Le calme avant la blanquette (version lisible en dessous hihi)

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C’tait l’anc’in temps. La vie a l’tait pas facile com’ d’nos jours. C’a ‘tait la campagne, la vie d’fermage qu’vait pas ben ‘voluée d’puis la roiautée. On v’vait à la douzaine, tassés com’ a l’chicons dans un tonneau. Sur a l’paille, que j’veux dire. On n’tait cinq gosses, d’la graine d’ivraie qu’avait poussée trop vite, com’ d’la friche. C’pas qu’on n’tait mauvais, mais fallait n’voir, qu’t’on s’mettait sur le nez, on n’y ‘lait pas ‘vec l’dos d’la main morte. C’finissait dans a l’terre com’ d’bestiaux et avec d’l’ouvrage à raccommoder pour la mère. C’qu’on en déchirait d’la tissure, nous z’aut’. L’père nous chauffait l’cul ‘vec sa ceinture mais c’nous ‘pêchait pas d’recommencer l’lend’main. L’seuls jours où qu’on s’mettait pas, c’quand qu’on s’unissait cont’ les saisonniers d’chez Joss’. C’tait la ferme d’à cot’, l’gros machin ‘vec d’la vache à p’us savoir que foutre. Le Joss’ l’embauchait du trimard, des vagabonds d’passe q’restaient que’q mois, rar’ment plus. Qu’a c’qu’on s’est caillassé ‘vec ceux-autres.

En sus d’nous cinq, du père et d’la mère, on v’vait ‘vec les vieux. Les deux du père pis Henriette, la vieille d’not mère. L’avait plus d’chicots, ‘vec des yeux d’taupes qu’y zyeutaient plus r’in. Pis l’vait plus a l’poussière sur toutes les étagères. ‘Arfois l’marmonnait tout’ seule, nous z’aut’ qu’on n’avait beau tend’ l’oreille, on n’tendait r’in a c’qu’elle causait. Pis à d’aut’ fois, elle l’vait la voix pour nous s’tencer vert’ment d’une maxime ou d’n’autre. On l’mait ben, la vieille. Elle ‘tait com’ a sorte de meuble, ‘n peu ‘combrante, ‘n peu ‘nutile, a l’sentait ‘n peu l’antimite et la maladie. Chaque automne, on pr’nait des paris sur si qu’elle pass’rait l’hiver, on croiyait tous qu’elle ‘llait trépasser dans sa paille, mais a l’tait plus solide qu’on croiyait, t’in donc. À la font’, l’tait pas la der’ à sortir son nez de d’dans. Vo v’rez, a no z’onterr’ra tous no z’aut’. Lançait Marcelin, l’vieux d’not’ père, ‘vec son accent à couper l’beurre. L’avait d’jà enterré s’n homme, l’Bertrand. C’vait pas l’air d’y faire tant d’chagrin. J’l’a jamais vu v’rser une larme ou qu’sais-je. Elle d’sait : Mar’age d’vieux, veuvage heureux. Pis qu’elle s’riait de toutes s’vieilles gencives ‘dentées, ‘lors f’lait m’eux d’tourner l’z’yeux qu’d’tourner d’l’œil.

Vous m’d’rez, ça fait qu’dix et v’s’aurez ben r’son. Mais j’y v’ins, j’y v’ins. Not’ aîné, l’avait f’ni par s’rouver sa belle, qu’il avait mis grosse s’tôt l’bague au doigt. D’coup, l’vait sa pièc r’in qu’à lui-z-autres, ‘vec s’femme a l’gosse. On n’tait pas jaloux d’lui, on n’tait ben m’eux à quat’ qu’à cinq dans not’ coin. Sa belle, s’app’lait Simone, l’tait ben joliette, pis l’s’tait bon, com’ une fleur d’champs. Nous z’aut’, n’tait un peu ‘tiché d’elle, on n’vait jamais trop fr’quenté des belles. On n’vait ben not’ sœurette, mais on n’l’vait jamais cons’dérée com’ a n’vraie. C’tait un morceau, not’ sœurette, coulée dans a l’mêm’ moule qu’nous. On s’mettait sur l’nez ‘semble, on pionçait ‘semble, on s’c’ssait l’dos ‘semble aux foins. La mère y coupait a l’cheveux ‘vec l’mêm’ bol qu’a nous z’aut’. Not’ sœur c’tait un frère de plus. Mais Simone, a l’lui r’semblait pas, l’tait délicate, com’ qu’on dit. Elle b’ssait dur, n’llez pas croire, elle g’gnait s’pain com’ l’reste d’la famille. Mais l’braillait moins, m’geait plus propr’ment et n’rotait point t’a tab’.

