46. Musclor dessine

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Julien

Alors que je suis dans mon appartement, quelqu’un frappe à la porte. Je regarde ma montre et me demande qui peut bien venir alors que l’atelier n’est que dans trente minutes. Je n’attends personne et Albane m’a informé qu’elle arrivera juste à l’heure. Je me lève de mon lit et abandonne mon bouquin à regret. Stephen King attendra, la réalité de la vie reprend ses droits. J’ouvre la porte et découvre Musclor qui arbore un sourire qu’il a dû travailler avant de toquer, j’en mettrais ma main au feu. Peut-être que je l’impressionne, le petit jeune…

- Bonjour Monsieur Perret. Je suis venu vous aider pour préparer l’atelier peinture. Vous avez besoin de quoi ?

- M’aider ? Pas besoin. Je fais ça seul, moi. T’as les clés de la salle ? Donne-les moi. C’est tout ce dont j’ai besoin.

Je ne sais pas pourquoi, mais rien que de le voir, je sens mon sang chauffer et ma jalousie prendre le dessus. Même un bonjour, j’arrive pas à lui dire ! Jalousie ? J’ai pensé à ça, moi ? Pas possible, si ? Mais c’est vrai que ça m’énerve de ne pas être à sa place et de ne pas avoir la chance de passer mes journées à côté d’Albane. Il la suit partout comme un petit chien depuis qu’il est là. Et moi, ça fait quinze jours que je n’ai pas réussi à avoir le moindre moment d’intimité avec Albane depuis ce premier soir où il est arrivé et où nous avons pu nous embrasser. Et le pire, c’est que j’ai pu voir aussi le regard qu’elle lui adresse parfois ! Je suis sûr qu’elle le trouve à son goût. Et lui, il n’a pas non plus ses yeux dans sa poche, je peux vous l’assurer !

- J’ai les clés de la salle, mais je ne sais pas si j’ai le droit de vous les remettre. Si vous voulez, je vais vous ouvrir, Monsieur Perret.

- Albane me fait confiance, elle.

- Elle ne m’a pas laissé de consigne. Vous souhaitez donc que je vous ouvre ou on attend qu’elle arrive ?

- Va ouvrir la salle, tu te sentiras utile au moins. J’arrive tout de suite.

Je soupire et me résigne à le suivre. Il faut que je me maîtrise parce que j’ai promis à Albane de le laisser tranquille, mais je dois me faire violence pour ne pas me jeter sur lui. J’observe avec dédain le tatouage qu’il a dans le cou et qu’on devine en haut de son tee-shirt. Un requin qui arbore un sourire confiant. Tout un programme pour Musclor !

- Monsieur Perret, dites-moi ce que je peux faire pour vous aider ? reprend-il après avoir ouvert la porte.

- Aller chercher Albane pour que l’atelier puisse commencer ?

- Elle m’a dit de ne pas l’attendre et qu’on pouvait faire l’atelier à deux.

J’enrage intérieurement. Elle m’abandonne avec Musclor ? La dernière fois qu’il a tenu un pinceau, ça devait être à l’école primaire ! Elle est où ? Elle aurait pas pu le laisser gérer ce dont elle est en train de s’occuper pour s’en débarrasser et venir ouvrir la salle avec moi ? Je suis sûr que j’aurais été plus coopératif.

- Et bien, si tu veux vraiment m’aider, je te propose un truc très simple. Tu te mets devant la porte, tu me laisses préparer la salle tranquillement et surtout, tu ne viens pas me déranger tant que tout n’est pas prêt. Ca te va, Musc… Mathieu ?

Oups, ma langue a failli fourcher. Et je pense qu’il a senti un peu tout le mépris porté par ma voix car il se racle la gorge. J’ai l’impression qu’il cherche à se donner du courage avant de me poser une question :

- Monsieur Perret, je peux vous poser une question ? Pourquoi vous ne m’aimez pas ?

- Ca fait deux questions et la réponse à la première est non. Pour l’autre, il faudra revenir me voir à un autre moment, l’abonné que vous demandez n’est pas joignable pour le moment.

Je rumine mais il ne sort pas. On ne peut pas lui enlever ça, à ce stagiaire. Il reste zen, ne se départit pas de son sourire, et même quand je l’envoie balader, il ne réagit pas, ce qui a le don de m’énerver encore plus. Il faut que j’arrête de jouer au petit coq avec lui, sinon ça va mal se terminer pour moi. Malgré tout ce que j’ai pu dire, il participe à la mise en place de la salle. Il est en train d’installer un chevalet quand Albane arrive.

- Bonjour, Monsieur Perret. Je vois que vous êtes bien aidé ! Mathieu est vraiment un ange, non ? Toujours prêt à donner un coup de main.

Je fulmine intérieurement. L’ange, j’ai bien envie de le virer de la salle, mais je ne peux pas laisser parler mes pulsions, sinon, je vais passer pour le diable. Pour moi, l’ange, c’est Albane qui entre tout sourire dans sa robe fleurie qui met en évidence les courbes de son corps. Je vois avec colère que Musclor la reluque au moins autant que moi.

