils soient aussi égoïstes. Ils n’en avaient que pour les déistes. Après tout, c’était normal, il fallait bien qu’ils gardent le moral. Détester ceux qui ne croient pas en nous, c’est simplement un mécanisme de défense. Ou alors, c’est juste comme ça qu’ils pensent.

« Beatrice, assez ! »

Junon s’empara de son poignet et la repoussa violemment, lui assénant un coup surpuissant qui l’envoya valser.

« Tu auras tout le temps de l’affronter, siffla-t-elle, mais compte sur moi pour le protéger. »

Octave se redressa et secoua la tête. Ses bras bleuis ne lui faisaient pas mal, sa joue cependant… Enfin, il y avait plus important. Il posa une main sur l’épaule de la Déesse et s’éloigna en direction du Diable et de Lucifer. Ceux-ci se défiaient du regard en silence, profitant de l’absence de Junon.

Il venait enfin de prendre sa décision. Et quelques Dieux qu’ils soient, il ne leur laisserait pas le choix. Il était le porteur de l’anneau, il allait falloir qu’ils s’y fassent. Et s’il fallait que ça casse, il leur casserait sur le dos, de toute sa force, même s’il n’en avait pas beaucoup.

« Ça y est, le pioupiou est revenu ? Le paradis, tu as eu un aperçu ? Ta maman t’as consolé, ça y est, tu as assez pleuré ?

– Que sa divinité se taise, persifla Octave sans le regarder, à moins que son malaise ne serve à dissimuler…

– Ça ira, merci, cher dévergondé. »

Il se détourna mais un sourire supérieur sur ses lèvres eut le don d’agacer prodigieusement le jeune homme. Il serra les dents. Il n’en sortirait pas perdant. C’était sa vie, son présent, sa décision. Il suivrait ses envies, ses convictions. Il ne les laisserait pas faire.

« Alors, comment vont les affaires ? demanda Junon.

– Nous t’attendions. »

Le Diable se tourna vers lui. Ses poings serrés et les regards furtifs qu’il jetait par-dessus son épaule en direction de son frère témoignaient de leurs dissensions.

« Octave, c’est à propos de l’anneau, c’est ça ?

– Absolument, mon roi.

– Quoi ? Tu devais nous le donner ! manqua de s’étouffer le divin putois.

– Nous n’en avons jamais parlé.

– Tu mens !

– Vous avez dû l’imaginer. Si vous ne me croyez pas, demandez, on vous répondra avec joie.

– Peu importe, c’est ton devoir ! s’écria la voix de l’escorte croyante, dardant sur lui ses prunelles menaçantes, incandescentes. »

La voix de la déesse d’ivoire n’eut pas le temps de crier pour la recouvrir. La prétendue martyre se ruait sur lui, enfermée dans l’étreinte de pierre de la déesse trop fière.

Octave l’ignora complètement. Elle pouvait hurler tout ce qu’elle voulait, même des insanités, ça ne ferait que dégrader son image de parfaite petite nonne insupportable. De toute façon, sa popularité à lui n’avait aucune chance de s’améliorer… Il prit une profonde inspiration et secoua la tête. Ils allaient devoir l’écouter.

« L’équilibre des forces doit être surveillé. Sans velléités, tout le monde sera libre. Si j’ai bien compris, c’est parce que l’anneau est ici que les Églises s’enlisent dans ces luttes infinies. Je veux y mettre fin. Définitivement. Que vos conflits incessants se perdent dans les confins. Ne mêlez plus les humains à vos conflits mesquins. Je me fiche du plaisir que vous en tirez, tant que vous arrêtez de jouer avec nous pour rire. Nous sommes nés pour mourir, mais pas de vos mains. Pas pour vos sombres desseins. Prenez soin de votre famille au lieu de nous martyriser.

– Et alors ? Qu’est-ce que tu vas dire, encore ? Que tu veux notre mort ?

– Que pour notre santé, notre sécurité…

– Lucifer, mon frère, on en a déjà parlé, le coupa Junon. Octave, pardon mais ça ne sert à rien d’essayer. Il est trop borné. Il n’acceptera jamais l’idée que pour avoir la paix, les humains doivent nous abandonner.

– Nous sommes leur raison de vivre ! beugla la force négative. Combien seraient ivres s’ils avaient abandonné la religion au profit de la boisson ? Combien auraient commis un crime ou sombré dans la déprime s’ils n’avaient pas entraperçu les cimes ? Nous sommes la clef de leur éternité !

– Et combien de morts ce rêve éveillé a-t-il tués ? explosa sa bien-aimée, les poings serrés. Combien des nôtres ont choisi de s’évaporer parce qu’il ne pouvait plus le supporter ? Combien se sont suicidés ?

– Quoi ? Qu’est-ce qu’ils sont devenus ?

– Ils ont disparu.

– Ils ne se sont ni réincarnés ni n’ont été torturés ?

– Ils se sont… évaporés. »

Un grand silence fit suite à cette affirmation. Comme si les Dieux voulaient prendre la fuite. Comme s’ils comprenaient cette sensation. Octave serra les poings. Ils savaient que c’était la seule solution. Pourquoi jouer aux Olympiens, pourquoi se comporter en humains, alors que devant leurs yeux se trouvait leur devoir de Dieux ? Pourquoi, s’ils étaient si parfaits, refusaient-ils de faire ce qui devait être fait ? Leur perfection devait se refléter dans leurs actions. C’était la seule raison, celle pour laquelle ils devenaient réels. Celle pour laquelle ils étaient essentiels.

Parce qu’ils étaient parfaits.

Parce qu’ils étaient surfaits. Trop parfaits. Insatisfaits de ces êtres mauvais. Même lui pouvait comprendre. Il avait eu envie de se réduire en cendres, il avait fini par se vendre. S’ils souffraient… S’ils avaient un moyen d’y mettre fin… Comment pouvaient-ils faire comme s’ils l’ignoraient ? Ils en avaient besoin ! Dieux, humains, peu importait tant que ça les libérait. Tant qu’ils ne restaient pas dans leur coin.

Devant lui, Lucifer et Junon s’affrontaient dans un combat de hurlements, Beatrice ensevelissait le diable sous un torrent de beuglements. Le temps d’un instant, il referma ses doigts sur l’anneau. Il laissa s’écouler le flot de ses pensées dans l’infini argenté de l’oubli. Ce serait bientôt fini.

D’un même mouvement, il fit glisser la bague de sa main, l’enferma dans son poing et accomplit son destin. Il la lança de toute sa force sur le Diable.

Celui-ci, surpris, n’eut pas le réflexe de la rattraper. C’est à peine s’il l’entendit claquer contre le sol. Junon et Lucifer, au contraire, se jetèrent par terre, à la recherche du cercle d’or. Octave n’eut pas le temps de s’y précipiter. Un hurlement victorieux venait de s’élever et la lumière divine l’éblouissait.

« Non ! »

La voix de Junon le foudroya. Elle le repoussa. Il lui fallut quelques secondes pour s’en remettre, avant qu’il ne se jette à l’aveuglette dans une bataille où il ne faisait pas le poids.

Il n’avait pas le choix. C’était ce qu’il voulait. C’était ce qu’il ferait. Dieux ou pas, il leur imposerait.

Il sentit sous sa main quelque chose de rond. Et le souffle du vent, l’intensité de la lumière l’entoura, l’emporta.

Il hurla. De toute sa voix.

Personne ne l’entendrait plus jamais.

Et quand l’obscurité revint, il avait tout perdu. Il ne sentait plus rien, il n’avait rien vu.

Il ne voyait plus rien.

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