C’est qu’nous z’aut’ on n’tait ben bru’ant, on s’cham’llait pour un r’in. F’lait qu’on s’gueule et qu’on crie, c’t’à pein’ si on s’calmait p’dant qu’la mère r’citait l’benedicite. On n’l’f’sait que pour ‘viter un coup d’c’turon du père. Pis dès qu’l’amen r’tissait, c’tait la foire aux poignes, on y ‘llait à la vache com' j’te pousse, c’tait à qui qu’aurait le bout d’lard dans a l’soupe, ou l’plus gros ‘rceau d’viande, ou d’part d’tart’ aux pommes. On n’tait des ventres, mais point r’connaissant pour deux ronds d’jambes d’la main qu’nous n’rissait. F’lait y aller pour n’rir la douzaine, pis des estomacs com’ nous z’aut’, ça s’sat’faisait pas d’eau d’potage. D’temps en temps, l’père y tuait un veau, pis la mère nous pr’parait sa blanquette ‘vec les ch’pignons qu’on r’massait a l’pré. Qu’a s’qu’on a’mait ça, n’z’autres. Personne n’tait en reste pour r’tend’ son bol, pis on l’chait la sauce dans l’fond ‘vec nos doigts, on l’ssait moins der’ nous qu’une ‘vasion d’criquet.

Une fois, c’tait à la r’pousse, on v’nait d’r’met’ les vaches à paturer a l’pré. On n’y avait r’masser tous les rosés avant d’y fout’ l’bestaille, a plein panier. La mère ‘vait pr’paré sa blanquette et on s’tait ‘tablé dans d’grands bruits d’chaises et d’v’selle et d’gueulades. Mais l’manquait la vieille. L’vait ‘core survécu à la fonte, on s’quiétaient plus pour Marcelin qu’toussait sèch’ment d’puis là. C’moi qu’a fut d’signé pour ‘ller la chercher. Elle d’vait s’t’être ‘dormie dans s’fauteuil, elle f’sait ça d’plus en plus. J’ai tr’versé la ferme et c’vrai qu’l’y était ben. J’tais un peu ‘nervé pa’s’qu’la blanquette, c’meilleur ben chaud, s’tout à c’t’époque. J’ai crié sur l’vieille de s’y d’pêcher, qu’la blanquette, l’llait r’froidir. M’a pas répondu, d’v’nait sourde comme un putois. J’m’suis ‘proché. J’y ai s’coué la main, mais ça r’in fait, l’Henriette l’tait d’ja r’froidie. J’s’vait pas qu’faire, ‘lors j’l’a laissée tranquille, et j’suis r’tourné vers l’z’autres. La mère l’m’a dit. Bah ‘lors, elle v’int pas ? La blanquette a l’va être toute froide. La messe l’avait pas ‘core ‘té dite, les vent’ criaient et t’paient du bol sur l’tab’. Personne y v’lait ‘tendre plus l’temps. J’ai r’pondu qu’l’tait morte. Dans l’chahut, tout l’monde y m’a ‘tendu, c’tait ‘trange. Pis là, y a eu c’te silence. C’tait un vrai d’vrai. On n’rait ‘tendu une vache vêler. La mère a l’tenait la louche, sans b’ger. On s’a tous r’gardé, com’ si on s’voyait pour l’premièr’ fois. Personne s’a l’vé pour ‘ller la voir. Pis la mère s’est r’prise, l’a ‘trappé un bol, y a mis deux louches, pis un aut’. L’vait oublié d’dire la messe. On a mangé.

VERSION LISIBLE

C'était l'ancien temps. La vie elle était pas facile comme d’nos jours. C'était la campagne, la vie de fermage qu'avait pas ben évoluée depuis la royauté. On vivait à la douzaine, tassés comme des chicons dans un tonneau. Sur la paille, que j’veux dire. On était cinq gosses, d’la graine d’ivraie qu’avait poussée trop vite, comme d’la friche. C’est pas qu’on était mauvais, mais fallait nous voir, quand on s’mettait sur le nez, on n’y ‘allait pas ‘avec l’dos d’la main morte. Ça finissait dans la terre comme des bestiaux et avec de l’ouvrage à raccommoder pour la mère. C’est qu’on en déchirait d’la tissure, nous autres. L’père nous chauffait l’cul avec sa ceinture mais ça nous empêchait pas d’recommencer le lendemain. Les seuls jours où qu’on s’mettait pas, c’est quand qu’on s’unissait contre les saisonniers de chez Joss’. C'était la ferme d’à côté, le gros machin avec d’la vache à plus savoir que foutre. Le Joss’ embauchait du trimard, des vagabonds d’passe qui restaient quelques mois, rarement plus. Qu’est ce qu’on s’est caillassé avec ceux-autres.

En sus d’nous cinq, du père et d’la mère, on vivait ‘avec les vieux. Les deux du père pis Henriette, la vieille d’notre mère. L’avait plus d’chicots, ‘avec des yeux d’taupes qu’y zyeutaient plus rien. Pis elle avait plus la poussière sur toutes les étagères. ‘Parfois elle marmonnait tout’ seule, nous autres qu’on n’avait beau tendre l’oreille, on n'entendait rien a c’qu’elle causait. Pis à d’autres fois, elle levait la voix pour nous sentencer vertement d’une maxime ou d'une autre. On l'aimait ben, la vieille. Elle était comme un sorte de meuble, n peu ‘encombrante, un peu ‘inutile, elle sentait un peu l’antimite et la maladie. Chaque automne, on prenait des paris sur si qu’elle passerait l’hiver, on croyait tous qu’elle allait trépasser dans sa paille, mais elle était plus solide qu’on croyait, tiens donc. À la fonte, elle était pas la der’ à sortir son nez de d’dans. Vo v’rez, a no z’onterr’ra tous no z’aut’. Lançait Marcelin, l’vieux d’notre père, ‘avec son accent à couper l’beurre. Elle avait déjà enterré son homme, l’Bertrand. Ça n’avait pas l’air d’y faire tant d’chagrin. J’l’ai jamais vu verser une larme ou qu’sais-je. Elle disait : Mariage d’vieux, veuvage heureux. Pis qu’elle souriait de toutes ses vieilles gencives édentées, alors fallait mieux détourner les yeux que de tourner d’l’œil.

