18. Les pensées d'un Ours embrassé

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Julien

La porte se referme, et je me retrouve seul dans cette pièce, sans vraiment réaliser ce qu’il vient de se passer. L’odeur fruitée du parfum d’Albane flotte toujours dans l’air. J’ouvre la porte de la chambre où dorment Sophie et Gabin et je suis rassuré de voir que nous ne les avons pas réveillés. Les voir ainsi dans les bras de Morphée a le don de me rassurer. Parce que là, clairement, j’ai fait une belle bêtise dont je ne parviens pas encore à mesurer les conséquences.

Je repense néanmoins à ce baiser échangé. Comment pourrait-il en être autrement ? Je n’ai pas résisté à la tentation. J’en étais incapable… Et le pire, c’est que ce moment, je l’attendais, je le désirais. Lorsque je me suis approché d’elle, je n’ai pas osé franchir le pas au début. Je me suis contenté d’un petit bécot. Je me disais que, si j’allais plus loin, je ne savais pas où je m’arrêterais. Et c’est elle qui s’est mise à râler ! Les rôles étaient inversés. Et, la coquine en a profité pour déposer ses lèvres sur ma joue, en insistant quelques secondes. J’ai eu l’impression que ces secondes ont duré des heures tellement j’étais aux anges, tellement j’étais transporté. Suite à ce contact prolongé, mes hormones se sont emballées et nous nous sommes embrassés. Pour de vrai. Pas un petit bisou sage, non. Un vrai baiser comme au cinéma. J’ai eu l’impression d’être Hugh Grant dans Love Actually qui embrassait sa jolie brune. Tout était tellement irréel. Et tenir Albane contre moi, cela m’a fait plus d’effet que tous mes fantasmes les plus fous ! Oubliée, Monica Bellucci ! Albane va la remplacer dans toutes mes pensées, c’est sûr !

Je me déshabille lentement, toujours perdu dans mes pensées et vais me coucher dans mon lit. Je me repasse en boucle cette embrassade et les sentiments que je ressens sont toujours aussi forts. J’ai l’impression qu’il y a un bug dans mon cerveau et que je ne vis que pour ce moment divin passé avec elle. Comment un simple baiser peut autant m’exciter ? Suis-je si en manque que ça ? Il est vrai que depuis que ma femme s’est barrée, je n’ai rien fait. Même pas eu envie de me faire plaisir. Et là, deux lèvres sur les miennes et me voilà redevenu un adolescent qui ne sait pas se calmer. Je secoue toutes ces pensées et je m’endors, ayant l’impression d’avoir déjà commencé à rêver lorsqu’Albane m’a rejoint dans mon studio.

Lorsque je me réveille, la réalité me rattrape brutalement, mais j’essaie de refouler toutes ces pensées relatives à Albane pour le moment. Je fais chauffer un peu de lait pour préparer un bon chocolat chaud pour nous trois avant d’aller réveiller mes loulous qui ont école ce matin. Je n’ai peut-être pas tout réussi dans la vie, mais je suis au moins parvenu à transmettre mon amour du chocolat à mes enfants ! C’est toujours un moment de grande complicité quand on se retrouve tous les trois autour de la table et qu’on discute de la journée qui arrive et des activités qui sont prévues. Je me décide à profiter de ce petit moment de paix. Je deviens philosophe, peut-être que c’est l’âge qui fait ça ?

Je réveille d’abord ma fille en la couvrant de bisous dans le cou puis, c’est elle qui se charge de son petit frère. Nous avons notre petit rituel désormais, et en changer est impossible. Mes enfants ont un tel besoin de stabilité que je me fais disputer si, par malheur, je réveille mon fils moi-même !

- Papa, tu sais que c’est aujourd’hui qu’on fait le sapin de Noël ? Albane a organisé une activité avec Jamila. On pourra y participer ?

Je ne peux pas leur refuser ce petit plaisir, mais je me demande si c’est une bonne idée. Ne vaut-il pas mieux que je me tienne éloigné d’elle le temps que les choses se calment un peu ? Je soupire et me dis que ça va être bien compliqué de revenir à une relation professionnelle avec cette femme que j’ai embrassée.

