30. L'antre de la flicaille

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Julien

Je suis dans la voiture. Je n’ose pas démarrer. J’ai encore trop les mains qui tremblent. J’ai imaginé le pire quand je n’ai pas vu rentrer Sophie. Elle m’avait dit qu’elle passait le début de la soirée chez Louise. J’avais tout fait. Pris le numéro de Louise, son adresse, fait jurer à Sophie de rentrer juste après… Et tout ça n’a pas suffi. Quand j’ai appelé le numéro, c’était un faux numéro. Une invention de Sophie sûrement. Quand je suis allé à l’adresse indiquée, c’était un champ avec des vaches… Fichue Normandie… Des vaches partout, mais pas ma fille ! J’ai paniqué alors. Je suis revenu rapidement au CHRS et j’ai voulu frapper chez tous mes voisins. Mais je me suis retenu. C’est Jordan qui est de soirée… Et sûr qu’il y a quelqu’un qui serait allé le voir… Plusieurs fois, j’ai pris mon téléphone et composé le dix-sept avant de raccrocher en entendant la petite musique…

Finalement, j’ai appelé la seule personne en qui j’ai un peu confiance. Quel soulagement d’apprendre que Sophie était avec elle ! Mais aussi quelle incompréhension ! Comment ma fille a-t-elle fait pour trouver l’adresse de son éduc ? Moi, avec son nom, j’ai rien trouvé. Non pas que j’ai fait des recherches suite à sa visite à la librairie… Enfin… Juste un peu… Mais rien. Rien de rien. Pas de page Facebook. Pas de compte sur les réseaux sociaux. Pas listée sur les pages blanches. Juste une mention sur un article de presse pour un projet de voyage avec des adolescents, quand elle était en stage sûrement… Cette femme est un mystère et encore plus ce soir. Elle m’a sauvé avant même que je ne l’appelle. Comment fait-elle ?

Je me ressaisis et prends la route. Elle habite tout près du CHRS et j’y suis en quelques minutes. Je me gare dans un crissement de pneus dans la petite courée et je sors, telle une furie, pour aller retrouver ma fille. Sympa, la baraque, ça paie bien finalement le boulot d’éduc. Alors que je m’apprête à frapper à la porte, j’entends mon nom dans mon dos et me retourne pour constater qu’Albane se trouve sur un petit balcon, au-dessus du garage. Ok, jugement hâtif. Elle vit vraiment au-dessus d’un garage ? Bref, ce n’est pas la question. Je fais demi-tour et grimpe les escaliers rapidement pour la retrouver, me plantant devant elle. Albane qui me sourit et pose rapidement sa main sur mon torse alors que je fais un pas de plus pour entrer retrouver ma fille.

- Doucement, Julien ! Il faut qu’on parle avant que tu ailles voir ta fille.

J’ai pas envie d’aller doucement. Je veux voir ma fille. Je veux la serrer dans mes bras, être sûr qu’il ne lui est rien arrivé, la réconforter, lui dire que je suis là. Mais je prends sur moi et m’arrête dans mon élan.

- Elle va bien ?

- Elle dorlote une boule de poils avec le sourire, donc ça va. C’est au collège que c’est compliqué…

- Au collège ? Elle a des mauvais résultats qu’elle me cache ? Je peux rentrer et aller la voir ? Pourquoi elle est venue te voir et pas moi ? Pourquoi le collège ne m’a pas appelé ? Qu’est ce qu’il se passe ?

Je sens que je suis à nouveau en train de paniquer. Il faut que je me calme et que les paroles d’Albane s’impriment dans mon esprit. Elle est là. Elle va bien. Tout va bien.

- On va aller se poser dans mon salon, tu veux ? Il fait froid et tu dois te calmer. Promets-moi de ne pas ruer comme une furie dans la chambre, Julien. Je t’explique tout et ensuite, tu vas voir ta fille. Elle a besoin d’un papa calme et à l’écoute, pas de te voir paniquer et t’énerver. D’accord ?

La première chose qui me vient en tête quand elle me parle de sa chambre, c’est que j’ai envie d’y foncer. Même dans ces moments-là, mon esprit carbure et ne pense qu’à une chose, partager un lit avec elle. Quel père indigne !!! Je me fais honte à moi-même… Mais heureusement, je ne dis rien. Et puis, quand elle me dit qu’elle a froid, je réalise qu’en effet, elle ne porte pas grand chose. Un tee-shirt ample et un petit short de pyjama sous un gilet en laine même pas fermé. Je la trouve craquante… Et je me dis en même temps que c’est fou ce qu’on lui fait subir. Elle ne dit rien, elle nous accueille, mais la voilà à presque vingt heures trente à devoir travailler. Je la suis pour qu’elle puisse au moins refermer la porte.

