44. Son autre visage

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Julien

Je rumine seul dans mon studio. Depuis l’entretien tout à l’heure avec Albane, je suis une boule de nerfs ambulante. Je le sens, je n’arrive pas à me contrôler. Entre cet entretien de merde où elle m’a orienté vers un psy et traité comme de la merde en me renvoyant chez moi, et ma folle de femme que ses parents veulent soigner pour me faire rentrer à la maison, la queue entre les pattes, je me dis que je suis vraiment pas sauvé. Et dire que je croyais que tout allait bien se passer ! C’est fou comme jouir, ça fait perdre tous les neurones chez un mec, quand même !

Je repense à l’anniversaire de Sophie. A cette tentation à laquelle nous n’avons pas su résister. A la façon dont nos corps se sont épousés et se sont trouvés. Dès que je ferme les yeux, je revois les courbes d’Albane se cambrer sous mes baisers. J’entends à nouveau les gémissements qu’elle a poussés quand j’ai joui au fond d’elle. Quel con j’ai été de croire que ça suffirait pour que tout change dans ma vie ! C’était pourtant tellement bon… Rien que d’y penser et malgré le coup de froid du début d'après-midi, je bande. Si seulement elle pouvait oublier qu’elle est éduc et qu’on puisse profiter de la vie un peu. Mais non, elle est là à toujours me rappeler ce que je dois faire, à me donner des conseils que je n’ai pas envie d’entendre ! Bon, elle a raison, sûrement. Elle ne s’est pas beaucoup trompée depuis qu’elle est devenue ma référente, mais elle fait chier à avoir toujours raison !

Je tourne en rond dans ma pièce et finis par m’installer devant mon chevalet, prendre le pinceau et regarder la toile que j’ai commencée. Mais je ne vois que le visage d’Albane en colère. Je ne vois que ses yeux blessés qui me demandent de rentrer chez moi, mettant fin à l’entretien alors que je viens de lui dire que j’ai envie de vivre quelque chose avec elle. Je me suis peut-être trompé, en fait. Peut-être qu’elle veut juste baiser et rien d’autre. Et le pire, c’est que même ça, je serais prêt à l’accepter. J’ai pas eu énormément de partenaires dans ma vie, mais avec elle, c’est l’extase comme je ne l’ai jamais connue ! Faut que j’arrête de penser à elle. J’aurais dû aller avec Sophie et Gabin au goûter organisé par Jamila pour l’anniversaire des enfants nés ce mois-ci. Ça m'aurait changé les idées. Parce que là, c’est pas folichon. Quand j’arrive à oublier Albane cinq minutes, je pense à ma femme. Comment j’ai pu être aveugle à ce point là ? Et comment notre relation pourrait-elle survivre ou renaître suite à sa trahison et à ce qu’elle a fait subir à mes deux loustics ? Impossible. Et pourtant, peut-être devrais-je en parler avec Sophie et Gabin et voir ce qu’ils en pensent ? Qui suis-je pour les priver de leur mère, aussi indigne soit-elle ?

Je repose mon pinceau sans avoir dessiné le moindre trait. La sérénité qui s’empare de moi habituellement quand je peins n’a pas daigné montrer le bout de son nez. Il faut que je retourne voir Albane. Je dois lui parler. Si on reste sur cet entretien, je peux dire adieu à mes rêves de vie à deux… Ou même à nos galipettes étourdissantes ! J’attrape mes clés sur la table et j’ouvre la porte brusquement pour foncer au bureau, mais, pris dans mon élan, je me retrouve à bousculer Albane qui était la main levée, prête à toquer à ma porte. Je la rattrape de justesse en la maintenant par les hanches pour éviter qu’elle ne tombe et je parviens à rester debout, presque miraculeusement.

- Albane ? Qu’est ce que tu fais là ? Je ne t’ai pas fait mal ?

- Je… J’ai fini le boulot, je venais te voir…

- Si tu as fini le boulot, c’est chez toi qu’il faut aller, pas chez moi.

Je relâche mon étreinte et je me recule d’un pas, pour recréer un peu de distance entre elle et moi. J’étais parti pour aller m’engueuler à nouveau avec elle, mais cette bousculade me laisse un peu sans voix.