- D’accord, Sophie. Mais il faudra d’abord que vous ayez fait vos devoirs ! Sinon, pas d’activité !!

J’en viens presque à espérer qu’ils ne vont pas réussir à faire leurs devoirs pour échapper à cette rencontre. Je ne sais pas comment réagir moi. Je continue à la vouvoyer ? On fait comme si de rien n’était ? On se dit que c’était un accident et on n’en parle plus jamais ?

- Et puis, ce weekend, ce qu’on fera, c’est qu’on mettra aussi un sapin dans le studio. Pas un grand, parce qu’on n’a pas beaucoup de place, mais un petit. Au bout de mon lit, il y a un peu de place, ça devrait aller.

- Youpiiiiii ! Un sapin ! Trop cool ! Ça veut dire que le Père Noël va passer même si on n’est plus dans notre maison ?

- Eh oui, Poussin. Le Père Noël passe toujours, où que l’on soit !

Je suis content de voir que l’idée leur plaît. Je n’ai pour l’instant aucun cadeau à leur offrir, mais Albane m’a dit que j’allais pouvoir bénéficier de la prime de Noël. Je sais que je vais la dépenser entièrement pour mes enfants. Pour Gabin, ça va être facile de trouver, mais pour Sophie, je ne sais pas encore. Des livres sûrement. Et peut-être que je devrais acheter aussi un petit quelque chose pour Albane ? Tout de suite, ma conscience réagit et me dit que ça ne se fait pas. On n’offre pas un cadeau à son travailleur social ! Mais une petite voix me dit : Non, c’est vrai pour un travailleur social, mais pour une femme qu’on a embrassée, c’est différent, non ?

- Papa, réveille-toi ! Il faut nous emmener à l’école !

Une fois les enfants déposés à l’école, je reviens au CHRS. Je m’installe en salle informatique et je me connecte sur le site de Pôle Emploi. Je le fais tous les jours et j’essaie de répondre à des annonces. J’en vois une aujourd’hui qui m’intéresse tout particulièrement. Une offre pour aller travailler dans une petite librairie le temps des fêtes et aider les clients à trouver leurs livres, faire quelques livraisons. Payé au SMIC, mais au moins, c’est un milieu qui m’intéresse. J’envoie mon CV par mail après l’avoir un peu remanié pour mettre en avant mes goûts pour la littérature et je me dis que j’ai toutes mes chances. Enfin, je me dis ça chaque jour après avoir envoyé des CV, et pour l’instant, c’est sans succès. Les normands n’ont pas l’air d'aimer les parisiens comme candidats ! Et pourtant, s’ils me donnaient une chance en entretien, je pourrais leur démontrer que l’odeur du purin, le bruit des tracteurs, le chant du coq et les vaches dans les prés, ce sont des traits de la région que j’apprécie énormément ! Je me sens à ma place ici. Je suis arrivé par hasard, mais je ne regrette pas mon choix. Et mes enfants non plus. Ils ont l’air de revivre dans cette petite ville entourée de prairies et forêts.

Je remonte dans mon studio et je ne peux désormais plus échapper à l’introspection que j’ai réussi à repousser depuis mon réveil. Qu’est ce que je vais faire avec Albane ? Je prends une grande feuille blanche, sors mes pinceaux et ma peinture et je me mets à la petite table près de la fenêtre. Peindre m’a toujours aidé à me concentrer et à réfléchir. Je commence par dessiner quelques fleurs, une vache, des arbres pendant que mon esprit analyse ma situation. J’ai clairement dérapé en embrassant une salariée de l’association qui m’accueille. Mais, elle ne m’a pas repoussé. Elle ne m’a pas giflé. Au contraire même ! C’est elle qui s’est jetée sur moi, démontrant ainsi une même envie, un même désir d’unir nos bouches. Est-ce qu’elle est en manque d’affection ? Je ne connais rien de sa vie alors qu’elle connaît tout de la mienne… J’espère d’ailleurs qu’elle n’a pas fait ça par pitié… Elle est tellement compétente qu’elle a peut-être senti ma solitude et s’est décidée par compassion à m’embrasser pour me redonner le moral ? Peut-être que c’est juste sa façon à elle de faire son travail ?

