Partie 1 - 1

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 Pour la grande majorité, nous étions des scientifiques, pas des combattants. Ce jour-là, nous avions peur. Nous étions transis. Nous avions trouvé refuge dans un terrain très accidenté, assez pour s’assurer un minimum de sécurité. En contrepartie, la marche avait été difficile et longue. Elle nous avait coûté Matthias, zoologue de notre décurie, au demeurant reconverti en guetteur. Sa blessure était trop importante pour que les systèmes passifs de sa combinaison puissent compenser. Il était parti sans douleur. Enfin, c’est ce qu’Arlord, notre biologiste, nous avait assuré. Pourtant, son masque mortuaire disait le contraire. C’est toujours difficile de perdre un des siens. Matthias avait pour lui d’être un chic type. Cela compliqua la phase de deuil.

 Nous étions vingt-trois désormais. Les premiers moments de l’ensemencement de notre nouveau berceau Ition-g nous semblaient bien lointains. Nous avions à peine dépassé la phase « Un » et nous aurions dû commencer à construire de nombreuses têtes de pont à la surface de cette singulière planète, la sixième du système Ition. Si toute cette folie ne s’était pas déchaînée. Je me souviens avec nostalgie de notre départ de Belgi. Nous portions l’espoir d’un nouvel horizon pour l’humanité. Le centre d’ensemencement avait formé nos esprits et l’humaniformation avait forgé nos corps. Malgré tout, nous n’étions pas préparés à fuir devant la fureur mécanique.

 Comme chaque jour depuis notre fuite du camp embryonnaire Alpha, je comptais nos rations de survie. Les parts de Matthias furent redistribuées équitablement. La nature itionnaise nous offrit quelques surplus. En chemin, nous avions récolté quelques baies comestibles. L’accès à l’eau potable n’était pas un problème. Les systèmes passifs de nos combinaisons légères étaient très efficaces. L’atmosphère d’Ition-g était plus riche en humidité que Belgi. Notre souci le plus important était le froid. Nous ne pouvions ni faire de feu ni activer nos combinaisons sous peine de nous faire repérer rapidement.

 Nous restions blottis les uns contre les autres à l’abri de hauts rochers, protégés du vent et cachés de la vue des sondes automatiques. Je me leva et donnai à chacun sa part. Certains me remercièrent, d’autres, les yeux hagards, prirent par réflexe sans dire un mot. Je donnai un coup d’œil rapide au-dessus d’un rocher. Le spectacle offert par cette chaîne montagneuse était sublime, les couleurs des différentes roches étaient éclatantes, tirant sur l’ocre, le noir et le blanc selon leur composition chimique. Les strates se succédaient, ondulées par la pression des roches. J’écourtai mon observation pour venir m’asseoir près de mon décurion, Olas Arbone. Son visage respirait d’habitude la bonhommie, mais depuis les événements tragiques et la perte de Matthias, ses traits étaient tirés et son teint se confondait avec les roches grises nous entourant. Je lui tendais le petit sachet contenant sa ration quotidienne.

 « Tiens Olas. Voici la part qui te revient. »

Il tenta un sourire sans succès.

 — Merci, prononça-t-il tout bas.

 — Ça va bientôt faire deux semaines. Raaah ! J’ai mal partout…, dis-je tout en accompagnant ma plainte d’étirements.

 — Moi aussi. Mais le plus dur, c’est d’avoir perdu Matthias.

J’acquiesçais d’un mouvement de la tête.

 — Je n’ai jamais aimé les machines. Une raison de plus de les détester.

 — Quand, j’y repense, l’autre salopard de centurion nous a bien eus avec sa clique de cinglés, s’exclama Olas.

 — Ils avaient préparé leur coup depuis Belgi. J’en suis persuadé.

 — Tu as sans doute raison, Valentin. Un truc comme ça, ça ne se pond pas du jour au lendemain. Du coup, ils sont les maîtres d’Ition-g avec leurs saloperies de robots tactiques.

 — J’espère que le Markind n’a pas subi de gros dégâts. Sinon, je ne donne pas cher de notre peau.

 — Non, je ne pense pas. Le peu que j’ai entendu au camp… bon ça date maintenant… laissait penser le contraire.

 — Tant mieux, Olas. »

 D’avoir parlé un peu, ça m’avait ouvert l’appétit. Je récupérai la petite poche et attrapai deux baies. Je les mâchai longuement pour tromper la faim.

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