AGC-712

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Klebz fit rugir son grautospüder et s’apprêtait à tenter une roue arrière lorsqu’il se souvint, un peu blasé, qu’il n’avait pas de roue arrière. Ni même de roue avant, d’ailleurs. Son grautospüder était monté sur un système hübride conçu par Synergy Drive : un flux d’air pulsé générait les trois quarts de la poussée, tandis qu’un micro champ de gravitons à spin inversés assurait le reste de la tenue de l’appareil, tout en lui conférant une grande stabilité. Hal, juché sur le second grautospüder, se délectait du confort de l’appareil et semblait parti pour une petite ballade champêtre bien pépère. Klebz aurait préféré un bon vieux podracer à propulsion mécanique bien velue, avec des gros crampons et tout, comme on en faisait encore il y a quelques années, mais à part sur quelques planètes reculées où la technologie semblait ne pas vouloir s’étendre, il fallait bien se résigner : c’était bel et bien terminé, les rodéos mécaniques enflammés ! La mort dans l’âme, Klebz appuya sur le minuscule joystick et s’engouffra dans la forêt de palétutuviers à la suite de Yababoua, qui lui télépatho-annonça : Pas de conneries, hein ? Je veux pas qu’on se paume ou qu’il  nous arrive encore des pépins à cause de toi, ok ? Très bien,  - groumfa Klebz en retour. Allons voir ce que cette foutue planète nous prépare...

Du haut de la passerelle d’observation, Koostau contemplait la salle de cryogénie de la Kalüpsauh. Pas peu fier de la technologie finfonienne, l’Amiral poussa un long soupir de soulagement en constatant que quelques cryocapsules étaient encore intactes après le crash. Ça signifiait que la majeure partie de l’équipage congelé avait péri, certes, mais au vu des circonstances, on pouvait déjà s’estimer heureux d’avoir des rescapés. Parmi les cryocapsules encore en état, de nombreuses était bosselées ou fêlées parce que les harnais et la sécurité enfant n’avait pas fonctionné, mais les compartiments de biorégulation n’étaient pas atteints. En clair : il y avait des survivants. Ce qui était déjà très satisfaisant.

Poussant à fond la turbopompe de son spüder, Klebz doubla Hal par la droite en faisant mugir son engin, déformant le sol avec une pluie de gravitons de haute énergie. Yababoua fut tellement surpris qu’il fit une embardée et alla se contrôler la gueule dans une fougère réticulée, manquant de percuter un tadeuboa séculaire dans la foulée. Klebz pouffa de rire en checkant son rétroviseur holographique, et manqua lui aussi de se manger une branche de palmotruffier, n’eut été son détecteur de proximité à double dérailleur (le dernier modèle de chez Jvu-Shitzu). Furax, Hal enclencha le turbo à nitroglycériméthanol (de chez Sawashié Engineering) et augmenta la poussée de gravitons. Il fit un bond d’une quinzaine de mètres et Klebz dut l’accrocher sur son graudar pour calculer une trajectoire d’évitement. S’ensuivit une course poursuite endiablée au cours de laquelle Klebz avala une quinzaine de mouchamairdes, et s’en coinça à peu près autant dans la truffe. Pliés de rire, les deux compères prirent un virage serré à toute vitesse, et Hal parvint à faire l’intérieur à Klebz. Il s’apprêtait à gagner la course lorsqu’il percuta une pauvre libellöl de deux mètres qui passait par là et qui alla finir sa vie dans le bas-côté. Déséquilibré, Hal percuta Klebz, qui rebondit puis revint le percuter, déclenchant une séries de chocs auto-entretenus qui finit par propulser nos deux gaillards dans une mare d’eau stagnante de bonne taille, dérangeant par la même occasion un banc de glouïk à nageoires poreuses qui s’égaillèrent en piaillant.

Koostau et Grauzart venaient de rallier l’Amérion, après avoir confié à l’équipage du Kalüpsauh la remise en état de ce qui pouvait l’être. Tipek se dirigea vers eux.

- Alors, Koostau, quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il sur  un ton joyeux.

- Hélas mon ami, elles ne sont pas très bonnes. Comme je vous  l’ai expliqué tout à l’heure, notre appareil est trop endommagé pour envisager une quelconque réparation. Nous avons donc pris une décision : mes hommes et moi restons sur cette planète, pour les raisons suivantes. Nous ne pouvons pas repartir avec la Kalüpsauh, ni avec vous : il est impensable d’abandonner nos semblables dans l’état où ils sont. La survie de notre civilisation toute entière est entre nos mains, Tipek. Cette planète me paraît idéale, de surcroît, pour accueillir le berceau du renouveau des Finfoniens. Je la baptise donc FINFONIA LA TÉMÉRAIRE.

