Une journée ordinaire

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« Gaaaaaarde à vous ! » Ce matin comme tant d’autres, le capitaine avait décidé d’inspecter ses troupes. Probablement dans le but non-avoué de les maintenir en éveil, Tipek vérifiait ainsi la tenue et la réactivité de son équipage, dans des conditions d’état d’alerte (car l’Amérion était en guerre, rappelons-le). Sous l’œil aiguisé de Wall-ID, Tipek vérifiait donc la bonne tenue du personnel, l’entretien des équipements, conformément au code d’éthique de l’Arme Spatiale dicté par la Cellule. Passant sur l’inévitable décolleté plongeant du caporal Lumi pour des raisons évidentes (éviter la mutinerie générale), Tipek ne put passer outre la tenue du première classe Klebz.

 - Klebz, qu’est-ce que c’est que cette tenue ?

- C’est mon bleu de travail, mon capitaine.

- Il est marron, votre bleu, Klebz.

- C’est à cause du chocolat, mon capitaine.

- Qu’est-ce que vous foutiez avec du chocolat, Klebz ??? Z’êtes mécanicien de bord, je vous le rappelle !

- Oui mais c’est le sergent Von Dutch qu’a essayé de mettre une poule dans la machine à chocolat, mon capitaine, et du coup après il ma demandé de l’aider à la faire sortir. C’est mon supérieur direct, vous comprenez !

- Klebz, la prochaine fois que je vous chope avec une tenue pareille je vous mets aux légumes pendant une semaine. VON DUTCH !!!

- Mon capitaine ?

- Cette histoire de poule, là, c’est quoi c’bordel ? Et où avez-vous ramassé ces blessures ?

- Et bien c’est un peu délicat, mon capitaine…

Et Von Dutch de narrer le pourquoi du comment de cette fabuleuse aventure à base de poule et de chocolat. Tout avait commencé au petit matin lorsque le sergent, sortant difficilement de sa torpeur cryogénique thermo-régulée par biosphère de confinement à flux réduits, s’était dirigé vers le mess pour y préparer la popote quotidienne. Vivant difficilement le fait de se lever deux heures avant tout le monde pour finalement glander tout la sainte journée, le sergent laissa s’exprimer sa hargne par une bordée de juron, quotidienne elle aussi. En arrivant devant le plan de travail vierge et bien briqué, un doute s’insinua dans son esprit encore embrumé par Orphée : « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur faire à manger à ces casse-pieds ? »

Il est vrai qu’à l’heure où blanchit la campagne les idées se font plutôt rares (et en l’occurrence la campagne aussi, ce qui n’arrange rien). Il décida donc de descendre dans la cambuse du pont 3 de l’Amérion réservée au stockage des denrées alimentaires, des acides non-volatiles employés pour la convection bio-maintenue des régulateurs d’assiette et des animaux vivants. Comme dans les antiques vaisseaux de la marine, le stockage de bêtes vivantes se révélait délicat mais nécessaire aux voyages au long cours, ne serait-ce qu’au travers de l’aspect affectif de la chose (et aussi en terme de débarquement et d’installation durable sur une planète quelconque). « Voyons voir… Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras… Des travers de klouklouk sauce madäre, peut-être ? Hmm non, trop riche… »

Le choix de Von Dutch se porta finalement sur une poule innocente, qui n’avait d’autre objectif pour la journée que de picorer benoîtement son grain et, éventuellement, de caqueter une ou deux fois avec ses congénères. L’affectueuse bestiole se débattit néanmoins becs et ongles lorsque l’intendant voulut la saisir, ce qui occasionna plusieurs blessures qui ne manqueraient pas de s’infecter. « De dieuuu » s’exclama-t-il en empoignant une pelle à grain posée contre la paroi. « C’est pas à un vieux singe qu’on apprend à amasser de la mousse, moi j’te l’dis ! »

De l’autre côté de la soute, Klebz se dirigeait paisiblement vers le stock de clefs à molette de 96, étant donnée la très relative solidité de ces outils entre ses pattes d’ours. Sa moyenne depuis le début du voyage était de deux clefs à molette par jour. « J’vous jure capitaine je force pas en plus ! » Bref. Le destin étant ce qu’il est, un vilain farceur, il se trouva que Klebz entra dans la trajectoire de la pelle à grain manipulée par Von Dutch, ce qui eût pour effet deux actions bien distinctes. En premier lieu la poule de l’histoire se vit épargnée par l’apparition du mécanicien providentiel, et Von Dutch se trouva subitement dans la trajectoire de la clef à molette brisée de ce dernier, furieux de s’être ramassé un coup de pelle injustifié.

N’appréciant que moyennement la légèreté de ces deux zoziaux, le capitaine Tipek décida de faire un exemple. Von Dutch fut mis aux arrêts dans sa cuisine, avec interdiction d’en sortir avant d’avoir terminé d’éplucher le stock de patates reconstituées par laser matriciel. Klebz fut quant à lui mis à la soupe de légumes en tutubes pour la même durée avec interdiction permanente d’aboyer avant six heures du matin, heure de la Côte Ouest.

Tipek était fier de lui. La terrible sentence calma tout l’équipage, si bien que personne ne la ramena pendant aux moins trois plombes. L’Amérion devint, l’espace de quelques heures, une espèce de vaisseau fantôme, plongé dans un doux silence seulement troublé par le bercement de la thermo-ventilation à double flux perpendiculaire.

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