Le corbeau

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Tout avait commencé un dimanche matin, à l’heure du premier café. J’avais plus de tabac, j’ai sonné chez le voisin, Marcel. On avait déjà partagé, je savais qu’il me dépannerait. M’a fait entrer, comme qui dirait que je tombais bien. Il y avait sa femme en robe de nuit légère qui déjeunait dans leur cuisine, pas de quoi me faire lever autre chose qu’un sourcil étonné mais bon. J’ai salué la dame et suivi Marcel jusqu’au balcon. Il a sorti deux clopes et son briquet, m’en a tendu une. On a avalé un peu de fumée. En bas, la rue était vide comme un dimanche matin. J’ai fait : “Tu voulais me demander un truc ?” L’a soufflé un panache de compet’ avant de me tendre un papier plié. J’ai ouvert le feuillet et j’ai lu. “Marcel Lambert trompe son épouse avec une étudiante en médecine dont il paye les études en échange de faveurs sexuelles. Honte sur lui.” Rien d’autre à tirer, écriture tapuscrite, comme qu’on dit d’nos jours. J’lui ai rendu son papier.

– Ta femme a lu ça ?

– T’es fou, oui ? Déjà qu’elle m’a pas à la bonne ces temps-ci, c’est un coup à finir sur le pallier.

– C’est vrai, du coup ?

Il a détourné les yeux pour cracher un autre nuage de fumée. Un aveu comme un autre. J’ai fait de même, je voulais pas me mêler de ses histoires de linge sale. Il est revenu à la charge.

– T’as été flic, toi, non ?

J’aimais pas le tour que prenait la conversation, j’ai quand même répondu.

– Cinq ans, il y a un paquet de temps, ouais…

– Tu voudrais pas y voir ?

– Le type t’a demandé quelque chose ? De l’argent ?

– Hon, hon, rien, juste ce foutu papier glissé dans la boîte.

– Écoute, vieux, ça peut-être n’importe qui qui s’amuse, s’il te fait pas chanter, qu’est-ce que ça peut bien te foutre ?

– J’aime pas les baveux. Moi, ça me stresse quand je me sens surveillé, c’est pas bon pour ma digestion...

– Tu demanderas à ton étudiante de te faire une ordonnance pour des laxatifs.

– Très drôle. Donc, tu veux pas ?

J’ai soupiré, non je voulais pas.

– Je poserai quelques questions, rien de plus, j’ai pas que ça à faire de mes journées.

Il a hoché la tête, j’imagine que ça lui allait. J’ai décroché de la balustrade et agité deux doigts en guise de salut.

– Bon, merci pour la clope.

– Tu veux pas un café ?

– Non, j’ai le mien qui refroidit.

De fait, il était encore tiède. Je l’ai avalé d’un trait. J’ai réfléchi à cette histoire de corbeau. Dans l’immeuble, tout le monde se connaissait plus ou moins, de vue en tout cas. Un vrai petit microcosme. Rien de très extraordinaire, s’il fallait aller fouiller les poubelles des adultères pour y trouver à cracher. Mais après tout, le Marcel, l’était p’tet pas seul à recevoir des mots doux en cachette. Le démon de l’enquête me tenait, et puis merde. Un dimanche, j’avais de bonnes chances de croiser tous mes chers voisins chez eux, je suis ressorti. Sur le pallier, avec Marcel et moi, logeait aussi la Juliette, une demoiselle de quarante ans tassés, et ses dix chats, le cliché parfait de la vieille fille. Devant sa porte, j’ai hésité, qu’est ce qu’il pouvait bien y avoir à dire sur elle ? J’ai quand même toqué. Il y a eu un concert de miaulements, puis la Juliette a entrouvert sa porte. Elle s’est étonnée de ma présence et après m’être excusé et l’avoir rassurée, j’ai posé la question qui fâche. Évidemment, elle n’avait rien reçu. Nouvelle salve d’excuses, j’ai pris l’escalier.

J’eus plus de chance au troisième. Les Duchaux, un jeune couple sans histoire, m’avaient simplement souhaité bonne chance dans mes recherches mais la vieille Levert, elle, avait trouvé un papier dans sa boîte aux lettres. Du reste, notre échange s’avéra peu fructueux.

– Je peux le voir ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Je l’ai détruit.

– Ha bon ? Pourquoi ?

– C’était que des balivernes, des médisances, y’avait rien d’vrai là dedans.

– Qu’est-ce que ça disait ?

– Hein ? Mais ça vous regarde pas.

– Allons, Ghislaine, entre nous, vous pouvez me l’avouer.

– Ha non, je suis pas du genre à colporter des sornettes, moi.

– Si c’est pour les juifs que vous avez dénoncés durant la guerre, on est tous au courant, vous savez.