Koostau grimpa sur une vieille trogne d’arbre qui gîsait là, et déclama d’une voix conquérante :

- Car depuis l’aube du monde, notre race tente, en vain, de  comprendre les choses qui nous entourent.

Tipek jeta un oeil à Grauzart pour voir si ce dernier comprenait quelque chose. La totale absence du moindre signe d’activité de celui-ci ne permit pas au capitaine de l’Amérion de tirer quoi que ce soit comme conclusion.

- ... et c’est pourquoi nous sommes, bien plus que nous ne  pensons être. La vrai raison, quelle est-elle ? Et bien en vérité je vous le dis, nous ne saurions vivre en abandonnant nos frères, et nous ne connaîtrons pas de repos tant que la civilisation finfonienne ne renaîtra pas de ses cendres, enfin de son tas de ferraille. Ainsi soit-t-il, et euh... bin voilà.

Lumi et Skofüld, qui s’étaient rapprochés, se regardèrent en silence. Même si leurs nouveaux compagnons de voyage ne les avaient rejoints que peu de temps auparavant, les espoirs fondés sur une future collaboration avaient semblés prometteurs, et la perspective de déjà perdre d’aussi bons compagnons de beuverie avait séché tout le monde.

 Un vacarme interrompit les réflexions de tout ce petit monde. Quelque chose à l’intérieur de l’Amérion avait provoqué un tintamarre infernal, mélange de gamelles entrechoquées et de couinements frénétiques. Un bruit inhumain, et pas finfonien non plus d’ailleurs. Ressentant l’inquiétude ambiante plus qu’il ne la voyait, Grauzart arma son énorme fusil à bio-détection afro-quantique : CHLUK TOUK !

Oulà, pensa Lumi. M’a pas l’air bien fin celui-là, il s’entendrait bien avec Brossard. D’ailleurs où est-il encore fourré, le Brossard ?

Tipek jeta un regard perplexe vers Koostau, qui lui rendit la pareille, en tant que bon gradé. Le capitaine de l’Amérion sortit son arme de service de l’étui fixé sur le côté de son pantalon, le mis sous tension et pénétra dans le vaisseau par la passerelle. Lumi le suivit, armée d’une clef à molette de 96 que Klebz avait probablement égarée par là. Grauzart, Koostau et Skofüld leur emboîtèrent le pas, bien décidés à tirer au clair cette histoire. Tipek emprunta le corridor qui partait de la plateforme de débarquement pour arriver dans la partie "habitation" de l’Amérion. Quelle sale bête avait bien pu encore se glisser dans les couloirs de leur vaisseau ? Tipek songea un instant que c’était définitivement une bonne chose que d’avoir réparé l’Introducton. Il commençait doucement à en avoir ras la casquette de toutes ces cochonneries indigènes... Le bruit s’était tu, désormais. À mi-distance du bout du couloir, une porte entrouverte laissait échapper un filet de lumière qui découpait une ombre inquiétante sur le mur d’en face. Habituellement, les corridors – éclairés – de l’Amérion n’étaient déjà pas spécialement rassurants, mais là... Globalement tout le monde flippait, et lorsque Von Dutch sortit, une louche dans une main et une gamelle dans l’autre, le soulagement fut général.

- Bin ? fit celui-ci, interdit. Qu’est-ce que vous foutez dans le  noir ?

- Euh... La lumière est pétée, sergent. Dites-moi, vous n’avez  rien entendu de suspect, là, récemment ?

Von Dutch coula un regard en coin à Lumi, histoire de voir si Tipek était le seul cinglé de la bande. L’air tendu du caporal ne rassura pas tellement l’intendant.

- Récemment, non... Faut dire aussi que je préparais une  fricassée de graulaviandus, alors avec le bordel que fait le blender, vous savez, quoi.

- Non. Bon très bien, félicitations, s’exclama Tipek. Restez dans  votre cambuse. Toujours à la recherche de l’origine du vacarme, la fine équipe reprit la marche sous le regard ahuri de Von Dutch.

Le retour sur Terre devient vraiment nécessaire, pensa-t-il. Tout le monde sombre peu à peu dans la folie profonde.

Tipek déboula le premier dans le carré, en braillant façon commando et en pointant son flingue dans tous les sens. Les autres pénétrèrent peu après dans la pièce ronde. Une pagaille hors du commun y régnait : les sièges étaient renversés, la bouffe répandue par terre, un robinet à osmose périphérique avait cédé, laissant la place à un jet continu de flotte qui arrosait le tout. Les placards étaient éventrés, le frigrauh couché par terre avait pété plusieurs dalles en bénélacier. Et, au milieu de ce bordel insondable, Brossard, hagard, menaçait Wall-ID avec un manche à balai pété en deux. Le petit robot, presque à court de batteries lui aussi, chouinait mollement en tentant vainement de se planquer sous un tas de Burples.

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