Trac contemporain

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Onésyme ne se sent pas dans son assiette. Accroupi sur scène, le feu des projecteurs dans les yeux, face au silence du public, il voudrait bien pouvoir disparaître. Le trac commence à monter, les veines palpitent sur son front luisant de sueur. Ça ne veut pas sortir. Il lance un regard désespéré vers les coulisses ou Augustave, son ami et metteur en scène depuis des années l’encourage en agitant ses poings fermés devant son menton, la bouche ouverte sur un cri de soutien silencieux. Onésyme ferme les yeux un instant, la pression lui tord les tripes. Assis sur ses chevilles, il a la respiration douloureuse, mal aux genoux, la chaleur est insupportable, la transpiration lui pique les yeux. Il a juste envie de se lever et de partir, mais il ne peut pas. Il ne peut pas faire ça à son ami. Nouveau regard plein d’embarras, de panique. Et maintenant ? Il l’a prévenu pourtant, qu’il ne se sentait pas capable de le faire ce soir. Augustave a insisté, c’est pour ça que les gens se déplacent, sans cette scène, la pièce perd toute sa dimension contestataire, tout son mordant, toute sa profondeur anarchique et engagée. Augustave ne transige pas avec l’art, son théâtre est total, porteur d’un message fort, provocateur, qu’il n’est pas question de galvauder. Il a tenté de le calmer, de le rassurer, lui a fait boire une tisane - c’est tout ce qu’ils avaient sous la main. Concentre-toi, qu’il lui a dit, tu vas y arriver.

Avant ce soir, Onésyme n’a jamais raté une représentation, son impuissance lui monte aux joues, il se sent ridicule. Pourtant il insiste, serre les poings, danse d’un pied sur l’autre pour faire passer une crampe. La bâche plastique colle sous ses talons, ça froisse le silence. Il ne voit pas les yeux posés sur lui, qui attendent, l’angoisse monte, quelqu’un tousse, invisible. Tousser un coup ? Non, ça ne marchera pas, il le sait. Plus rien ne le sauvera, maintenant. Si seulement Augustave pouvait comprendre, venir sur scène et le tirer de son embarras. Mettre fin au spectacle, faire une entracte au moins. Qu’il puisse quitter les feux de la rampe un instant, reprendre ses esprits, improviser quelque chose pour finir la pièce d’une autre façon. Le trac le fait tremblotter, la fatigue aussi, il s’essuie les paupières d’un geste de l’avant bras. Dans la salle, le silence devient gêné, perturbé de murmures surpris. Maman, pourquoi le monsieur il ne bouge plus ? demande un jeune enfant. Onésyme sent une vague de honte monter en lui, lui qui aime tant les enfants, leur curiosité, leur regard innocent et si frais sur son art. Il aimerait tellement pouvoir finir sa scène, entendre les applaudissements, sentir l’amour et la joie de son public, mais non, rien ne vient.

Les spectateurs s’impatientent, voilà plusieurs minutes qu’il n’a pas bougé, il les comprend. Il ne sait pas ce qui lui arrive, ce soir, pourquoi, malgré ses efforts, rien ne veut sortir. Il a pourtant bien suivi son régime, il a répété la scène encore hier, dans sa salle de bain, et tout allait bien. La pression devient insupportable, rester accroupi aussi, il ne va plus tenir longtemps. Il hésite à se lever, à leur expliquer, peut-être qu’ils comprendront. Mais il a peur. Hors de son numéro, hors de l’univers excentrique et artistique d’Augustave, prendre la parole en public le terrorise. Malgré ses années de théâtre, malgré son lâcher-prise total lorsqu’il incarne dans son corps les idées et les concepts de son ami, il n’a jamais réussi à vaincre totalement cette peur profonde et anxiogène. Une voix se lève, énervée, impatiente. Tu vas la poser ta pèche, oui ou merde ? Honteux, Onésyme baisse les yeux sur ses pieds, sur la bâche en plastique immaculée et le tas chiffonné de ses vêtements. Il voudrait bien lui. Mais il est constipé.

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