- Albane, je suis vraiment désolé de t’importuner à cette heure… Tu es chez toi, tranquille et nous on débarque, on crie, on pleure… Je vais aller récupérer Sophie tout de suite et te laisser tranquille. On discutera demain… Ou la prochaine fois que tu travailles… Ça vaut mieux..

- Viens t’asseoir, soupire-t-elle sans m’écouter. Ma soirée, c’était un bouquin et des lasagnes, un peu d’action ne me dérange pas.

- Tu es sûre ?

- Puisque je te le dis…

Elle s’installe dans le canapé et tapote la place à côté d’elle. Je ne réfléchis pas plus et je m’affale à côté d’elle en soupirant.

- Oh Albane… Si, quand elle a un problème, ma propre fille vient voir une éducatrice plutôt que son père, c’est que j’ai merdé quelque part non ? Quel père ça fait de moi, ça ?

- Juste un papa d’adolescente, rien de si terrible. Un papa un peu paumé qui se bat pour s’en sortir. Comment ça se passe avec la psy ?

- Très bien. Elle me dit qu’il faut que j’arrête de me lamenter ! Comme toi, elle dit que je fais déjà beaucoup… Mais ça suffit pas, si ? Sinon, pourquoi elle est ici, Sophie, et pas dans son lit ?

- Julien, on fait avec ce qu’on est, ce qu’on a et ce qu’on a reçu. Arrête de culpabiliser. Un groupe de filles lui cause des soucis au collège. Elles savent qu’elle vit dans un centre, du coup elles en profitent et ne sont pas très agréables avec elle.

- Oh les petites connes ! Je vais aller leur dire deux mots, moi !

- J’aurais dû te filmer pour te montrer pourquoi Sophie a préféré venir me voir moi, dit-elle en me faisant un clin d'œil. Elle ne veut pas qu’on intervienne, elle a peur des représailles.

Je regarde Albane juste à côté de moi. Maintenant qu’elle m’a dit de quoi il s’agissait, je sens mon inquiétude redescendre. Je reprends pied avec la réalité. Ma fille va bien et il y a un souci au collège. Je sens la tension de ces dernières heures disparaître. A la place, juste un grand soulagement. Mon regard erre sur ma référente, toujours très calme et avenante. J’aperçois ses jolies jambes, qu’elle a repliées sous elle. Ces jambes qui enserraient mes hanches lorsqu’elle me chevauchait... Je ne peux m’empêcher de repenser une nouvelle fois à son corps si désirable et si proche de moi, mais me secoue mentalement la tête avant de reprendre plus sereinement :

- J’ai l’air bête, là, non ? Si tu veux faire placer mes enfants, tu as tout ce qu’il te faut désormais… Et le pire, c’est que je sais que tu ne vas pas le faire. C’est dingue, mais je crois que je commence à te faire confiance !

- Je n’ai strictement rien de concret pour faire placer tes enfants Julien, arrête avec ça bon sang, s’agace-t-elle et j’ai presque envie de sourire en voyant ses sourcils froncés. Tu leur fous la trouille à dire de pareilles conneries. Il faut que tu intègres que ce n’est pas parce que toi ou tes gosses demandez de l’aide, qu’on va faire un signalement. Tu m’épuises, je te jure, tout le monde ne te veut pas du mal !

- Désolé Albane… Je te jure que je fais des efforts… Mais moi, quand j’étais gamin, j’ai parlé à une assistante sociale… Et j’ai plus vu mes parents pendant six ans… Je ne veux pas faire vivre ça à mes gamins… Tu peux comprendre ça ?

- Je peux le comprendre maintenant que tu me le dis, oui… Je ne suis pas devin, tu sais. J’avais bien compris que tu avais un truc avec les services sociaux, mais je ne savais pas quoi. Bref, peu importe, tu n’as pas de raison de t’inquiéter pour la garde de tes enfants, Julien... Pour Sophie, on bosse pas mal avec le collège alors je vais essayer d’avoir un rendez-vous pour les avertir de ce qui se passe.

- Tu crois que ça suffira ? Et tu crois que je peux voir ma fille maintenant ?

- J’espère vraiment que ça suffira… Sinon il faudra qu’on donne des noms et je doute que Sophie apprécie… Vas-y, bien sûr, maintenant que ta tension ne frôle plus le plafond, c’est la porte du fond.

