57. La révolte des Oursons

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Albane

Une semaine de congés. Voilà qui m’a permis de me ressourcer et de prendre du recul. J’ai commencé par deux jours dans mon canapé, en tête à tête avec Cravate, ma télé et mes bouquins. Et de la nourriture. Honnêtement, je pense que j’ai dû prendre deux kilos. Je sais, compenser le chagrin par la nourriture, ce n’est pas l’idée du siècle. Outre Moulin Rouge, j’ai aussi pleuré devant des comédies romantiques et détesté les scénaristes. Tout ne se termine pas toujours bien dans la vraie vie, malheureusement.

Surtout que Jonathan a encore fait des siennes. Nicolas m’a en effet déposé un courrier arrivé au CHRS avec la mention “Urgent”, avec mon nom de jeune fille et mon nom d’épouse. Une belle grosse enveloppe avec une copie de notre contrat de mariage, et une lettre dans laquelle il me rappelle mes obligations en tant qu’épouse. Avec ce courrier, Jonathan a fauté. Dans ces lignes rédigées soigneusement, se trouvent des menaces et par conséquent, du biscuit pour la suite de ma semaine. Nicolas a raison sur un point : je ne compte pas me cacher toute ma vie.

Alors, première étape, je me suis décidée à aller voir ma mère et mon frère. Les retrouvailles ont été chaleureuses et humides, avant que nous n’ayons une longue discussion ensemble. Très compliquée. Je crois que j’ai réussi à leur donner tous les détails de ma vie à Marseille. Mon frère a eu des envies de meurtre, ma mère a énormément culpabilisé, et tous deux on fini de me convaincre de déposer plainte.

Deuxième étape, je suis donc allée au commissariat avec mon frère, avant-hier, pour déposer une plainte. Avec sa foutue lettre bourrée de menaces, me promettant bien pire que ce qu’il m’avait fait subir, Jonathan a largement merdé. J’en ai passé du temps à expliquer ce que j’avais subi, mais j’ai eu la chance de tomber sur une personne à l’écoute et qui n’a porté aucun jugement. Par contre, les faits datent d’il y a plus de trois ans, je n’ai donc pas pu porter plainte, sauf pour harcèlement. Elle est belle, la loi...

J’ai également voulu demander une mesure d’éloignement, mais il m’aurait fallu aller à Marseille et je n’en ai pas eu la force. Cependant, j’ai contacté un avocat pour entamer les démarches du divorce. Cela promet d’être long et complexe, mais je refuse de continuer à être Madame Jonathan Cohen. Nul doute que lorsqu’il recevra les papiers de demande de divorce, quelques-uns de ses foutus bibelots dégueulasses vont voler dans son bureau et se fracasser contre le mur. De toute façon, je n’ai jamais aimé ces foutus trucs qu’il collectionne en écumant toutes les brocantes du coin…

Bref, j’ai passé une semaine forte en émotions, et repris le travail cet après-midi avec plus de plaisir que d’appréhensions.

Parce qu’évidemment, des appréhensions, j’en ai. Revoir Julien, lire à nouveau les reproches dans ses yeux, je ne suis pas certaine de pouvoir le supporter sur le long terme. J’en suis arrivée à me dire qu’il serait préférable qu’il trouve rapidement un logement. Pas que je ne veuille plus les voir, ses enfants et lui, mais mon boulot était jusqu’à présent mon sas de bonheur, et j’aimerais retrouver ce sentiment.

Julien me manque. Atrocement. Si nous ne pouvions pas nous voir souvent, nous étreindre, nous retrouver en tête à tête, sa présence pas très loin de moi me faisait me sentir vivante, joyeuse et pleine d’espoir. Aujourd’hui, elle me peine et m’énerve. Cet homme est tellement têtu… Si seulement il me laissait la possibilité de tout lui expliquer, je suis certaine que cela débloquerait les choses.

