On rentre chez maman

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Tipek observa un instant l’immensité galactique au travers de la baie vitrée jouxtant la passerelle de commandement. Il balaya du regard les corps célestes qui s’offraient à sa vue, puis songea à la précarité de l’espèce humaine. Il alla ensuite se faire un café : fallait tout de même pas tomber dans la philosophie de biscuit chinois, non plus. Au carré, il s’assit en face de Lumi qui rêvassait devant un bol de koukousses frites. Depuis leur récent décollage de la planète AGC-712, la vie à bord avait repris son rythme monotone, à peine troublé par les frasques de Wall-ID. Ce dernier avait bien tenté de mettre de l’ambiance, et ce à plusieurs reprises, mais rien n’y faisait : tout le monde s’emmerdait sévère. Klebz avait ainsi accueilli avec un sourire las le réveil à grands coups de watts au rythme de "Change pas d’frein, j’sens qu’ça tient", réveil ourdi par Wall-ID dans l’espoir de mettre un peu le souk. Il passait ses journées à entretenir les différents appareils de la flotte de l’Amérion, et d’après les statistiques du magasin général de bord, il pétait nettement moins de clefs à molette qu’en début de mission (ce qui n’était pas très bon signe). Sa température de truffe indiquait toutefois des valeurs nominales satisfaisantes qui rassuraient tout le monde. Skofüld, quant à lui, menait des recherches approfondies sur la reproduction des koukouyes en apesanteur. Lumi avait bien tenté de se joindre à lui, non sans espérer approfondir encore un peu l’aspect reproductif de la chose, mais rien n’y faisait : ce blaireau de base était bien parti pour devenir l’un des plus grands scientifiques de la Terre, si toutefois rien ne se passait d’ici là. Brossard jouait avec Good-Dog, qui semblait s’être parfaitement acclimaté à la vie à bord de l’Amérion. Von Dutch cuisinait des trucs curieux, notamment une terrine d’oreilles de kolautrin au Nuh’ Dajajasse, un plat assez exotique qui n’avait pas fait l’unanimité. Tipek philosophait, donc, Lumi bullait, et Hal... Et bien Hal restait dans sa cabüne, perdu dans ses pensées, supposaient ses camarades.


Tipek prit une profonde inspiration, et déclara d’un ton sans appel: Il est temps. Chacun à son poste. Quelques jours seulement s’étaient écoulés depuis leur décollage d’AGC-712, mais Tipek avait préféré rester en orbite géostationnaire, afin d’éventuellement redescendre si Koostau en avait manifesté le besoin. Officieusement c’était aussi pour laisser le temps à chacun de se préparer au retour sur Terre. Cela faisait en effet plus d’un an qu’ils avaient quitté le spatioport de Lag Raushell, et les missions de cette durée étaient très rares et en aucun cas assignées à des militaires, ou enfin pas tous seuls, du moins. Wall-ID, qui rôdait par-là, relaya le message du capitaine via le système audio de bord. Sans faire de connerie. Klebz sortit sa truffe du moteur à impédances déphasée qu’il ajustait. Von Dutch passa la tête en dehors de sa cambuse. Hal sortit de sa cabüne, tandis que Skofüld éteignait les moniteurs du labo qu’il avait aménagé peu de temps auparavant. Brossard et Good-Dog écoutèrent religieusement le message du capitaine, presque pénétrés par la gravité intrinsèque de ces quelques mots. Hank jeta une dernière fois la baballe pleine d’huile du quadrupède domotique, puis prit le chemin de la passerelle. Lumi suivit Tipek, et tous se retrouvèrent devant l’immense console de commande de l’USS Amérion.

- Bien, Lumi, entrez les paramètres de saut. Klebz, vous  surveillerez les différents indicateurs de l’Introducton. Si ça remerde, je souhaite savoir pourquoi.
- Bien capitaine, répondirent-ils à l’unisson.

- Les autres, reprit Tipek, à votre place. Personne debout  pendant le saut, naturellement.

Lumi configura l’Introducton, puis fit signe à Tipek que l’Amérion était prêt. Prêt à sauter à travers le temps et l’espace. Prêt à bafouer une fois de plus les antiques règles de physique qui avaient des siècles durant imposé leur restrictions. Prêt à rentrer sur Terre. Tipek s’assura d’un coup d’œil que ses subordonnés étaient prêts, puis commença d’une voix monocorde :

- 5... 4... 3... 2... 1... 0... CONTACT.

L’Amérion fut pris de violentes secousses, tout le monde se cramponna dans son siège, suant à qui mieux mieux dans son Baukval. La gorge nouée par l’émotion, tout le monde pensait aux imminentes retrouvailles avec la Terre. Tout le monde, sauf Klebz, qui suait à n’en plus pouvoir dans son maudit Baukval et avait plus l’impression d’être au sauna qu’autre chose mais bon, passons. L’Introducton se mit à mugir comme une vieille sirène éraillée – contre toute attente, c’était plutôt bon signe – et tout le monde se préparait à l’imminence du saut hyperspatial. Les voyants passèrent tous au vert les uns après les autres et puis... PfÖf. Et c’était tout.

- PFÖF ? Comment ça "Pföf" ? pesta Tipek dans son Baukval.  Klebz ? C’est quoi encore qui a merdé ? Vous avez les relevés sous la truffe ?

- Yes, sir ! L’Introducton lui-même s’est parfaitement bien  comporté, sir ! Je capte pas ! Skofüld ? Puisque vous êtes le nouveau génie de la bande,  quel est votre avis ?

- Sir, j’ai monitoré tous les diagrammes de flux et... apparemment,  la modification apportée à l’Introducton a provoqué un appel de courant huit fois supérieur à la norme.

- Et alors ? 

- Eh ben, l’Introducton a bouffé toutes les ressources du bord,  capitaine. Le bobinage n’a pas tenu le coup, les thyristors se sont mis en trigger non-inverseur et finalement les moteurs, privés d’énergie, se sont coupés.

- Mais quelle bande de [tüüüüüüt] ! Vous êtes en train de me  dire que le saut a de nouveau lamentablement foiré ?

- C’est tout à fait ça, confirma Klebz très calmement.

- Et que peut-on y faire ?

- Eh bien, reprit Skofüld, le problème c’est que le composant qui  a merdé n’est accessible que depuis l’extérieur, ce qui nous obligerait à effectuer une sortie extraclaviculaire, mais...

- Mais QUOI ?

- La faible poussée initiale, avant l’incident, nous a placés sur  une trajectoire elliptique très dégradée et...

- Une trajectoire elliptique ? Mais autour de quoi ?

- Bin d’une planète, sir, fit Klebz.

- Vous êtes en train de me dire qu’on est encore en train de se crasher ?

- Yep.

 

*SOUPIR* 

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