60. Juju le Conquérant

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Julien

- Joyeux anniversaire Poussin !

Je le réveille en le couvrant de bisous et j’adore sentir sa petite bouille sous mes lèvres. Il me serre dans ses petits bras qu’il passe autour de mon cou sans ouvrir les yeux. Je profite de son câlin tendre et plein d’amour. Sophie vient ensuite nous retrouver dans le lit de Gabin et, elle aussi, lui fait des bisous pour le réveiller. Nous profitons de ce petit moment de bonheur, tous les trois ensemble.

Après un bon petit-déjeuner, je laisse mes enfants se préparer et envoie un SMS à Albane.

Toujours partante ?

Je me mets à la fenêtre en attendant sa réponse. Je me demande si elle va vraiment venir avec nous. Toute la semaine depuis notre dernier entretien, elle est restée fidèle à sa ligne de conduite de parfaite éduc. Elle a tout fait pour éviter les moments à deux, déléguant même le cours de français à Jamila pour ne pas avoir à passer ce temps avec moi. Je sais désormais que je vais essayer de tout faire pour la reconquérir, mais il y a toujours cette pensée qui trotte dans ma tête. Et si son mari réussissait à envahir à nouveau son cœur et à me vaincre sans que je puisse défendre notre relation ?

Bien sûr. Passe me prendre à 10h30. xoxo

Ça veut dire quoi ce XOXO, à la fin ? Elle m’embrasse ou alors c’est juste un truc qu’elle met comme ça, sans réfléchir ? Je ne sais pas, et ça a le don de m’énerver. Mais bon, la bonne nouvelle, c’est qu’elle va venir avec nous. Je n’avais rien dit à Gabin, de peur qu’Albane nous fasse faux bond au dernier moment, et je pense qu’il va apprécier la surprise. Il a sorti son épée en bois et il est en tous cas fin prêt pour sa journée. Il adore les chevaliers et tous les soirs, je lui lis des histoires du roi Arthur et de Sire Lancelot du Lac pour l’aider à s’endormir. Alors, la visite d’un vrai château, c’est sûr qu’il va se régaler !

A l’heure dite, je me gare devant chez Albane. J’ai mis un masque sur les yeux de Gabin pour qu’il ne sache pas où nous allons. Je comptais lui faire une surprise, mais Sophie m’en empêche quand elle s’exclame :

- On fait quoi, là ? Tu n’as quand même pas invité Albane ?

- Albane va venir ?

Je vois Gabin arracher presque son bandeau et rayonner de joie alors que ma fille se fige dans une moue typique d’une ado en pleine crise.

- Oui, Albane va venir, Poussin. Et oui, je l’ai invitée, Choupette. J’ai pensé que ça ferait plaisir à ton frère.

- Mais pas après tout ce qu’elle t’a fait ? Tu te rends compte que tu vas encore souffrir ?

- Écoute, ma chérie, je suis touché que tu prennes soin de moi, mais fais-moi confiance, tout va bien se passer. Albane n’est pas la seule responsable de notre… éloignement.

Je sors de la voiture et sonne chez Albane. Elle m’ouvre et j’en ai presque le souffle coupé tellement elle est belle dans sa petite robe vert pastel qui lui donne un décolleté à réveiller les morts !

- Bonjour Albane, tu es prête ?

- Bien sûr, je connais la ponctualité, Monsieur Perret, rit-elle en attrapant son sac à main et un petit paquet cadeau.

- Je te préviens, Gabin est fou de joie et Sophie pense que tu vas m’arracher le cœur. Et je n’ai pas d’armure pour me protéger !

- Je vais emmener Cravate pour amadouer Sophie, au pire, sourit-elle tristement.

- Pas sûr qu’ils la laissent rentrer dans le château. En tous cas, moi aussi, je suis content que tu viennes avec nous. Tu as au moins réussi à amadouer les hommes chez les Perret !

- C’est toujours ça, soupire-t-elle en fermant à clé avant de dévaler ses escaliers.

Je l’admire dans sa jolie robe qui virevolte derrière elle. Elle me manque, c’est sûr… Et j’espère que cette journée va nous permettre de renouer le dialogue. Depuis que Léopold m’a dit qu’elle était en train de divorcer, je meurs d’envie d’en savoir plus sur sa relation. J’aimerais tant qu’elle se confie !

Le chemin jusqu’à la ville de Falaise se fait dans une ambiance bon enfant. Albane et moi, nous reprenons les chansons de ma playlist et j’ai l’impression qu’une certaine complicité s’installe à nouveau entre nous. Derrière, Gabin essaie de chanter aussi un peu alors que Sophie reste silencieuse, le regard perdu sur la route. Plusieurs fois, Albane essaie de lancer une conversation qui pourrait l’intéresser, mais elle fait comme si elle n’entendait pas. Je suis triste pour Albane car je me dis qu’à cause de moi, le lien qui s’était créé entre elles deux semble être brisé.