Je ne peux m’empêcher de lui sourire en me levant. Elle arrive toujours à me calmer, à faire redescendre la pression, même si là, j’ai une vue plongeante sur son décolleté et je m’aperçois qu’elle n’a même pas de soutien gorge… Je peux vous dire que la tension remonte tout de suite, même si ce n’est pas la même qu’il y a quelques instants. Elle se penche en avant pour récupérer son chocolat chaud et je me mets à bander tellement elle est belle et excitante dans sa petite tenue de nuit… Je me morigène intérieurement. Je ne suis pas venu ici pour me faire plaisir, mais bien pour m’occuper de ma fille.

A contre coeur, je me défais de cette vision de rêve et me dirige vers la chambre. Je toque doucement avant d’entrer.

- Sophie, viens dans mes bras, ma fille ! Je suis là. C’est fini tout ça. Albane m’a tout expliqué. Tout va bien aller maintenant.

Quand ma fille me saute dans les bras et enfouit sa tête dans mon cou, je sens tout mon amour pour elle me remplir. C’est comme si j’étais redevenu le super héros qu’elle adorait quand elle était petite et que notre vie était normale. Je profite de ce moment où père et fille se retrouvent, se câlinent. Dans cette chambre bien décorée, qui ne ressemble pas à une pièce d’un centre d’hébergement, on pourrait presque croire que nous sommes dans la chambre de Sophie, un peu comme des gens normaux.

- Papa, je suis contente que tu sois là. Tu ne m’en veux pas trop de t’avoir menti ?

- T’en vouloir, non... Mais par contre, tu ne recommences jamais ! Tu m’as fait une de ces peurs !

- Oh Papa, promis, je ne le ferai plus… Mais tu as vu, chez Albane, c’est trop cool ! On peut avoir un chat nous aussi ?

- Oh Sophie… Ce n’est pas le moment… Il faut qu’on rentre et qu’on aille récupérer Gabin chez Asma… Prends tes affaires et on y va.

Je me relève alors et me retrouve nez à nez avec Albane qui vient voir ce qu’il se passe, le regard attendri.

- Tout va bien, Albane, je vais rentrer avec Sophie et on va arrêter de te déranger chez toi.

- Bien, comme vous voulez, dit-elle en haussant les épaules. Dommage, j’ai des lasagnes à profusion, j’allais vous proposer de les partager avec moi.

- Des lasagnes ! Papa, dis oui ! J’ai faim !

- Non, ma chérie, on ne peut pas s’imposer comme ça chez les gens. Ça ne se fait pas…

Je regarde ses yeux suppliants et je ne peux que céder face à cette demande… Elle a l’air de vraiment apprécier être chez Albane. Mais si on reste, comment je fais, moi, pour résister à son charme ? Je ne suis qu’un homme et je sais à quel point elle est délicieuse… Bien plus que les lasagnes en tous cas !

- Albane, tu es sûre que ça ne te dérange pas ? On a déjà bien abusé de ton hospitalité…

- Je compte sur vous pour m’inviter à boire un chocolat chaud un de ces jours pour me remercier. Allez, venez manger, il se fait tard, Sophie a école demain…

Et c’est comme ça qu’on se retrouve à manger tous les trois autour de la table. Sophie n’arrête pas de parler alors que moi, je reste silencieux et j’observe Albane lui répondre de manière enjouée. Elle a presque l’air heureuse qu’on soit là, avec elle, alors qu’on est en train de lui ruiner sa soirée. En tous cas, les lasagnes sont excellentes et je me régale. Je pense que toutes les émotions vécues m’ont creusé l’appétit. Et quand Albane nous offre une glace en dessert, ni Sophie, ni moi ne refusons. Je savoure un cône au chocolat pendant qu’Albane et Sophie préfèrent celui à la vanille. Je ne vous dis pas dans quel état ça me met de voir la jolie brune lécher sa glace… Il faudrait presque que je mette ma boule dans mon boxer pour refroidir tout ça. Sophie se lève alors de table et court dans la chambre d’Albane retrouver Cravate qu’elle a déjà adoptée.

- C’était vraiment très bon Albane, merci. Sans toi, cette soirée aurait pu être catastrophique.

- On dirait bien que ta fille a décidé que tu ne m’avais pas assez sur le dos au CHRS, mon pauvre, rit-elle en se levant pour débarrasser.

Je l’aide et plusieurs fois, dans son petit appartement qui me rappelle un peu mon premier logement, je la frôle. Elle est irrésistible et je sais que si je reste un instant de plus, je vais finir par faire une nouvelle tentative qui ne pourra amener que la même gêne que la première fois.

- Bon, il faut que j’y aille maintenant. Il est vraiment tard et Sophie doit se lever tôt demain pour retourner à l’école… Encore merci pour tout, Albane… Vraiment !