Sur mon dessin, près de la vache à qui j’ai donné un grand sourire, je me mets à peindre un couple allongé, en train de rêvasser. Cette vache respire la bonté, et je suis content de la personnifier un peu en lui écartant les babines, ce qui lui donne un air trop mignon. Je crois que Gabin va adorer ce dessin ! Et le sourire est venu tout seul. Pas besoin d’un psy pour savoir que ça signifie que je suis heureux. Je me suis remis à espérer suite à ce baiser. Mais est-ce bien raisonnable ? Je ne peux m’empêcher de me dire que la chance a tourné. Tout de suite, je me mets à dessiner des nuages quand je parle de chance. Je m’arrête immédiatement de peindre car oui, j’ai ressenti un petit picotement dans mon cerveau, le même que j’avais quand je passais mes nuits au club à jouer au poker. La chance est pour moi intimement liée aux cartes. Et il faut absolument que je refoule cette envie, ce picotement. C’est le jeu qui m’a amené ici. Il faut que je m’en sorte sans chance ni jeu. Juste en étant sérieux.

J’efface consciencieusement les nuages et je colorie le ciel dans un gris pâle qui correspond au temps de la région depuis mon arrivée. Je regarde l’ensemble de l'œuvre. Je me dis que ce n’est pas trop mal. Je me rends compte que j’ai dessiné une brune et un barbu couchés dans l’herbe. Mon inconscient me ramène tout le temps à ma relation avec Albane… Enfin, relation, c’est vite dit. Peut-être que ce soir, elle fera comme si de rien n’était ? Finalement, je crois que c’était mieux quand je la détestais ou la craignais. Là, elle a réussi, et je ne sais pas comment elle a fait, à me faire croire en elle. Non, ce ne sont pas mes hormones qui parlent ! Non, je ne suis pas aveuglé par l’envie que j’ai de la déshabiller et de m’étendre à ses côtés pour profiter de ses jolies courbes ! Elle a réellement réussi à ce que je lui fasse confiance. Nicolas avait raison. Elle est très forte.

Mon téléphone sonne, me tirant de ces rêveries qui tournent en boucle dans ma tête. Un numéro local inconnu. Je décroche, inquiet. Personne dans le coin n’a mon numéro.

- Allo, Monsieur Perret ? me dit une voix féminine, un peu âgée.

- Oui, c’est moi.

- Je vous appelle car votre candidature pour le poste à la librairie m’intéresse. Vous seriez disponible demain matin pour venir me rencontrer ?

- Bien entendu ! Ce serait avec plaisir ! J’adorerais venir travailler pour vous ! A quelle heure souhaiteriez-vous que je vienne ?

- Venez à 9h30. Si l’entretien se passe bien, on pourra enchainer par un petit essai directement sur la matinée. On fait comme ça ?

- Très bien, Madame. Vous pouvez compter sur moi !

Je suis heureux ! J’ai un entretien ! La chance a vraiment tourné ! Cette proposition a le don de me rebooster et de me faire oublier mes états d’âme suite à un simple baiser avec Albane, qui est certes mon éducatrice, mais surtout une jolie femme. Le reste, finalement, importe peu ! Il me faut ce travail ! Et comme ça, j’aurais enfin des revenus qui me permettront de me trouver un appartement !

Sur le chemin de retour de l’école, j’informe Gabin et Sophie de l’entretien que j’ai le lendemain.

- C’est déjà Noël, me dit Gabin tout sourire. Tu vas retravailler et on va avoir plein de sous pour faire des cadeaux à tous ceux qu’on aime !

- Ah oui, et tu veux faire des cadeaux à qui, Poussin ?

- A tous les gens du CHRS ! Et à Paulo aussi, mon copain à l’école !

- Tous les gens ? Tu sais que ça fait beaucoup ! Ça va être compliqué…

- Bon, juste à nos voisins et à Albane alors.

Je ne réponds pas, mais j’ai un petit pincement au cœur. Après le baiser, ce ne serait vraiment pas une bonne idée de lui offrir un cadeau. Elle pourrait laisser passer un petit écart, mais là, elle pourrait croire que j’ai vraiment envie de flirter avec elle ? En même temps, si elle croit ça, serait-elle si loin de la vérité ? Et puis, si c’est un cadeau de Gabin, ça pourrait passer, non ?