Vous m’direz, ça fait qu’dix et vous aurez ben raison. Mais j’y viens, j’y viens. Notre aîné, l’avait fini par s’trouver sa belle, qu’il avait mis grosse sitôt la bague au doigt. D’coup, il avait sa pièc rien qu’à lui-z-autres, avec sa femme et l’gosse. On n'était pas jaloux d’lui, on était ben m’eux à quat’ qu’à cinq dans notre coin. Sa belle, s'appelait Simone, l'était ben joliette, pis elle sentait bon, comme une fleur des champs. Nous autres, on était un peu entiché d’elle, on n'avait jamais trop fréquenté des belles. On avait ben not’ sœurette, mais on n’l’avait jamais considérée comme une vraie. C'était un morceau, not’ sœurette, coulée dans l’même moule que nous. On s’mettait sur l’nez ensemble, on pionçait ensemble, on s’cassait l’dos ensemble aux foins. La mère lui coupait les cheveux avec le même bol que nous autres. Not’ sœur c'était un frère de plus. Mais Simone,elle lui ressemblait pas, elle était délicate, comme qu’on dit. Elle bossait dur, n'allez pas croire, elle gagnait son pain comme l’reste de la famille. Mais elle braillait moins, mangeait plus proprement et ne rotait point à table.

C’est qu’nous autres on était ben bruyant, on s’chamaillait pour un rien. Fallait qu’on s'engueule et qu’on crie, c’t’à peine si on s’calmait pendant qu’la mère récitait l’benedicite. On ne l’faisait que pour éviter un coup d’ceinturon du père. Pis dès qu’l’amen retentissait, c'était la foire aux poignes, on y allait à la vache comme j’te pousse, c'était à qui qu’aurait le bout d’lard dans la soupe, ou l’plus gros morceau d’viande, ou d’part d’tarte aux pommes. On était des ventres, mais point reconnaissant pour deux ronds d’jambes d’la main qui nous nourrissait. Fallait y aller pour nourrir la douzaine, pis des estomacs comme nous autres, ça se satisfaisait pas d’eau d’potage. D’temps en temps, l’père y tuait un veau, pis la mère nous préparait sa blanquette avec les champignons qu’on ramassait dans l’pré. Qu’est-ce qu'on aimait ça, nous autres. Personne n'était en reste pour retendre son bol, pis on léchait la sauce dans l’fond avec nos doigts, on laissait moins derrière nous qu’une invasion d’criquets.

Une fois, c'était à la repousse, on venait d’remettre les vaches à pâturer dans l’pré. On y avait ramassé tous les rosés avant d’y foutre l’bétail, a plein panier. La mère avait préparé sa blanquette et on s'était attablés dans de grands bruits d’chaises et d’vaiselle et d'engueulades. Mais il manquait la vieille. L'avait encore survécu à la fonte, on s'inquiétait plus pour Marcelin qui toussait sèchement depuis là. C’est moi qui fut désigné pour ‘aller la chercher. Elle devait s'être endormie dans son fauteuil, elle faisait ça d’plus en plus. J’ai traversé la ferme et c’est vrai qu’elle y était ben. J'étais un peu énervé parce que la blanquette, c’est meilleur ben chaud, surtout à c’t’époque. J’ai crié sur la vieille de se dépêcher, que la blanquette, elle allait refroidir. M’a pas répondu, devenait sourde comme un putois. J’me suis ‘approché. J’y ai secoué la main, mais ça n’a rien fait, l’Henriette l'était déjà refroidie. J’savais pas quoi faire, alors j’l’ai laissée tranquille, et j’suis retourné vers les autres. La mère m’a dit. Bah ‘alors, elle vient pas ? La blanquette a l’va être toute froide. La messe l’avait pas encore été dite, les ventres criaient et tapaient du bol sur la table. Personne ne voulait attendre plus l’temps. J’ai répondu qu'elle était morte. Dans l’chahut, tout l’monde y m’a entendu, c'était étrange. Pis là, y a eu ce silence. C'était un vrai de vrai. On aurait entendu une vache vêler. La mère tenait la louche, sans bouger. On s’a tous r’gardé, com’ si on s’voyait pour la première fois. Personne s’est levé pour aller la voir. Pis la mère s’est reprise, a attrapé un bol, y a mis deux louches, pis un autre. Elle avait oublié de dire la messe. On a mangé.

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