Ishani

5 minutes de lecture

C’était il y a bien longtemps, dans un pays fort lointain donc nulle carte n’a gardé la mémoire. En ce temps là vivait, dans une petite ville au milieu d’un vaste désert, une famille très nombreuse. Les dieux avaient en effet offert à Pachapan et Shinara pas moins de sept filles, toutes magnifiques et en bonne santé. Six d’entre elles avaient déjà convolé en justes noces et étaient les heureuses épouses des notables les plus riches de la cité. Quant à la dernière, la belle Ishani, elle fêtait ce jour là son dix-huitième anniversaire et son entrée dans l’âge adulte. Dès le lendemain, selon la tradition familiale, elle irait dans le désert trouver le grand génie Manvouramati pour lui demander, comme ses sœurs avant elle, de la bénir et de lui apporter bonne fortune et heureux mariage.

Ishani passa la journée entourée de ses sœurs aînées. Celles ci l’habillèrent et la préparèrent pour sa fête. Elles lui firent les dessins rituels au henné et coiffèrent ses longs cheveux d’ébène. Elles vantèrent sa grande beauté et son charme délicat et lui firent mille compliments. Elles parlèrent aussi longuement du voyage qui l’attendrait le lendemain et lui prodiguèrent de nombreux conseils avisés pour affronter le désert et faire bonne impression au grand génie Manvouramati. Puis ce fut la cérémonie, toute la famille et les invités mangèrent, burent et dansèrent au rythme des cithares et des tambourins. Ishani rayonnait, ainsi entourée de tous ceux qu’elle aimait et au centre de leur attention et de leurs éloges. Mais, seule ombre au tableau et malgré les mots de réconforts de ses aînées, elle restait inquiète pour le lendemain. Elle avait peur de déplaire au grand génie Manvouramati et d’apporter le déshonneur sur sa famille.

Dans les légendes, les anciens racontaient souvent que les génies aimaient tromper les hommes avec des énigmes et des artifices et qu’ils n’hésitaient pas à cacher leur identité aux voyageurs croisant leur chemin, afin de mieux les juger. Alors, quand ce fut l’heure des présents, après avoir accepté les offrandes de ses grands-parents puis de ses parents, quand vint le tour de la plus grande de ses sœurs, elle lui demanda tout bas.

– Ma chère sœur, comment reconnaîtrais-je le génie ?

– Ne sois pas inquiète, douce Ishani, tu le reconnaîtras car il vit dans le plus splendide palais que tu puisses imaginer.

Puis ce fut le tour de sa deuxième sœur.

– Ma chère sœur, dis-moi, comment reconnaîtrais-je le génie ?

– Ne t’en fais donc pas, douce Ishani, tu le reconnaîtras sans peine car il viendra à toi sur un tapis volant tissé de l’or le plus fin.

Quand la troisième fille s’approcha, Ishani lui posa la même question.

– Rassures-toi, douce Ishani, lui dit-elle, tu le reconnaîtras à ses vêtements qui sont les plus beaux et les plus riches qui existent en ce monde.

La quatrième sœur s’avança ensuite, son présent à la main.

– Ma chère sœur, comment reconnaîtrais-je le génie ? demanda Ishani.

– Tu le reconnaîtras à ses yeux, douce Ishani, ils sont d’un bleu à rendre jaloux le ciel, lui confia-t-elle.

La cinquième fille lui parla ensuite de sa voix, qui était la plus suave et la plus chaude qui soit et ce fut enfin au tour de sa sixième sœur, de deux ans à peine son aînée, de venir à elle.

– Ma chère sœur, comment reconnaîtrais-je le génie, dis le moi, je t’en prie, implora Ishani une dernière fois.

– Sois sans crainte, ma douce Ishani, tu sauras au plus profond de toi même que c’est lui en voyant sa grande et magnifique queue de cheval.

La fête se termina ainsi et la jeune femme, rassurée, alla se coucher pour se reposer avant son voyage du lendemain. Dans le silence de sa chambre, elle se remémora les paroles de chacune de ses sœurs avant de s’endormir. Et ses rêves, bien sûr, furent emplis des mille merveilles évoquées.

Ishani se leva avec le soleil, assembla quelques affaires dans un large baluchon, embrassa son père et sa mère et partit en direction du grand désert. Elle marcha de longues heures, sous le soleil brûlant, économisant l’eau de sa gourde en peau de chèvre. Puis, alors que son ombre s’allongeait, elle arriva au sommet d’une dune plus haute que les précédentes et découvrit enfin le fabuleux palais. Ses doutes la quittèrent aussitôt que ses yeux se posèrent sur ses jardins luxuriants, ses marbres chatoyants et ses toitures d’or et d’airain. Une telle beauté ne pouvait qu’être née dans l’imagination d’un être supérieur et pourvu de magie. Elle pressa le pas pour arriver au plus vite et rencontrer le maître des lieux.

Celui-ci lui apparut alors qu’elle pénétrait dans les jardins verdoyants et fleuris qui encerclaient le palais. Des fontaines et des statues, plus belles les unes que les autres, habitaient les lieux de leur grâce marmoréenne. Alors qu’elle n’avait point assez de ses deux yeux pour tout admirer ni de son nez pour humer chaque parfum entêtant, elle le vit s’approcher, porté par un somptueux tapis tout d’or filé. Il en descendit et s’inclina devant elle avec une courtoisie délicieuse. Il était vêtu de riches atours azur et ocre et d’un immense turban turquoise orné d’une plume de paon qui - revait-elle ?- profita de la révérence pour lui faire un clin d’œil. Il se redressa et elle s’égara un instant dans le saphir de ses yeux pétillants de malice. Alors il prit la parole, et sa voix était, comme promise, aussi chaude et sucrée que le miel oublié au soleil.

– Bienvenue, charmante enfant, que me vaut le plaisir de votre visite ?

Ishani se reprit et, rougissant quelque peu, s’inclina bien bas et se présenta.

– Ô grand génie Manvouramati, je suis Ishani, la septième fille de Pachapan et Shinara, je viens solliciter votre bénédiction pour faire un mariage aussi beau et heureux que mes chères sœurs.

– Mais oui, je me souviens de tes aînées, quelle plaisante famille que la vôtre. C’est toujours une joie de vous offrir ma bénédiction, sourit le génie. Je suis ravi de t’accueillir en mon palais, belle Ishani, comment le trouves tu ?

– Je n’ai pas les mots pour l’exprimer, ô grand génie, c’est l’endroit le plus magnifique et enchanteur que j’ai vu de toute ma vie, répondit-elle avec cette candeur émerveillée de la jeunesse.

– Haaaa, quel plaisir d’entendre ça, se réjouit-il en lui caressant la joue du dos des doigts. Surtout venant d’une si jolie jeune fille que toi. Tu dois être fatiguée après ce long voyage, veux tu t’asseoir près de l’eau ? Cela te rafraichira, tu me sembles un peu rouge.

Ishani, le feu aux joues, s’assit au bord de la fontaine de marbre rose et laissa glisser sa main à la surface de l’onde claire et fraîche. Le génie vint s’asseoir près d’elle et, avec un large sourire, ôta son large turban, dévoilant son crâne nu et brillant.

– Mais, vous êtes chauve, s’exclama-t-elle sans réfléchir.

– Oui, pourquoi ? Est-ce que cela t’étonne ? demanda le grand génie Manvouramati, amusé de son cri.

Mais la jeune femme, rougissant de plus belle, baissa les yeux sur ses pieds et n’osa point répondre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lucivar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0