En rentrant, je montre mon dessin à Sophie et Gabin. Ma fille me demande la permission de l’accrocher au dessus de son lit. Elle adore la vache qui rit et on rigole bien en la comparant à la célèbre vache sur les fromages dont Gabin raffole. Dès que les quelques devoirs sont finis, Sophie me relance :

- Allez Papa, on y va ! Ils vont commencer sans nous, sinon ! Dépêche-toi ! Nous sommes prêts, nous !

- Oui, oui, allez-y, je vous rejoins tout de suite… Je dois…

J’allais inventer une raison pour prendre mon temps, mais ils ne m’écoutent pas et foncent dans les escaliers pour participer à l’activité de décoration du CHRS. Je sais que je suis bête, mais je fais tout pour repousser la confrontation avec Albane. Je ne sais tellement pas comment elle va réagir… Elle était passée au “Julien” et est revenue au “Monsieur Perret” en partant. Qu’est-ce que ça signifie ?

Je passe dans la salle de bains où je vérifie si ma barbe est bien taillée. Je passe un tee-shirt propre, serré au corps, qui me met bien en valeur, je trouve. Je prends aussi le temps de ranger quelques livres qui traînent. Je suis pathétique, je sais. Repousser le danger ne le fait pas disparaître. Mais, j’ai du mal à lutter contre l’angoisse que j’ai de la revoir. Finalement, ne trouvant plus d’excuses valables, je sors et me retrouve nez-à-nez avec Asma qui se dirige aussi, seule, vers l’activité.

- Oh Julien ! Vous aussi, vos enfants sont déjà en bas ?

- Oui, Noël est vraiment une fête importante pour eux.

- Eh bien, pour les miens aussi, même si on ne le célèbre pas vraiment. Je crois qu’ils aiment les décorations, les cadeaux… Et moi aussi, j’avoue.

- Ah bon ? Vous aussi ?

- Oui, qui n’aime pas recevoir des cadeaux ? J’espère que vous ne m’oublierez pas, Julien ! Moi, j’ai pensé à vous !

Je souris, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est en train de flirter avec moi. Et je me dis aussi qu’il va falloir que je lui trouve un truc si elle prévoit de me faire un cadeau. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cette période va être compliquée à vivre… Heureusement que les enfants sont là et vont me permettre d’oublier tous ces problèmes d’adultes !

Je descends les escaliers et arrive dans le hall d’entrée déjà en pleine effervescence. Je vois Gabin en grande discussion avec Jamila qui est en train de lui remettre des guirlandes avec des instructions sur où il faut les accrocher. Je cherche du regard Sophie et je la trouve enfin. Elle est en train de porter un gros carton, aidée par… Albane bien sûr. Elle n’a pas remarqué mon arrivée et je peux donc l’observer. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire en voyant comment elle est habillée, ce qui attire son regard.

- Ah, Monsieur Perret ! Vous voilà ! Qu’est-ce qui vous fait rire comme ça ? Vous appréciez ma tenue ?

Je fais oui de la tête et souris en la voyant faire un tour sur elle-même. Cette fille n’a vraiment aucun complexe quand elle est dans son rôle d’éducatrice. Elle porte une petite jupe rouge, avec des collants noirs qui mettent bien en valeur ses jolies hanches, mais au-dessus, elle a passé un pull large vert, avec un renne au gros nez rouge. Un de ces magnifiques pulls de Noël tricotés par mamie qui est tout sauf sexy. Et au-dessus de ses jolis cheveux bruns, elle a passé un bonnet de Père Noël rouge, avec un gros pompon blanc et des lumières qui clignotent. Un vrai spectacle à elle toute seule !

- Vous êtes magnifique comme ça, Albane, ne puis-je m’empêcher de lui dire. Mais je rougis immédiatement en me disant que je ne devrais pas dire des trucs comme ça après ce qu’il s’est passé hier soir.

- Ce n’est pas très gentil de vous moquer de moi comme ça, Julien, me dit-elle avec un sourire en coin.

