Partie 3 - 3

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 J’appris bien plus tard que c’est Jorald qui donna le surnom de « Gritche » au MART-MKD. En référence à un terrible engin de métal né de l’imagination d’un auteur terrien, Dan Simmons. Il fut adopté par la majorité des colons d’Ition-g. Cela permettait de mettre un nom pour combiner notre sentiment de peur et cette horreur mécanique. Depuis cette intervention et cette vision terrible de cet homme réduit à néant par la violence synthétique, je compris que dès Belgi l’Homme et la machine ne pouvaient faire jeu égal. Les adeptes du dieu mécanique en rêvaient, le progrès technologique les en approchait toujours plus. Je comprenais mieux leur volonté de se fondre en machine, de goûter un peu de cette puissance physique, de leur rapidité d’action et de l’absence d’état d’âme. Pourtant, jamais, je ne rejoindrais un tel reniement de ce qui nous fait humains. L’acier est trop froid pour moi.

 Durant des semaines, les jours se suivirent en se ressemblant terriblement. À vrai dire, j’avais l’impression d’agir de la même manière que les robots. Ils se déployaient de manière croissante à mesure que le camp embryonnaire Alpha grandissait. Enfermé dans ma combinaison lourde, pas une parcelle de moi ne faisait corps avec l’environnement. Nous vivions tous difficilement la situation. Mes compagnons d’infortune montraient des angoisses et un stress s’amplifiant dangereusement. Moi-même, je sentais arriver à mes limites certains jours. Heureusement, le sommeil salvateur était là. Et les rêves inondaient mon esprit de remémorations douces et joyeuses de mon monde d’origine, notre paradis perdu. À mes réveils, il m’arriva à plusieurs reprises d’en pleurer.

 Certains l’appelèrent un héros. Moi, j’y vis l’acte d’un homme que le désespoir avait poussé à l’impensable. Nous ne sûmes jamais comment il avait préparé son œuvre. Mais je me souviendrais tout le reste de ma vie de cet instant où notre habitation fut plongée dans l’obscurité. Nous n’avions rien ressenti. Certains avaient évoqué un léger étourdissement. Moi, rien.

 Nous étions plongés dans les ténèbres. Nos yeux finirent par nous offrir une vision plus distincte à mesure qu’ils s’adaptaient à la situation. Une lueur filtrait par l’entrée. Au début, personne n’osa bouger, ne serait-ce que d’un pas. Puis un de mes compagnons, plus téméraire ou plus désespéré, sortit. Je ne sais pas pourquoi ; je m’attendais à voir un MART-MKD boucher l’entrée et le réduire en bouillie. Mais, il revint dans l’habitat. Je crois que je n’avais jamais entendu le son de sa voix. Puis, d’un ton clair, il nous dégela de notre position.

 « Le générateur principal est en flammes. »

 Personne ne prononça l’ordre de fuir cet enfer. Je ramassai les maigres effets que je détenais et je sortis à mon tour. J’étais sidéré. Plus rien n’était alimenté. Le camp était électriquement mort. Je cherchais du regard, les mains tremblantes, un MART-MKD. Et je le vis à quelques dizaines de mètres de moi. Les flammes se reflétaient dans sa cuirasse, lui donnant un contour infernal. Pourtant, il gisait, immobile. On m’expliqua plus tard qu’une explosion électromagnétique avait réduit à l’état de tas de ferraille inerte nos terribles geôliers et l’ensemble des installations du camp.

 L’occasion ne se reproduirait pas. Je voyais au loin d’autres comme nous chercher dans quelle direction fuir. Puis comme si inconsciemment, mes yeux avaient scruté l’horizon sombre à leur recherche, je vis Olas et Matthias, Apolline et Jorald. Je courus vers eux. Nous ne perdîmes pas un instant de plus en retrouvailles joyeuses. Nous étions tous stressés, fatigués. Déjà, les fuyards se dirigeaient vers la vallée en passant près de l’endroit où j’avais vu le pauvre malheureux laisser la vie. Ce fut comme un signal. Je retins Olas de les suivre.

 « Non, les montagnes, pas la vallée. » lui dis-je.

 Il dut lire quelque chose dans mon regard. Trois autres membres de notre décurie nous rejoignirent. Enfin les deux derniers furent rattrapés avant de suivre un autre groupe. Notre décurie était au complet. Nous partîmes dans une direction différente, d’autres nous imitèrent. Il y eut bien un garde ou deux pour tenter de faire du zèle. Mais, ils finirent au sol, battus à mort par la frustration et la colère. Les autres, immobiles, restaient là à contempler leur défaite d’une nuit, devant leur dieu impuissant. 

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