- Je viens voir comment tu vas… Paraît que tu t’es engueulé avec ton éduc et qu’elle te fait chier, donc je viens t’apporter mon soutien…

- Mais qui a bien pu te dire ça ? J’allais descendre pour aller m’engueuler un peu encore avec elle… Si tu savais comme elle m’a jeté tout à l’heure, tu serais révoltée !

J’entre dans son jeu, amusé. Au moins, elle a le chic pour désamorcer les bombes avant même que je ne les lance.

- Sans vouloir prendre sa défense, je crois qu’elle a un cœur elle aussi et qu’il était un peu en train de souffrir, dit-elle avec un petit sourire gêné.

- Je crois que tu es partiale, là. Une éduc, ça n’a pas de cœur. C’est payé pour faire chier les gentils résidents qui galèrent et qui ne se rendent pas compte qu’ils sont parfois un peu cons. Tu as le temps pour entrer un peu ? Il faut qu’on parle. Mon éduc m’a traumatisé et j’ai besoin d’un peu de réconfort.

- Je vais te faire une place dans mon planning alors, acquiesce-t-elle.

Je passe ma main sur sa hanche et la laisse passer devant moi pour la faire entrer dans mon appartement. Je la sens frémir au contact de mes doigts et ça me rassure un peu sur ce qu’elle peut ressentir pour moi. Je referme la porte doucement derrière moi, puis attrape sa main et je l’attire contre mon torse pour l’embrasser. Mes lèvres se posent sur les siennes et je ne sens aucune réticence de son côté. Elle passe ses bras autour de mon cou et répond à mon baiser tendrement et sensuellement. Les battements de mon cœur accélèrent et je la serre fort contre mon torse. Je suis aux anges mais cela ne dure pas et elle me repousse, un peu haletante.

- Voilà, pour le réconfort, Monsieur Perret. Maintenant, il faut qu’on parle.

- Je crois que je suis encore un peu traumatisé, là… Il n’y aurait pas encore un peu de réconfort qui traîne ?

- Peut-être un peu plus tard. Faut vraiment qu’on discute, Julien, s’il te plaît…

- Ouais. Tu as raison. Pourquoi tu m’as envoyé chier tout à l’heure ? Tu sais que me faire ça, à moi, c’est quasiment m’envoyer au suicide ?

- Et tu te poses parfois la question de savoir ce que ça me fait, à moi, ton attitude ? De recevoir toutes tes remarques ? Tu m’as dit que je te faisais chier, bon sang, tu crois quoi, que je vais m’écraser et dire amen à tout ? Désolée, t’as frappé à la mauvaise porte si tu cherches une plante verte.

- J’ai peut-être frappé à la mauvaise porte quand j’ai frappé ici.

Je bougonne plus pour la forme et je me dirige vers la fenêtre pour éviter son regard. J’avais juste envie de la reprendre dans mes bras pour la câliner et la réconforter parce qu’elle a raison au fond. Mais bon, je ne peux pas me permettre ça, sinon, le mythe du Papa Ours va s’effondrer pour elle. Je l’entends bouger derrière moi et elle se rapproche de la toile sur laquelle j’étais en train de travailler. Mince ! Il faut que je l’en empêche, sinon, je vais encore devoir m’expliquer…

- Albane, pourquoi on n’arrive pas à s’entendre dès que tu es dans ton rôle de flicaille ?

Ok, ce n’est pas la meilleure idée que j’aie jamais eue, mais c’est la seule question qui m’est venue en tête. Et elle a au moins eu le mérite de l’arrêter dans son élan. Avec un peu de chance, je vais pouvoir aller recouvrir la toile sans qu’elle ne s’en rende compte.

- Peut-être parce que tu te braques dès que je fais mon boulot. Je ne suis pas juste bonne à écarter les cuisses, Monsieur Perret, tu m’en vois désolée.

- Tu es pourtant une experte quand tu es nue, Madame l’éducatrice, dis-je d’une voix plus rauque que je ne l’aurais souhaité. Tu trouves vraiment que je me braque ? Pourtant, je t’ai dit à toi tellement plus de choses qu’à n’importe qui d’autre !

- Réfléchis à la façon dont tu m’as parlé tout à l’heure et dis-moi qu’à ma place, tu serais resté calme, peut-être ?

