Le grand Méchant Loup n'est pas le plus effrayant...

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- On dit qu’il faut rapidement rentrer chez soi quand la nuit commence à se montrer. Mais certains transgressent les règles et n’en font qu’à leur tête. C’est ce qui est arrivé à ce jeune homme, il y a une dizaine d'années. Tout le village se souvient encore parfaitement de son histoire quand il a été retrouvé par le bûcheron, un matin d’hiver. Il gisait dans la neige, le visage rouge et plein de larmes, le regard vide, les lèvres, les mains et les pieds bleus.

- Mais du coup, qu'est-ce qu’il s’est passé, Maman? Pourquoi il était dans cet état? On le sait? Ou ce type était juste fou à dormir dans la forêt enneigée?

La mère regarda son fils de quatorze printemps et soupira.

  • Je vais te lire le carnet de route de ce petit paysan qui voulait parcourir le monde en se disant qu’il n'existait sur cette terre que des petits poneys et des nuages roses. Va me le chercher, dans la bibliothèque.

L’enfant alla chercher le précieux livre, qui l’intriguait tant, et le tendit à sa génitrice. Elle tourna les pages pour arriver au fameux chapitre, le dernier du livre d’ailleur.

  • C’est à se demander comment il a pu garder conscience pour écrire… Enfin bon, je commence:

« Mardi 10 novembre XXXX 17h37

J’ai enfin retrouvé mon chemin. En face de moi, à environ deux heures de marche, il y le dernier obstacle me séparant du prochain village. La nuit ne va pas tarder, on m’a mit en garde, de ne pas passer la nuit dehors, dans cette forêt. Mais je veux arriver au plus vite pour avoir un lit bien douillet et un bon repas chaud. J’en bave déjà. Je crois que j’ai bavé sur mon carnet. Zut. Dans l’auberge précédente on m’a fait un rappel des créatures à ne pas croiser durant la nuit. Mais j’ai ma carabine, je sais me défendre, alors je suis un minimum en sécurité. Je suis entrainé!

Mardi 10 novembre XXXX 19h57

Je profite d’être à l’entrée de la forêt pour faire une petite pause. La forêt à l’air sympa malgré ce qu’on dit. Il y a des petites lucioles, rien de plus rassurant que de marcher de nuit avec les lucioles autour. Il y aurait eu ma femme avec moi, ça aurait été romantique. Mais je n’ai pas de femme donc ce sera entre moi et la nature. Tiens, je vais même écrire en marchant. Ça ne sera pas très lisible, mais je trouve ça inspirant. Pour le moment, le grand méchant loup n’est pas là et il n’y a pas de tension palpable. À croire qu’on ne voulait pas que je poursuive mon périple. Sottises! J’ai avancé, j’avance et j’avancerais.

Mardi 10 novembre XXXX 20h38

La neige a commencé à tomber. Il fait froid et les lucioles ont disparu. Je me repère avec la lumière de la lune, quand elle passe dans des trous formés par les nuages. C’est un peu inquiétant mais rien de bien effrayant. Je marche vite, histoire de ne pas perdre de temps, et de ne pas prendre froid. Le papier de mon carnet accueille les flocons de neige, qui fondent dessus au bout de quelques minutes, comme les feuilles sont froides. J’avoue que je sursaute quand j’entends des craquements de feuilles autour de moi, mais je me dis que ça ne doit être que des animaux vivant autour. C’est possible.

Mardi 10 novembre XXXX 22h03

J’ai lâché mon carnet quelques temps. Je viens de m’arrêter après une course effrénée car je crois que quelque chose me suivait. Un animal sûrement. Normalement je n’ai pas peur des loups mais là, d’un coup d’oeil en arrière j’ai cru voir que c’était assez gros. Un loup aussi gros peut se sentir apte à attaquer un homme. Alors j’ai préféré fuir, je crois qu’il ne m’a pas suivi. Ça m’a rappelé ce jour où un gros chien m’a pris en chasse quand je n’étais qu’un petit bambin. C’était effrayant. Ah, j’ai cru voir une ombre volant devant moi, dans la pénombre. Un hiboux sûrement. »

La mère montra à son fils le carnet. L’ouvrage était déjà abîmé à la base, mais les pages qui arrivaient étaient presque détruites, pleines de poussière, de terre, voire de sang. C’était plus difficile de lire à partir de cet endroit du carnet.