- L’ange, il faut fermer la bouche sinon les mouches vont y rentrer !

- Julien, s’il y a des mouches, je vois une autre bouche où elles pourraient rentrer ! Cessez donc d’importuner Mathieu. Il ne vous a jamais manqué de respect !

Et quand je la vois se diriger vers lui et poser nonchalamment sa main sur le bras de Musclor, je sens comme une épée me transpercer. Pourquoi est-ce qu’elle est aussi tactile que ça avec lui ? J’enrage et je dois à nouveau contenir ma colère.

- Si vous voulez, je vous laisse à deux pour gérer l’atelier. Je ne voudrais pas vous déranger dans la formation de votre stagiaire, Madame l’éducatrice.

- Julien, soupire Albane en plongeant ses beaux yeux dans les miens, ça suffit, s’il vous plaît… Je ne suis pas d’humeur pour vos insinuations stupides et votre mauvaise humeur.

- Je n’ai rien insinué du tout, Albane. Je m’excuse si mes propos étaient déplacés.

Je ne sais pas si c’est l’effet de ses yeux sur moi ou si c’est parce que mon ancienne personnalité commence à refaire surface, mais mes excuses sont sorties toutes seules. Elle me désarçonne tellement elle est belle. Et tellement je suis en manque aussi. J’ai l’impression que mon corps réclame le sien et que c’est lui qui prend possession de mon esprit pour me faire comprendre qu’il a besoin de sa dose. Pourtant, je ne peux pas non plus ignorer les regards du stagiaire. Ils sont tout sauf simplement professionnels. Un peu comme ceux de l’autre imbécile de Jordan, d’ailleurs. Et si j’ai conscience qu’étant donné leur entente inexistante, je n’ai rien à craindre de son collègue, ce Mathieu, lui, en revanche… J’ai le droit de m’interroger, non ? De flipper un peu, même si je ne le lui avouerai jamais ?

Albane acquiesce d’un signe de tête et sursaute alors que son téléphone, posé sur la table, vibre. Elle s’en approche lentement, comme hésitante, et je me demande bien ce qui peut la faire agir ainsi. Qu’est-ce qui lui prend ?

- Excusez-moi une minute…

Elle le récupère et sort de la pièce rapidement. Piqué par la curiosité, je récupère un chevalet pour aller l’installer du côté de la porte d’entrée, ce qui me permet de l’apercevoir faisant les cent pas dans le couloir, son mobile à l’oreille. Difficile de passer à côté de son regard contrarié, qui erre sur les murs qui l’entourent. Lorsque ses yeux rencontrent à nouveau les miens et que je suis pris sur le fait de mon espionnage, elle me tourne le dos et raccroche rapidement. Je suis dans le couloir avant même de m’en rendre compte, et me plante devant elle.

- Tout va bien ? murmuré-je pour qu’on ne nous entende pas.

- Oui, oui… Tout va bien, soupire-t-elle en se passant la main sur le visage.

Elle n’a pourtant vraiment pas l’air d’aller bien, et je crève à cet instant, plus qu’à n’importe quel autre, de la prendre dans mes bras. Un putain d’instinct protecteur qui me prend aux tripes. Un peu comme ce soir-là, alors qu’elle pleurait dans mon studio.

- Tu me mens, Albane, continué-je doucement.

- Non, je vais bien, je suis juste fatiguée, et lasse de te voir ronchonner contre tout et rien.

Bien… Il semblerait que ce soit ma fête, aujourd’hui. D’accord, j’ai peut-être abusé un peu, mais quand même ! Elle a l’habitude de mon comportement, pourquoi est-ce que, cette fois, elle prend la mouche ?

- T’as tes règles ou quoi ?

Oui, je provoque. Ça m’arrive encore. Souvent. Jamais méchamment, et généralement elle ne fait que soupirer, ou balancer une blague qui me calme et me donne envie de rire. Là, en revanche, elle se renfrogne et un pli de contrariété prend naissance entre ses sourcils.

- Mes… Règles ? Sérieusement ?! C’est quoi déjà, ce que tu dis quand je t’énerve ? Ah oui, tu me fais chier, Julien, murmure-t-elle en regagnant la salle sans plus m’adresser un regard.

J’hésite entre l’agacement et l’excitation quand elle est dans cet état. Cette femme est clairement bandante, ce qui n’est pas pour m’aider à me concentrer sur son comportement étrange.

Les résidents commencent à arriver et on se retrouve rapidement un petit groupe d’une dizaine de personnes que j’accueille à l’entrée en leur indiquant où ils peuvent s’installer. Je vois du coin de l'œil que Mathieu s’est tout de suite rapproché d’Albane et qu’il lui parle à voix basse. A priori, lui aussi essaie de la réconforter et là, je suis encore plus agacé, j’avoue. Je ne peux m’empêcher de le provoquer un peu :

- Monsieur le stagiaire, j’ai besoin de toi. Tu peux prendre le chevalet et t’installer devant tout le monde ? Le thème du jour, c’est la nature. Tu vas nous faire un beau dessin et nous montrer de quoi tu es capable ?