Forte de mes quelques jours de liberté, de mes décisions et surtout de ces retrouvailles revigorantes avec mes proches, j’entre avec le sourire dans la cuisine du bâtiment des familles, et y trouve Julien, attablé avec Gabin et Sophie, devant une assiette de crêpes maison, dont l’odeur embaume la pièce, et leur habituel chocolat chaud. Si l’idée de me taper l’inventaire de la vaisselle passait à peu près, je remets rapidement les pieds dans le plat, pour le coup.

- Oh, bonjour à tous les trois, dis-je en souriant malgré le malaise qui m’a déjà pris aux tripes.

- Bonjour Albane, me répond Julien tout doucement, alors que ses enfants ne me regardent même pas.

- Désolée de vous déranger, mais je dois faire l’inventaire des ustensiles de cuisine… Jolie moustache de chocolat Gabin, tu veux la même que ton papa, c’est ça ?

- J’te parle plus. T’es plus ma copine, Albane. T’as fait pleurer Papa.

Je vois son père qui jette un regard sombre à son fils et qui intervient à son tour :

- Chut Gabin. Ça ne se fait pas de parler comme ça. Albane travaille ici, et il faut la respecter dans son travail.

Je ne sais même pas quoi répondre au petit, honnêtement. L’entendre me renier de la sorte me brise le cœur. Comprendre qu’il a intégré le fait que son Papa est malheureux à cause de moi ne me fait pas un meilleur effet. Et le sentiment de solitude dont je m’étais débarrassée en retrouvant mes proches refait surface en quelques secondes, brutalement.

- D’accord, Gabin… Je comprends. Mais, tu sais, les histoires d’adultes sont compliquées et... Je n’ai jamais voulu faire pleurer ton Papa.

Il est juste profondément borné et ne m’a pas laissé le loisir de m’expliquer. Mais bon, même si Gabin connaît son père, il ne servirait à rien de lui expliquer ça.

- Pourquoi tu veux qu’on parte alors ? intervient Sophie. Papa a dit que tu ne nous aimais pas vraiment et que tout ce que tu voulais, c’était qu’on parte. Moi, j’avais confiance en toi, et Papa aussi, mais tu as brisé sa confiance, il a dit !

Je vois que Julien fait maintenant les gros yeux à sa fille, clairement embarrassé par tout ce que ses enfants me disent. Eh oui, Papa Ours. La vérité sort toujours de la bouche des enfants, on dit, et souvent, on ne peut rien faire pour qu’ils se taisent.

- Je veux que vous partiez, pour vivre dans une maison à vous, ou un appartement. C’est pour ça qu’on travaille avec votre Papa. Mais il a tort quand il dit que je ne vous aime pas, il lui faut juste des lunettes pour s’en rendre compte, apparemment.

- Albane, grogne-t-il, laisse mes enfants en dehors de tout ça. Si on a des comptes à régler, on le fera à deux. Je suis désolé qu’ils t’agressent comme ça, mais c’est parce qu’ils n’aiment pas quand je souffre.

Il allait continuer quand Sophie l’interrompt à nouveau.

- Si tu nous aimais vraiment, tu ne ferais pas souffrir Papa comme ça, ça c’est sûr, Albane. Et là, moi, j’aime pas voir Papa pleurer tous les soirs quand il croit qu’on dort. Et tout ça, c’est à cause de toi ! me crie-t-elle presque en tendant vers moi un doigt accusateur.

- Sophie… Je… Wow, balbutié-je. Bravo, Julien, je te remercie. Laisser tes enfants en dehors de ça, hein ?

Julien a l’air aussi embarrassé que moi. Il reste la bouche ouverte, portant son regard alternativement entre Sophie et moi.

- Sophie, je ne te permets pas de parler ainsi à Albane. Excuse-toi tout de suite ! Tu te rends compte de ce que tu viens de dire ? Et de la façon dont tu l’as dit ? Je ne t’ai pas élevée comme ça !