« Mardi 10 novembre XXXX 00h41

J’ai peur. Quelque chose me suit et c’est pas un animal ordinaire. J’ai peur. Ça me suit. Ça me fait peur. Il y a quelque heure c’était pas plus gros que ma tête, mais là c’est énorme. Juste. Énorme. Je pensais que ces créatures vivaient dans le fond des grottes humides et sombres, dans l’attente de voyageurs égarés. Mais je ne suis pas égaré moi! Que cette abomination me laisse tranquille! En plus je glisse, la neige est devenue glace et ne me permets pas de fuir normalement et rapidement.

Mardi 10 novembre XXXX 02h39

Fou… Je deviens fou?? Moi? Je suis fou de peur! J’ai vu! Je l’ai vu, cette créature qui me suis, qui fait remonter mes pires peurs, mes pires angoisses! Une manreve, c’est une manreve! Qu’on m’aide, que quelqu'un m’aide! J’ai besoin d’aide! Je n’en peux plus de paniquer quand je vois ses yeux horribles me fixer comme si j’étais un morceau de viande sanguinolente. En plus cette créature ne ressemble à rien! Stop! Stop!! Manreve, laisse moi!

Mardi 10 novembre XXXX 05h38

Je n’ai plus aucune force, mis à part celle d’écrire. C’est automatique. Je veux juste écrire dans l’espoir qu’on trouve ce carnet avant que je ne meure de peur, d’épuisement, d’angoisse, de l’attaque de la manreve. Je vous mets en garde alors qu’autour de moi rôdent les pires peurs que j’ai jamais connu, les pires cauchemars que j’ai pu avoir dans ma vie, les pires folies que j’ai jamais eu en tête. Mesdames, messieurs, petites filles et petits garçons, ce sont là les derniers mots d’un grand voyageur, terrassé par une créature si simple à éviter mais qui résiste aux balles de fusil. Si vous voyez quelque chose vous suivre en volant, de la taille d’un lapin, montrez lui votre dos, et fuyez, ne montrez jamais vos yeux à cette créature sous peine de finir aussi fou et horrifié que l’homme que je suis. Le monstre est de forme ronde ou ovale, et semble avoir une sorte de volant autour de son corps. Il se nourrie de vos rêves et remontent dans votre tête vos pires cauchemars en les rendant bien plus effrayants que ce que l’on peut imaginer. Faites attention à ses deux ignobles yeux ovales, glacials, qui sont comme deux bouches suçant vos souvenirs et votre âme par vos orbites. Ne sortez pas la nuit. Ne sortez pas la nuit. Ne sortez pas la nuit ne sortez pas la nuit ne sortez pas la nuit ne sortez pas la nuit ne sortez pas la nuit ne sortez pas la nuit »

La mère ferma le carnet, et le posa sur la table à côté d’elle.

  • Il est arrivé quoi à cet homme quand le bûcheron l’a récupéré, Maman?
  • Il est mort deux jours plus tard. La folie l’a emporté, lui et ses cris. Mon fils, tu comprends maintenant pourquoi je te gronde quand tu rentres trop tard? Si cet homme est mort, c'est à cause de son égo, tu peux mourir aussi en te comportant de la sorte. Ce n’est pas parce qu’on se sent puissant qu’on l’est réellement. Cette créature dont parle ce carnet, la manreve, est très dangereuse, et rien ne peut calmer la folie qu’elle implante dans l’esprit des humains. Elle mange tes rêves et te laisse mourir de folie. Plus elle dévore de rêves, plus elle grossie, et plus il est compliqué de s'en défaire tant que le jour ne s'est pas levé.
  • Oui… J’ai compris Maman… Je rentrerais plus tôt désormais...

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