- Attends, Julien,, dit-elle tout à coup moins sûre d’elle. Il y a autre chose dont je voudrais te parler avant…

- Tu crois que je suis en état de supporter autre chose ?

- Je crois que tu es en état d’entendre les choses ce soir et je veux en profiter, parce que ta fille m’en a parlé. Donc, on en parle ou tu te braques pour rien ? termine-t-elle en croisant ses bras sous sa poitrine.

Je soupire. J’ai une réputation d’homme brusque et violent maintenant. Dans ma vie d’avant, jamais je ne haussais le ton, jamais je ne m’énervais… Mais depuis que je suis dans la survie, je suis différent. J’ai bien vu que, parfois, Albane avait la trouille. Au cours de français avec Vassili, dans le réfectoire un midi alors que deux gars s’insultaient et ont voulu en venir aux mains… J’espère qu’elle a conscience que je serais incapable de lui faire du mal, même s’il est vrai que je m’énerve souvent contre elle.

- Je dois me rassoir ou ça va aller vite ? Dis-moi tout et promis, ce soir, je ne m’énerve pas.

- Je te dirais bien que tu es le pire emmerdeur avec lequel j’ai bossé, mais ça ne serait pas cool alors que tu es coopératif, rit-elle. Et sans doute faux, au passage.

- Je dois me protéger, Albane. C’est tout… Ma fille ne s’est quand même pas plaint que j’étais un emmerdeur, si ?

- Non, elle te défend corps et âme, ta fille. En revanche, elle a besoin de réponses. Et ton fils aussi. Je n’ai pas à savoir ce qu’il s’est passé avec leur maman, mais eux, en revanche, ont besoin d’en parler avec toi. J’ai bien compris que c’était un sujet douloureux pour toi, mais ça l’est aussi pour eux, et ton silence ne les aide pas…

- Mais si je leur parle… Ça va les détruire ! Tu imagines apprendre que ta mère est partie parce qu’elle n’a jamais voulu d’enfants ? Et apprendre qu’elle était schizophrène et malade ? Moi, ça m’a détruit…

Albane prend un temps pour digérer l’information. Eh oui, voilà dans quoi mes enfants sont embarqués. Voilà pourquoi, aujourd’hui, j’en suis là. Enfin, je sais qu’il n’y a pas que ça, mais c’est quand même une grosse part des raisons de ma gamelle, comme le dit mon éducatrice.

- Discute de tout ça avec la psy, parle lui de tes peurs par rapport aux enfants, elle te dira sans doute la meilleure façon de procéder… Je… Je pense qu’en faire un sujet tabou est aussi destructeur que de savoir. Vraiment, Julien, réfléchis-y, d’accord ?

- Je vais y réfléchir, oui… Mais je ne te promets rien. Si déjà j’arrive à en parler avec la psy, ce sera un miracle… Alors, en parler avec mes enfants, ce n’est pas gagné.

En parler avec elle, en revanche, ne m’a pas été si difficile… Une sorcière cette femme, elle m’ensorcelle et me fait dire des choses que je ne partage avec personne. Est-ce que je regrette de m'être confié ? Je ne crois pas...

- Je suis certaine que tu t’en sortiras très bien. Derrière cette carapace bien épaisse se cache un homme combatif et qui fera tout pour ses enfants.

- On verra ça demain. Là, il faut vraiment qu’on rentre…

Je me dirige avec Albane vers sa chambre pour aller chercher Sophie. J’ouvre la porte et je la découvre lovée contre le chat, endormie sur le lit.

- Gabin dort chez Asma, non ? Restez dormir ici, ne la réveille pas, petite mère, elle a l’air de dormir profondément, murmure Albane en observant ma fille d’un œil attendri.

- On ne peut pas dormir ici chez toi ! Tu imagines si ça se savait au boulot ? Et puis, tu n’as qu’un lit, non ?

- Je vais dormir sur le canapé, ne t’inquiète pas pour ça. On expliquera à Sophie qu’il faut éviter d’en parler et personne n’en saura rien.

Ça me dérange vraiment d’accepter… Mais Sophie dort si paisiblement. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue aussi calme dans son sommeil. Elle a l’air de ne pas faire de cauchemars comme à son habitude… Et puis, l’idée d’une nuit près d’Albane avec personne qui n’en saura rien me fait rêver… Enfin, elle a dit qu’il n’y aurait plus jamais rien entre nous, mais j’ai le droit d’espérer quand même…

- D’accord Albane. Je vais t’aider à installer le canapé alors… Sophie ne dira rien. Elle n’est pas bête et comprendra…

- Je n’ai aucun doute là-dessus, dit-elle en sortant de la chambre.

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