Son joli minois me perturbe, tout comme l’utilisation de mon prénom. Elle me fait tourner en bourrique, mais au moins, elle n’a pas l’air de regretter ce baiser échangé.

- Je ne me moque pas, Albane ! Vous vous accordez très bien avec le sapin de Noël ! Il ne manque plus que la dinde sur la table et tout sera parfait !

- Il vous manque un joli pull de Noël également. Je suis sûre que Sophie et Gabin adoreraient vous voir avec un très beau pull rouge et de jolis bonhommes de neige… Je n’ai pas réussi à remettre la main sur le carton de pulls, c’est bien dommage.

- Eh bien, je ne suis pas mécontent alors ! Ce n’est pas du tout mon style ! Et maintenant que je suis là, qu’est-ce que je peux faire pour aider ? Je suis sûr que vous pourrez utiliser mes muscles à bon escient…

Son regard se perd sur mon corps un instant et je crois la voir secouer la tête pour se remettre les idées en place avant qu’elle ne rencontre à nouveau mes yeux.

- Vous pouvez aller chercher les derniers cartons dans le grenier de la cuisine, s’il vous plaît ?

- Bien sûr. J’y vais de ce pas !

C’est étrange, j’ai vraiment l’impression que pour elle, il ne s’est rien passé d’inhabituel. Ou alors, elle est très forte pour ne pas laisser paraître ses émotions. Bref, je suis perdu devant son comportement. Je reviens rapidement dans la pièce avec les trois gros cartons qui restaient.

- Voilà les dernières décorations ! J’espère qu’il n’y a pas le carton aux pulls pas beaux !

- Je suis navrée de vous décevoir, mais… J’ai bien peur que vous l’ayez trouvé, mon cher, sourit-elle en me montrant le plus gros carton.

Albane se penche pour ouvrir le carton en question, me laissant tout le loisir d’observer ses courbes. Je déchante pourtant lorsqu’elle sort une horreur comme j’en ai rarement vu dans ma vie.

- Celui-là vous ira très bien, Monsieur Perret. Qu’est-ce que tu en penses, Gabin ?

- Oh oui Albane ! Il est trop beau ! J’adore le bonhomme de neige dessus ! Papa, il faut que tu le mettes tout de suite !

Je regarde mon traître de fils avec une lueur d’agacement dans les yeux. Albane, à ses côtés, sourit innocemment. Elle a trouvé des alliés, la perfide éducatrice. Comment je fais pour me sortir de cette situation et éviter le ridicule ?

- Sophie ! Regarde ce qu’Albane veut que je mette ! Tu es d’accord ? Ce n’est pas possible !

- Papa ! Mais… Il est… Horrible ! Faut que tu le mettes, c’est trop drôle !

Albane s’approche de moi et colle le pull sur mon torse, le maintenant de sa petite main tout en approchant sa bouche de mon oreille. L’effluve de son parfum me monte au nez, me ramenant indéniablement à hier soir.

- Allez, Julien, je vous promets que le ridicule ne tue pas. Regardez-moi !

Son chuchotement dans mon oreille me fait un effet monstre et je prie en silence que rien n’apparaisse dans mon pantalon. Je la regarde, justement, et même sous son pull vert et moche, elle est sexy. J’ai envie de poser mes mains sur ses fesses rebondies bien mises en valeur par sa jupe. J’ai envie de la coller contre moi et de l’embrasser à nouveau. Farouchement. J’ai envie d’elle, tout simplement. Mais je me retiens.

- Je me vengerai, Albane, je lui chuchote doucement et malicieusement, puis en continuant plus fort : Si vous vous liguez tous contre moi, je suis obligé de me laisser convaincre.

- Bravo Papa !!

- Super Papa !

Je saisis la main d’Albane et récupère le pull en insistant plus longtemps que nécessaire sur le contact entre nos deux peaux. Si elle veut faire comme si de rien n’était, je ne vais pas me priver, moi, de profiter de chaque instant qu’elle peut m’offrir. Je me recule juste un peu et admire le pull un instant. Qu’il est horrible avec sa couleur rouge vif et son bonhomme tout beige ! Et j’ai l’impression qu’il est un peu petit pour moi… Je l’enfile néanmoins devant le regard amusé maintenant de tous les participants qui ont tous le sourire. J’arrive, avec difficulté, à le glisser sur mon torse, mais il est particulièrement serré. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur et pour montrer à tous que je ne suis pas mauvais joueur, je fais un petit tour sur moi-même afin de leur montrer que j’ai relevé le défi. Puis, je me permets de saisir la main d’Albane que j’attire à mes côtés.