Nous choisissons une petite pizzéria où je m’installe à côté de Sophie et en face de Gabin. Albane est ravissante, mais semble toujours essayer de garder ses distances avec moi. Elle répond à mes questions, mais je ne sens aucune spontanéité dans ses réponses. Elle est sur ses gardes, et elle me le fait sentir. Par contre, Sophie semble se laisser amadouer petit à petit. Elle commence un peu à répondre quand Albane lui pose des questions. Je me demande comment je pourrais faire pour lui faire comprendre que dans la vie, il peut arriver qu’on blesse quelqu’un malgré soi, et qu’il faut savoir pardonner et avancer. Je sais que moi, en tous cas, ma colère est retombée. J’ai l’impression, depuis mon échange avec Léopold, que j’ai en fait été un vrai con et je comprends qu’Albane puisse m’en vouloir. Mais secrètement, j’espère qu’elle saura me pardonner, et que nous pourrons reprendre une relation plus normale.

Le tiramisu arrive et le restaurant que j’ai prévenu ramène un mini-muffin avec une belle bougie qui étincelle. Gabin ouvre grand les yeux et nous chantons tous ensemble : “Happy Birthday to you!”.

- Joyeux anniversaire, Poussin ! Pas de gâteau ce midi, mais du bon tiramisu ! On va se régaler ! Et il ne faut pas trop traîner, après, la visite du château nous attend !

- Merci Papa !

Je lui fais un gros bisou et je vois que ma fille sort un petit paquet qu’elle remet à son frère. Il l’ouvre et y découvre un joli dessin de chevalier avec deux petits chevaliers en plastique, l’un vêtu de rouge, l’autre de jaune. Gabin a l’air aux anges et Albane semble apprécier ce petit moment familial qui fait si chaud au cœur. Elle sort à son tour le paquet qu’elle avait rangé dans son sac et le dépose devant mon fils.

- Pour rester dans le thème du jour, sourit-elle. Joyeux anniversaire Trésor.

- C’est quoi, Albane ? Tu es trop gentille !

- Ce n’est pas grand-chose, et beaucoup moins personnalisé que le cadeau de ta sœur, mais je suis nulle en dessin, moi.

Gabin déchire le paquet, toujours aussi excité devant des cadeaux, comme tout gamin de son âge, et pousse un petit cri de joie en découvrant un déguisement de chevalier rouge et gris, avec un heaume et un bouclier.

- Merci Albane !!! Papa, je peux le mettre tout de suite ?

Je souris, et je vois qu’Albane est contente d’avoir fait plaisir à mon petit poussin. Sophie semble heureuse aussi.

- Finis ton tiramisu et après tu pourras le mettre, oui. Comme ça, tu nous feras visiter ton château en tenue de chevalier !

- Oh oui ! Toi, tu seras le roi, Albane, la reine, et Sophie la princesse !

- Albane ferait une très belle reine, murmure Sophie doucement en regardant Albane et nous surprenant tous par sa remarque.

- Merci Sophie, mais tu sais, généralement, les princesses sont bien plus jolies que les reines, rit-elle.

- J’espère que je serai comme toi quand j’aurai ton âge, Albane.

Je n’en reviens pas et Albane non plus. Non seulement, ma fille a enterré la hache de guerre, mais elle lui fait des compliments. J’aimerais pouvoir lui demander ce qu’il se passe, mais Gabin, tout excité, a enfilé sa tenue et le serveur ramène l’addition. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous nous retrouvons dans la rue et nous nous dirigeons tous les quatre vers le château. J’ai la main de Gabin dans la mienne et j’observe Albane qui a passé son bras autour des épaules de Sophie devant nous. Elles rigolent ensemble et cette vision me fait un plaisir immense. Et non, ce n’est pas parce que je peux aussi admirer le joli petit cul de mon éduc. Promis !

La visite du château commence et le guide débute en indiquant qu’aujourd’hui, c’est le jeune prince chevalier qui va faire visiter son domaine. Et il demande à Gabin de venir à ses côtés pour l’assister dans la visite. Je prends quelques photos de mon fils, tout fier devant tout le monde. Sophie, bonne élève, s’est aussi approchée du guide qu’elle écoute presque religieusement. Je reste un peu en retrait avec Albane, et nous entrons dans la cour du château avant d’aller découvrir l’intérieur. Je tente de prendre la main d’Albane dans la mienne, mais elle me repousse et me jette un regard dissuasif. Je me permets quand même de lui adresser la parole, tout bas, pour ne pas déranger la visite guidée.

- Je suis content que tu sois venue, Albane. Cela rend la journée pour Gabin encore plus magique ! Surtout maintenant qu’il a un beau costume !