Elle a verdi, et m’a claqué la porte au nez avant que je n’ais pu dire que je plaisantais. Ou peut-être que j’étais tombé juste, vu le morceau, ce serait pas si étonnant.

Monsieur Clément étant en voyage, je suis descendu au deuxième. Chez les Delmas, que je connaissais bien, c’est Virginie qui m’a ouvert. Elle m’a invité et m’a proposé un café. Charmante. Je n’ai pas osé refuser, tant pis pour ma tension.

– Jules n’est pas là ?

– Il est à l’hôpital, sa mère est mourante.

J’ai perdu mon sourire au fond de ma tasse. J’ai hésité à partir. Mais la curiosité était trop forte.

– Dis-moi, je suis désolé de te déranger avec ça mais… Vous n'auriez pas reçu un papier avec, comment dire, des propos diffamants ?

Elle a baissé les yeux. Dans le mille ! J’eus honte de me réjouir ainsi mais que voulez vous, on ne se refait pas.

– Je, je ne l’ai pas montré à Jules, en ce moment, avec sa mère, vous comprenez ?

J’ai opiné. J’avais encore une chance de partir et d’abandonner cette affaire. Dire à Marcel que je n’avais rien trouvé...

– Je peux le voir ?

Elle est sortie de la cuisine et est revenue quelques secondes plus tard. Elle m’a tendu le papier, identique au premier, je l’ai ouvert et j’ai lu. “Jules Delmas joue aux courses, perd beaucoup et use de faux pour profiter de l’argent de sa mère mourante avant l’héritage. Honte sur lui.” J’ai grimacé.

– Tu crois que c’est vrai ? Ce qui est écrit.

Bien-sûr, j’avais déjà avancé à Jules quelques milliers de francs, oh, il m’avait toujours remboursé, mais je lui connaissais d’autres dettes. Quant à sa mère… Mais ce que Virginie voulait entendre, ce n’était pas la vérité.

– Rien ne le prouve, je te conseille de prendre avec la plus grande prudence ce que dit cet individu. Je pense qu’il cherche à nuire avant toute chose.

Elle m’a souri, un peu tristement. J’ai inventé un autre mensonge pour m’éclipser et nous nous sommes promis de dîner ensemble un de ces jours prochains.

Au premier, deux nouvelles calomnies avaient été commises. C’était d’abord ce “cher” Jean Callus, qui s’avéra fort remonté contre ce dont on l’accusait, à savoir, des attouchements sur mineurs, lorsqu’il travaillait chez les scouts de France. Un tissus de mensonges selon lui. Je souriais aigre tout en promettant de le tenir au courant du fruit de mes recherches. L’autre message avait été remis à une jeune femme fraîchement arrivée dans l’immeuble. Elle avait repris l’appartement du vieux Bergier, un sacré bonhomme, peu commode, je regrettais presque qu’il soit mort, sûr qu’il y aurait eu matière à médire sur lui. Bref, ne la connaissant pas - c’est à peine si je l’avais croisé trois fois depuis qu’elle avait emménagé - je fus étonné de la voir me tendre son papier. J’y lus “Jeanne Roux s’est fait avorter clandestinement d’une petite fille. Honte sur elle.” Je croisais le regard, mi coupable, mi rebelle, de l’accusée. Elle ne niait rien.

– Vous allez me dénoncer ?

Je n’étais pas croyant pour deux sous, et pas assez bien roulé pour que Marcel me paye des études de médecine, aussi je me fichais bien de son acte.

– Non. Vous en avez parlé à quelqu’un ici, depuis que vous êtes arrivée ?

– J’ai beau être une femme, je suis pas idiote.

– J’ai beau être un homme, je suis pas misogyne. C’est bon pour vous, ou il vous reste un cliché ou deux à mettre à mal ?

Elle a semblé se détendre et j’ai pu lui poser quelques autres questions auxquelles elle ne sut pas vraiment répondre. Non, elle n’avait aucune idée de l’identité du corbeau, non, elle ne savait pas comment il pouvait être au courant.

Je faisais chou blanc. Je suis quand même descendu au rez-de-chaussée, voir si notre bicot de concierge s’était vu accuser de terrorisme ou de manifestation contre l’OAS. Mais non, il n’avait rien reçu. Avant de remonter, mu par une sorte d'instinct, dont j'étais pas peu fier à l’époque, j’ai jeté un coup d’œil dans ma boîte aux lettres. Le papier n’était pas tombé au fond, en me tordant un peu les doigts, je réussis à l’en sortir. Je l’ouvris. “Roger Menaud se prend encore pour un grand inspecteur, les deux balles perdues dans le corps d’un passant ne lui auront jamais coûté que sa carrière. Honte sur lui.”

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