Partie 2 - 5

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 En partant de Belgi, je m’imaginais observer, quelques années plus tard, la planète Ition-g se détachant sur la toile noire de l’espace. Ce ne fut pas le cas. C’est sur ma couchette que je vécus l’arrivée en orbite et le terme de notre voyage interplanétaire.

 Nous avions oublié jusqu’à son existence. L’ouverture du sas de nos quartiers nous fit tous sursauter. Nos esprits nous avaient construit une image mentale terrible de nos geôliers. Nous attendions à voir surgir des visages malsains, des êtres dérangés, leurs faciès déformés par le plaisir sadique de leur puissance armée. Il n’en était rien. Rien ne les différenciait de nous, mis à part que nous étions au bout de leurs canons. C’est Olas, qui en qualité de décurion, prit l’initiative d’engager un échange. Il ne reçut qu’un simple signe de la main en guise de réponse. C’est en arrivant dans la coursive principale que nous prîmes conscience de la situation. Pour leur permettre de nous déposer en toute sécurité sans risque de rébellion, ils nous géraient par petits groupes. Ils mélangeaient les décuries pour éviter que de fortes affinités ne jouent en leur défaveur.

 Ainsi le débarquement sur Ition-g se déroula en navette et non dans une des graines. Prévues à l’origine pour ensemencer notre Nouveau Monde, elles étaient au nombre de trois. Une centurie de colons pouvait s’y installer confortablement. Elles offraient, dans les premiers jours de l’implantation humaine, le gîte et le couvert. Elles étaient un refuge à l’épreuve des pires situations. Nous étions pourtant étonnés qu’au sol, une résistance ne se soit pas créée. Petit à petit, nous serions en supériorité numérique. Bien qu’ils soient armés, nous pourrions reprendre en main la situation. Cependant, nous ne connaissions pas les gardes d’Ition-g. Avaient-ils déjà sur cette planète, des complices, des autochtones assez évolués pour accepter de garder des humains sous surveillance ? Non, ce qui gardait en respect les femmes et les hommes du camp Alpha, dociles et corvéables à merci, était d’une nature bien plus terrible. La peur et l’effroi seraient bien plus efficaces qu’une cinquantaine de mutins menés tambour battant par un petit homme à l’air insignifiant.

 Nous étions la prochaine décurie à quitter le Markind 55 Cancri pour rejoindre Ition-g. Malgré l’ambiance pesante et les regards inquisiteurs de nos surveillants, Matthias glissa discrètement deux ou trois blagues de son cru. Il réussit à nous faire pouffer de rire, Apolline et moi, à plusieurs reprises. Olas dut intervenir pour le calmer. Jorald avait cette impression étrange qu’ont les archivistes parfois. Il semblait avec nous sans l’être vraiment. Je compris plus tard par ses explications qu’il usait de sa mémoire eidétique. Une faculté poussée à l’extrême chez eux. Ils peuvent retenir des moments intenses d’un ensemencement dans les moindres détails, à cela, s’ajoute le ressenti qu’ils ont des scènes. Dès qu’il le pourrait, il relâcherait l’ensemble de son vécu pour enrichir l’Humania.

 Après nous être équipés de nos combinaisons lourdes, nous attendions le signal de départ. Ils avaient poussé le vice jusqu’à modifier le fonctionnement de la communication. Une fois le casque verrouillé, nous ne pouvions plus nous entendre les uns les autres par un canal de communication dédié. La seule voix qui nous guidait était celle d’un de nos surveillants. Même si elle était féminine, les ordres claquaient. Chacun vérifia son équipement et celui de ses voisins. Puis nous avançâmes dans le sas pour entrer dans la soute du véhicule. Toujours sous bonne garde, nous prîmes place dans les sièges prévus. Une fois fermement attaché, je tournai la tête pour apercevoir mes compagnons. Mon regard croisa celui d’Olas. Un simple clignement de l’œil me fit comprendre que nous ne pouvions rien faire de plus. Il fallait attendre et voir.

 Le décrochage de la navette se fit sentir par un léger mouvement. L’accélération fut à peine sensible. L’apesanteur et sa sensation furent de très courte durée. En revanche, l’entrée dans l’atmosphère itionnaise pouvait difficilement ne pas se faire remarquer. Nous fûmes secoués durement. Puis, le calme revint.

 Ce qui me marqua dès mes premiers pas sur Ition-g fut la rudesse de l’environnement. Les teintes grises et sombres des hautes montagnes nous entourant. Le sol semblait dur comme du métal : un monde minéral laissant peu de place à la souplesse. La ligne d’horizon semblait coupée au rasoir. Soudain, chacun d’entre nous, y compris les gardes qui nous encadraient, s’arrêta et fit un pas en arrière. La réaction était instinctive, inscrite au plus profond de nos gênes. Le même réflexe que lorsque nos lointains ancêtres se trouvaient à trop faible distance d’un prédateur terrible et impitoyable. En face de nous se dressait un des trois exemplaires en service du MART-MKD. Ses lignes anguleuses et son revêtement gris semblaient se fondre dans le paysage, comme s’il avait été créé pour ce monde. De fait, sauf preuve du contraire, sur cette planète, il était à la tête de la chaîne alimentaire. Désormais, nous comprenions mieux comment le faible nombre de mutins pouvaient maintenir leur emprise. Notre geôlier était de métal, et la peur son premier allié. 


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