- Possible, même si je ne doute pas qu’il préfèrerait avoir sa maman auprès de lui, petit coeur… Enfin, pas que je sois jalouse, hein ! Je suis juste triste pour lui…

- Tu sais qu’il ne parle jamais de sa mère, mais tout le temps de toi ? Il demande si tu vas venir nous voir quand on aura une maison. Je lui ai dit que je ne savais pas… Je n’ai pas voulu m’avancer.

- Qui sait, dit-elle en haussant les épaules. J’aime jouer la flicaille… Julien, je peux te poser une question ?

- Oui, tu verras, je suis incollable sur l’histoire de Guillaume le Conquérant ! Je t’écoute.

J’essaie de faire un peu d’humour, mais je suis intrigué. Qu’est-ce qu’elle va me demander ? Je pose mon regard sur elle pendant que nous entrons dans le donjon principal du château, sous d’imposants murs de pierres.

- Un jour, tu m’as dit que… Ta femme avait failli tuer vos enfants, murmure-t-elle en regardant autour d’elle pour être certaine de ne pas être entendue. Qu’est-ce que tu as voulu dire, par là ?

Je reste silencieux un moment et fais mine d’être absorbé par l’étude d’une peinture montrant un portrait de Guillaume le Conquérant. J’attends un peu que le reste du groupe soit plus éloigné pour me tourner vers Albane et je me décide à lui répondre honnêtement. Cela fait trop longtemps que j’essaie de tout garder en moi, et cela me fera du bien d’en parler à quelqu’un.

- Si je te réponds, tu dois à ton tour répondre à une de mes questions après. Deal ?

- Deal, soupire-t-elle.

Je prends mon temps pour lui répondre, ce n’est jamais facile à raconter, ce genre de choses. J’hésite à tout lui dire, mais je vois qu’elle a vraiment envie de savoir… Qu’elle en a besoin, peut-être, afin de mieux comprendre qui je suis, comment j’en suis arrivé là où je suis. Alors je prends mon courage à deux mains et je me lance :

- Je t’ai dit qu’elle était folle, n’est-ce pas ? Eh bien, un jour, une voix lui a parlé et lui a dit que le monde allait s’arrêter et qu’il fallait sauver les enfants pour ne pas qu’ils souffrent. Elle leur a préparé un bon gâteau et leur a fait croire qu’ils allaient juste passer un bon moment ensemble. Elle leur a fait boire un mélange de ses médicaments. Elle a pris une forte dose aussi. Moi, je n’ai rien vu venir, je n’ai pas su voir les signes. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle avait un problème… Alors, quand je suis rentré chez moi et que personne ne m’a répondu, j’ai couru dans la chambre des enfants. Je les ai vus tous les deux couchés dans leur lit respectif, avec leur mère étendue par terre, entre les deux lits. J’ai appelé les secours, j’ai essayé de les réveiller en les attendant, mais impossible. Je me suis senti si impuissant… Tu ne peux pas imaginer comme je m’en suis voulu de ne pas avoir su protéger mes enfants…. C’était horrible. Et c’est comme ça que j’ai plongé après… Jusqu’à en arriver à dormir dans ma voiture avec eux plutôt que de retourner près de ma femme…

Je n’ose pas regarder Albane et j’ai l’impression que le profil aquilin de Guillaume le Conquérant sur le portrait me juge à son tour, maintenant qu’il a entendu à quel point je n’ai pas été à la hauteur. Je suis sûr que lui, qui a conquis l'Angleterre, aurait mieux su faire face à la situation. Je soupire et me rends compte que le reste du groupe est maintenant vraiment éloigné et que je suis seul avec Albane. Je porte enfin mon regard sur elle, m’attendant à ce qu’elle me juge à son tour comme un père indigne, incapable de protéger ses enfants.

- Tu leur as sauvé la vie, ce n’est pas rien, murmure mon éduc en attrapant ma main. Sans toi ils ne seraient plus là, si ça ce n’est pas les protéger…

- Mais j’aurais pu arriver trop tard ? J’aurais dû voir que ma femme était folle… Enfin, tu comprends pourquoi ils ne parlent pas trop d’elle, en tous cas… Et il faut qu’on se dépêche, sinon on va perdre le groupe !

- Tu es arrivé à temps, c’est tout ce qui compte. Arrête de te punir pour une chose dont tu n’es pas coupable.

Albane me sourit et reprend la marche en direction du groupe. Je la suis et quand je lui tends la main, elle la prend, toujours en me souriant. Je ne peux m’empêcher de me dire que j’ai au moins réussi à lui faire abandonner pendant quelques instants la position d’éduc qu’elle avait réussi à tenir ces derniers temps. Nous rejoignons le groupe et nous arrivons dans une salle où se trouve une exposition sur la Belle et la Bête. Je me tourne vers elle et je me dis qu’elle pourrait tout à fait jouer le rôle de Belle. A défaut d’être aussi héroïque que Guillaume le Conquérant, je pourrais peut-être prétendre au rôle de la Bête ?

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