- Le roi et la reine du mauvais goût vous souhaitent de joyeuses fêtes de fin d’année !

Et hop, une petite révérence pour saluer l’audience. J’adore me montrer en spectacle ! Un peu comme quand je jouais au poker et que je faisais le clown quand la chance me souriait. Une autre époque. Un autre moi que je retrouve parfois lorsque je me laisse aller.

Albane lâche ma main et se dirige à nouveau vers le carton, pour en sortir plusieurs pulls.

- Allez, moquez-vous donc… Y en a d’autres. Gabin ? Sophie ? dit-elle en leur tendant des pulls à leur tour avant de revenir vers moi. Il vous manque un petit quelque chose, si vous voulez mon avis.

Elle retire le bonnet qu’elle porte sur sa tête et se met sur la pointe des pieds pour le passer tant bien que mal sur mon crâne. Je la laisse faire, pour ne pas causer un esclandre en partie, mais surtout parce que j’adore sa proximité. Je me fais violence pour ne pas la saisir par les hanches et ne pas l’embrasser devant tout le monde. Quand elle s’éloigne à nouveau de moi, je me force à sourire. Je mets la main sur mon pompon que je tire en l’air pour maintenir le chapeau bien droit.

- Tadam ! Le clown de la soirée est arrivé !

Je vois le regard ravi de mes enfants qui adorent voir leur papa au centre de toute l’attention. J’ai l’impression qu’ils sont fiers de moi, même si j’ai l’air ridicule, qu’ils sont heureux d’être avec moi, même si j’ai l’air d’un imbécile. Pour ce regard, pour cette admiration que je lis dans leurs yeux, je sens que je pourrais tout faire. Je ne vis que pour ça. Et là, tout de suite, c’est grâce à Albane que je suis dans cette position. Elle aurait pu faire ça à Asma ou à Irina, mais non, c’est à moi qu’elle a fait subir le déguisement. Et pour ce moment de normalité et de gaité, je ne peux que lui lancer un regard reconnaissant.

- Attention, je ne veux pas de photos !!!!

- C’est dommage, j’allais vous proposer une photo de famille, dit-elle en jetant un œil sur Gabin et Sophie qui ont enfilé leur propre pull.

Gabin est engoncé dans un pull similaire à celui d’Albane, et Sophie se retrouve avec le Père Noël, dont la barbe blanche est vraiment très moche. Mon fils, toujours prêt à me trahir, fait son petit excité.

- Allez Papa ! Une photo ! Pour envoyer à Papy et Mamie !

J’hésite un peu. Les parents de ma femme seraient certes contents d’avoir cette photo, mais il ne faudrait pas qu’ils se rendent compte que je vis dans un centre pour sans abris… Ce serait trop la honte.

- Bon, on verra quand on aura fait le sapin. Peut-être que la couleur de nos pulls disparaitra avec un arrière-plan plein de couleurs !

Jamila qui était un peu en retrait jusque là, reprend un peu le contrôle des choses :

- Excellente idée ! Allez, tout le monde participe ! Les grands mettent les décorations en haut du sapin, les petits en bas ! Albane, tu peux nous ramener des chocolats chauds pour tout le monde ? J’ai lancé le lait, il faut juste finir de préparer et tout ramener.

- Monsieur Perret, vous me donnez un coup de main ? Ils sont assez nombreux pour le sapin, mais moi, je ne pourrai pas ramener les chocolats chauds toute seule !

Je la regarde, incertain. Est-ce une bonne idée de la suivre ? Est-ce qu’elle veut profiter qu’on se retrouve à deux pour me parler et me dire qu’elle regrette son baiser d’hier ? Je ne sais pas et je reste là, planté au milieu de toute l’agitation, jusqu’à ce qu’Albane me saisisse par le bras et m'entraîne avec elle dans la cuisine. Comment lui résister ?