Sophie regarde son père et comprend, à son ton, qu’il est sérieux et qu’il est vraiment en colère. Elle se tourne vers moi, en pleurs, et murmure un petit “excuse-moi Albane” avant de quitter la table précipitamment pour retourner chez elle. Julien me regarde et ajoute à mon attention :

- Albane, je suis désolé. Je n’ai craqué qu’une fois devant les enfants. Enfin, c’est ce que je pensais… Car apparemment, je n’ai pas été assez discret. Je te jure, en tous cas, que jamais je ne leur ai demandé de se comporter ainsi avec toi. Pas après tout ce que tu as fait pour eux…

Je reste pantoise devant ses excuses. Où est passé l’Ours ? Il y a encore quelques semaines, il m’aurait envoyée bouler sans aucun remords. Evidemment, voir que les enfants me détestent me touche plus que de raison. Enfin… Des êtres dénués de toute méchanceté qui en viennent à haïr un adulte, c’est terrible. Et touchant, de les voir ainsi protecteurs avec leur Papa.

- Ça va, soupiré-je. Cravate t’accueillerait certainement de la même façon, je comprends…

- Ouais, j’ai pas envie que Cravate m’accueille. Chacun chez soi et c’est tout. Moi, dans mon studio, toi dans ton bureau ou ton appart. Ça vaut mieux comme ça.

- Ça vaut mieux comme ça pour qui ? Pour le Papa Ours qui refuse de connaître le fond de l’histoire et a peur d’être abandonné ? Je n’en suis pas sûre…

- Moi, j’en suis sûr, Albane. C’est le seul moyen que j’ai de ne pas être détruit. Encore désolé pour mes enfants, mais on n’a plus rien à se dire. Enfin, personnellement parlant. Si tu dois faire ton boulot, on fera un point sur mes projets. Ça avance pour l’appart à l’extérieur d’ici… Tu seras bientôt débarrassée de moi si ça se passe bien.

Je soupire et m’approche de lui, agacée et malheureuse. Julien fronce les sourcils alors que je me penche pour murmurer à son oreille.

- Tu nous prives d’une belle histoire à être aussi borné. Si c’est moi que tu traitais d’emmerdeuse, j’ai trouvé mon maître. Arrête de te planquer. Le vrai Julien, celui que j’ai déjà pu voir, celui qui ne se trouve pas d’excuses, m’aurait déjà demandé des explications et aurait cherché à comprendre plutôt que de se cacher dans son lit pour se laisser aller.

- J’ai compris que tu avais un mari, ça me suffit. Et je t’interdis d’utiliser ce que disent mes enfants pour me faire la morale, gronde-t-il, visiblement énervé à l’évocation de ces pleurs nocturnes.

- Je ne te fais pas la morale, continué-je à son oreille. Je cherche juste à te secouer un peu. Je veux retrouver le Julien sûr de lui, celui capable de me faire rire, de me rassurer, de me faire l’amour passionnément et de ne pas abandonner. Celui qui croit à nouveau.

- Oh mais je te rassure, je crois en l’avenir, désormais. Mais c’est sans toi. Tu as bien réussi ton boulot d’éduc. Par contre, tu as complètement foiré celui d’amante. Alors bravo pour la première partie et laisse moi vivre en oubliant l’autre.

Je me redresse, blessée, la vue brouillée par les larmes qui menacent de couler alors que Julien se lève et récupère Gabin qui n’a pas perdu une miette de cet échange entre nous.

- Tu es cruel, tu ne sais rien de ce que j’ai pu vivre et tout ce qui te préoccupe, c’est ta petite personne. Peut-être que tu as raison finalement, à quoi bon, puisque tu n’es même pas capable de voir plus loin que le bout de ton nez. Bonne soirée Gabin… Et pardon d’avoir fait pleurer ton Papa…

- Au revoir Albane, me répond Gabin qui vient me faire un bisou, faut pas que tu pleures, je savais pas que tu aimais mon Papa. J’ai dit une bêtise mais je le ferai plus, promis.

Je le serre contre moi et l’embrasse à mon tour, d’un bruyant baiser sur la joue. Ce petit bonhomme m’a drôlement manqué durant mon congé. Si son père croit que je ne les aime pas, il est aussi aveugle que Gilbert Montagné.

- On fait tous des erreurs, Trésor, c’est rien. Le tout c’est de le reconnaître et de s’excuser. On a tous droit à une nouvelle chance.

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