- Non, je me serais mis une claque… Mais c’est de ta faute aussi à poser les questions qui dérangent ! Moi, je voulais juste un câlin…

- On n’est pas dans le monde des bisounours, beau brun. Ce n’est pas avec des câlins et des parties de jambes en l’air qu’on peut résoudre les problèmes.

- Non, mais ça permet de les oublier, jolie brune.

Elle est forte. Très forte. Malgré ma volonté de rester inaccessible, elle parvient à me détendre et à me dérider. Et elle fait tomber toutes mes barrières, plus vite que je ne peux les reconstruire. Je suis complètement à sa merci et j’adore cette sensation que je peux être moi-même avec elle. Que je peux m’énerver, crier, la bousculer, et que malgré tout ça, elle est là. A mes côtés. Elle sait me remettre en question quand je déconne mais elle n’abandonne pas le combat. Elle ne m’abandonne pas, moi, et c’est surtout ça qui me plait. Un peu perdu dans mes pensées, je ne l’ai pas vue se rapprocher de la toile.

- Oh, mais tu as presque fini cette toile ! C’est… Monsieur Perret, qu’avez-vous donc dessiné ?

Mince, elle est revenue au Monsieur Perret. Ça sent pas bon, ça. Je sens que je vais galérer à expliquer comment je me suis retrouvé à la peindre, nue, sur un lit. Je ne peux quand même pas lui dire que c’est juste la vision de rêve que j’ai toujours en tête dès que je ferme les yeux ? Elle me prend déjà assez pour un fou comme ça !

- C’est une étude sur les drapés et les courbes, rétorqué-je en essayant de rester sérieux.

- Je vois… J’imagine que tes enfants n’ont pas la curiosité de venir voir tes peintures ?

- Non, tu penses bien. Ce ne sont pas des peintures accessibles à tout le monde !

Je mens. Je n’ai pas du tout pensé à ce que les enfants pourraient penser de cette peinture s’ils la voyaient. Ils n’ont jamais regardé car d’habitude je la cache sous un drap, mais c’est vrai que je n’ai pas non plus pris de précaution particulière. Je ne pense pas que Gabin irait voir, mais Sophie est à un âge où la curiosité est importante. Quel risque j’ai pris ! Je fais le fanfaron devant Albane, mais je n’en mène pas large.

- Tu es doué de tes mains, Julien, c’est fou… J’ai hâte de le voir terminé.

- Tu aimes vraiment ? Tu ne m’en veux pas ?

- Pourquoi je t’en voudrais ? Et ce n’est pas une question d’éduc, ne t’énerve pas...

- Je ne sais pas. Tu pourrais le voir un peu comme si j’avais volé ton intimité… Mais je t’assure que ce n’est pas ça du tout… C’est juste que…

Je m’arrête dans ma phrase. Comment lui dire sans la faire flipper à nouveau qu’elle est juste parfaite à mes yeux ? Comment lui faire comprendre que j’adore chaque repli de sa peau, chaque ombre dessinée par ses courbes voluptueuses, chaque arrondi mis en valeur par sa féminité qui fait chavirer mon cœur ?

- C’est juste que tu es trop belle Albane et que je voulais te rendre hommage. J’ai pas réfléchi au fait que ça pouvait nous mettre en danger… Je suis vraiment désolé.

- Hum… Je n’avais même pas pensé à ça, en fait. Je me disais juste que… Que j’aimerais me voir à travers tes yeux, parfois, soupire-t-elle, les yeux perdus sur la toile. Ça… J’ai du mal à croire que tu t’inspires de moi.

- Si tu te voyais à travers mes yeux, tu verrais quelque chose d’encore plus beau, Albane. Ce ne sont que les rendus qu’on peut faire avec un pinceau et un minimum de technique. Dans mes yeux, tu es parfaite. Enfin, tu es un peu chiante parfois, mais ça ne fait que rajouter à tout ce qui fait que tu m’attires. Je n’ai pas de mal à retranscrire tout ce que je vois parce que, dès que je ferme les yeux, je te vois. Dès que je les ouvre, je te vois aussi.

- Le désir te fait dire n’importe quoi, rit-elle, semblant mal à l’aise.

- Non, le désir me fait t’avouer des choses que je devrais sûrement garder pour moi.