- Y en n’a pas pour longtemps, promis, vous pourrez finir de décorer le sapin avec les enfants, dit-elle en s’affairant déjà à la tâche.

- Albane…

- Oui ?

Elle ne se retourne même pas pour me répondre, et poursuit ce qu’elle faisait, sortant des tasses du placard.

- Non, rien. Que voulez-vous que je fasse ? Je mets du chocolat dans les tasses ?

Je ne parviens pas à lancer la discussion sur ce qu’il s’est passé la veille. Trop peur de la vexer ou de la provoquer. Et pourtant, quand j’admire son dos et ses jolies courbes, je meurs d’envie de me rapprocher d’elle, me coller tout contre sa peau et laisser ma barbe lui chatouiller le cou. Elle est capable de créer un tel désir chez moi… J’ai l’impression qu’elle a réveillé tout mon être.

- Oui, allez-y, j’ai déjà vu Gabin avec une moustache au chocolat, je sais que vous maîtrisez cet art.

- Je maîtrise mieux la barbe que la moustache, vous savez ! Vous par contre, pour ce qui est déguisement, vous êtes plutôt fortiche !

Pour récupérer le chocolat, je passe près d’Albane dont je frôle le bras. J’essaie d’éviter le contact, mais j’ai l’impression qu’elle fait exprès de le provoquer. Je ne comprends vraiment pas son attitude. Elle ne dit rien, mais son corps a l’air de répondre au mien. Je m’éloigne donc à nouveau et verse du chocolat de manière généreuse dans les tasses.

- J’adore les pulls de Noël, ça me rappelle une époque où tout était plus simple, plus facile… Bref ! J’avoue que le vôtre est un peu petit, mais il est mignon.

- Moi, j’ai toujours évité d’en mettre. Vous avez fait un petit miracle tout à l’heure. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Je saurai m’en rappeler quand l’occasion se présentera !

- J’attends votre vengeance, Julien, je suis prête à la subir sans problème après avoir vu le sourire de vos enfants.

- En attendant, je suis prêt de mon côté. Vous aussi ? On peut retourner dans le hall ou bien il y a encore quelque chose à faire ici ?

Un soupir s’échappe de ses lèvres alors qu’elle cesse enfin de me tourner le dos.

- On pourrait parler, disserter sur ce qui s’est passé hier soir que cela ne changerait rien au fait qu’il s’est passé quelque chose… Et que ça n’aurait pas dû arriver. Même si j’imagine qu’on en avait envie tous les deux…

Qu’elle a l’air fragile quand elle me dit ça. Que ça la rend désirable…

- C’est vrai que ça n’aurait pas dû arriver… Je suis désolé si j’ai dépassé les limites. J’espère que vous ne m’en voulez pas, mais oui, j’en avais envie. Et je vous mentirais si je vous disais que je n’ai pas encore envie à ce moment même. Mais ce n’est pas raisonnable, Albane. Il ne peut rien y avoir entre nous. Je n’ai pas envie de perdre ma place ici. Et je n’ai pas envie que vous soyez virée pour un désir qui, de mon côté, n’est sûrement dû qu’à ma longue abstinence…

Albane fronce les sourcils et détourne le regard un moment avant d’inspirer profondément. Elle fait ça souvent, comme si elle cherchait à reprendre le contrôle, à dissimuler ses émotions, et je me demande ce que j’ai bien pu dire qui puisse la pousser à ne pas se dévoiler comme je viens de le faire.

- En effet, commence-t-elle d’une voix blanche, vous avez raison. Ce n’était qu’un moment d’égarement. Je suis contente qu’on soit sur la même longueur d’onde. C’est parfait. Allons-y.

Je sens une certaine froideur dans son ton. Je ne comprends rien aux femmes. Je lui dis que j’ai envie d’un nouveau baiser et elle me renvoie dans mes vingt-cinq mètres… J’ai dû être maladroit, peut-être… Mais bon. J’ai raison, on ne peut pas se permettre de fauter à nouveau… C’est trop dangereux.

Je la suis donc pour profiter de la vue sur son joli fessier. Même sans baiser, cela n’empêche pas de regarder.

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