Mathieu semble un peu gêné par ma proposition mais j’ai le bonheur de le voir s’éloigner d’Albane et de se retrouver au centre de l’attention. Je me demande comment il va s’en sortir mais je profite de l’occasion pour venir m’installer près d’Albane. Je lui adresse un sourire réconfortant et je la vois sourire un peu. Elle a l’air contente de me voir à côté d’elle et amusée de voir son stagiaire se gratter la barbe devant la toile vide. Je ne sais pas ce qui l’a autant embêtée, ma belle éducatrice, mais je la sens revenir vers nous progressivement. Elle me jette d’ailleurs un regard puis pose sa main sur la mienne. Je ressens une nouvelle décharge électrique traverser tout mon corps et j’ai l’impression que je lui fais le même effet.

- Julien, s’il te plaît. Tu peux aller aider Mathieu ? Ce n’est pas lui l’artiste. Il a besoin de ton aide. Et ça me ferait plaisir que tu lui expliques comment faire, on en profitera tous comme ça.

Comment résister à ses beaux yeux et à sa demande de lui faire plaisir exprimée avec tant de douceur ? Je me lève et m’approche de Musclor.

- Alors, jeune homme, un pinceau, ça ne se tient pas par les poils, déjà !

Je ne peux m’empêcher d’arborer un sourire satisfait quand toute l’assistance rit à mon trait d’humour. Mais je vois qu’Albane me jette un regard un peu dur.

- Julien, ne te moque pas de lui, s’il te plaît. Ce n’est pas comme ça qu’on anime un atelier. Tout le monde est ici pour apprendre et on a besoin de toi pour nous expliquer les choses, mais dans le respect.

Je la sens toujours perturbée par sa conversation téléphonique et je devine une grande lassitude dans sa voix. Je me demande vraiment ce qui lui est arrivé, et je sens son agacement vis-à-vis de mon attitude envers son stagiaire. Je me dis qu’il va falloir que je maîtrise un peu ma jalousie et que j’utilise cet atelier pour regagner quelques points auprès d’elle.

- Oui, Albane, tu as raison. Ma blague était de mauvais goût. Alors, Mathieu, on va commencer vraiment.

Et comme à chaque fois que je saisis un pinceau, j’oublie tous mes problèmes. J’adore en plus apprendre aux personnes à dessiner, à s'exprimer à travers l’art. J’utilise Mathieu pour expliquer quelques techniques qu’il met en application. Je suis amusé de voir que ce n’est pas du tout son truc, mais je ne me moque pas et l’aide à s’améliorer. Je leur donne à tous quelques conseils en déambulant entre les tables. Je me penche au-dessus d’Albane et je profite de la vue sur son si joli décolleté. Elle lève les yeux et voit où se porte mon regard. Elle joue en se penchant encore plus en avant.

- Vous trouvez que la vue est intéressante ? J’ai mis les atouts en avant, il me semble, non ?

- Albane, tu es une vraie artiste ! lui chuchoté-je doucement. Une œuvre d’art à toi toute seule ! Mais, là, je pense que tu peux accentuer sur les traits qui représentent les fleurs.

Je profite de l’occasion pour passer mes bras au-dessus d’elle et je saisis sa main dans la mienne pour l’aider à dessiner ce qu’il faut. Cette proximité, cette intimité que nous partageons, nous isolent un peu des autres. Sa tête repose contre mon torse et je crève d’envie de poser mes lèvres dans son cou. C’est fou comme elle me manque ! Il faut absolument qu’on trouve le moyen de nous voir tous les deux. Même tous les quatre, avec les enfants. Un nouveau petit tour à la mer ? Un après-midi shopping ? Tout, n’importe quoi pour nous voir davantage que dans un couloir, davantage que des entretiens, surtout maintenant que Musclor est de la partie. Son parfum me monte au nez alors qu’elle tourne la tête vers moi avec un sourire en coin. Je crois que je lui donnerais le bon dieu sans confession, juste pour ce genre de regard. Je prolonge le contact, prenant le temps de peindre avec elle plus que nécessaire, mais tout à coup, ce stagiaire si présent intervient.

- Monsieur Perret, j’ai un souci moi aussi. Je ne sais pas comment rendre le côté vert des feuilles. Vous pouvez m’aider ?

J’en reviens pas, il fait tout pour que je m’éloigne d’Albane, lui ! Bref, je me relève lentement et quitte la proximité de la jolie femme à regret pour aller l’aider. L’atelier se termine peu après. J’aurais aimé profiter de l’occasion pour pouvoir parler à Albane de son coup de téléphone, mais elle s’éclipse rapidement, laissant à Musclor le soin de m’aider à tout ranger. Je suis frustré de ce peu de contact avec elle pendant ce moment artistique. Il faut que je trouve un temps seul à seul avec elle. J’ai besoin de ma dose !!!

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