Je la frôle en allant ramasser le drap qui trainait par terre pour le remettre sur la toile. Je ne sais pas ce que je ressens exactement. Du désir, c’est sûr. Depuis qu’elle est rentrée, mon corps est en feu et mon sexe comprimé me fait durement réaliser qu’il est trop à l’étroit. Mais ce n’est pas qu’un désir physique que j’éprouve. J’ai l’impression que tout mon être la réclame. Que mon âme a envie d’être aspirée par la sienne. Je plonge mon regard brûlant dans le sien, sans un mot.

- Je crois bien que tu gardes déjà trop de choses pour toi. Au moins, là, j’ai la version longue et sans énervement.

- Tu sais qu’avant tout ça, je ne m’énervais pratiquement jamais ? La rue, les épreuves m’ont fait changer. J’ai dû m’endurcir. Mais avec toi, j’ai l’impression que je peux laisser tomber les barrières. J’y arrive pas toujours. Je suis pas toujours dans le bon timing ou dans les bonnes attitudes. Mais tu fais déjà des miracles avec moi…

- T’es parfois blessant, et le problème c’est que moi je dois faire avec. Si tu n’étais qu’un simple résident, ça ne me ferait rien, ou presque. Mais c’est toi, et ça fait mal. Alors je crois qu’on va devoir s’adapter autant l’un que l’autre à la situation...

Mon regard doit s’illuminer à ses simples paroles. Je ne suis pas qu’un simple résident pour elle. Si je la touche tant que ça, c’est que je dois être plus qu’un simple plan baise… Je n’en reviens pas comme cette petite phrase fait un effet énorme sur mon bien-être, sur ma confiance en moi. Je m’approche d’elle et l’enlace tendrement.

- Albane, je veux te promettre quelque chose, là maintenant. Je vais tout faire pour éviter de te blesser parce que tu mérites mieux que ça de ma part. Je ne suis peut-être qu’un ours mal léché, mais je ne suis pas non plus un grizzli atroce et méchant. Et si je dérape, n’hésite pas à me le dire, mais s’il te plaît, ne m’abandonne pas. Je ne suis pas sûr de pouvoir survivre à un nouvel abandon…

- Je suis là, non ?

- Oui, c’est vrai. Embrasse-moi, j’ai trop besoin d’un bisou. Ça fait trop longtemps et je suis déjà en manque de tes lèvres !

- Hum… Je le fais parce que j’en ai envie, surtout pas pour te faire plaisir, sache-le !

Albane me sourit, taquine, et glisse sa main sur ma nuque pour m’attirer contre ses lèvres. Si j’avais espéré un baiser franc et entreprenant, c’est une simple caresse à laquelle j’ai droit, avant d’attraper ma lèvre inférieure entre ses dents et de la tirer doucement. Je me contrôle pour ne pas la plaquer contre le mur pour prendre possession de cette bouche brutalement, et la laisse m’aguicher gentiment, grognant lorsque sa langue passe sur ma lèvre sans jamais se montrer plus entreprenante. Elle recule alors que j’espère qu’elle va enfin se laisser aller à davantage de passion.

- Faut que je file, je vais être en retard à mon rendez-vous, Monsieur Perret.

- Tu peux pas me laisser comme ça ? Tu m’aguiches et tu vas partir ? J’ai envie de toi, Albane…

- Crois-moi, je préfèrerais grandement écarter les cuisses devant toi plutôt que devant mon gynéco, rit-elle avant de déposer ses lèvres sur ma joue rapidement.

J’ai envie d’elle. Elle arrive en quelques mots, avec une expression, une caresse, un regard, à me rendre fou de désir. Si je m’écoute, je la plaque là contre la porte et je glisse ma main sous ses vêtements pour la caresser. Si je laisse mon désir parler, elle va se retrouver nue contre moi à m’embrasser. Si je cède à la tentation, je vais jouir au fond d’elle pendant qu’elle me reçoit avec passion et m’invite à continuer encore et encore. Mais je n’ai pas le temps de mettre ces désirs à exécution qu’elle ouvre déjà la porte et sort rapidement. Elle me jette un dernier regard en ouvrant la porte, m’adresse un petit bisou qu’elle projette vers moi en soufflant sur sa main ouverte, puis file avant que j’aie pu me rendre compte de ce qui venait de se passer. Autant j’ai du mal avec Albane éduc, autant je me demande comment je pourrais désormais imaginer un avenir sans la femme merveilleuse qui me plaît tant.

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