8. Un câlin pour un nounours

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Julien

Je suis dans une rage folle après ce cours de français. Ce Jordan, c’est vraiment le genre de type qui m’horripile. J’ai dû faire un de ces efforts pour me contenir et ne pas lui en mettre une ! Et pas seulement pour ce qu’il a dit sur moi et sur la garde de mes enfants… J’ai bien senti le gars pas sûr de lui qui ne vit que pour dominer ceux qu’il peut écraser. Les ratés de la société comme moi, on est des proies faciles... Si ça n’avait été que ça, j’aurais pu l’ignorer. Mais tous ses regards de petit minot enamouré vers Albane, j’ai pas supporté ! Ce gars est quand même un petit con, et rien que de penser à nouveau à son attitude, je sens une boule de nerfs me tendre tous les muscles.

Par contre, qu’est ce que ça veut dire, cette jalousie ? Est-ce parce que dans la pièce, j’étais le petit coq et qu’il est venu faire le sien ? Peut-être… Mais je crois que s’il avait cherché à dragouiller Asma ou Irina, je n’aurais pas ressenti la même rage, la même colère… Elle m’énerve, Albane. J’ai l’impression qu’elle me veut du bien, mais elle bosse en équipe avec des gars comme Jordan. J’ai confiance en Nicolas, je sais qu’il fera tout pour ne pas que je me retrouve dans la galère. Il me doit bien ça, d’ailleurs. Mais si Albane se laisse convaincre par son collègue, c' est fini de ma place ici. Même leur chef ne pourra pas me sauver.

Toujours aussi tendu, je reviens à mon studio. J’ai l’impression qu’il est vide. Ce n’est pas normal, j’avais demandé à Sophie de garder son frère…

- Gabin ? Tu es là ? Sophie ? Je suis rentré !

Je suis surpris… Pas un bruit ne me répond. Je regarde sur les lits, dessous, j’ouvre les armoires… Mais non, rien. Ce n’est pas comme si c’était un palace dans lequel je vivais. Les lieux de cachette sont limités et ils ne sont donc pas en train de me faire une blague. Je sens les battements de mon cœur s’accélérer. Où peuvent-il être allés ? S’il leur est arrivé quelque chose, je m’en voudrais jusqu’à la fin de mes jours ! J’aurais vraiment pas dû aller à ce foutu cours ! Pourquoi est-ce que je me suis laissé embarquer dans cette histoire ? Je pense que ça m’a trop rappelé mon expérience professionnelle de formateur… Et Sophie qui était si contente de me voir reprendre ces activités ! Où peut-elle être ?

Avant de paniquer complètement, j’essaie de me poser, de réfléchir, de me mettre à la place de mes enfants. Je dois me poser, mais en fait, je tourne en rond dans la petite pièce qui nous sert de chambre. Je ne tiens pas en place, rongé par l’inquiétude. Quelles sont mes options ? Réfléchis, Julien ! Ne fais pas le con, ou tu pourrais tout perdre ! Ma première pensée est d’aller voir Albane pour qu’elle me vienne en aide. Mais je me morigène… Me voilà déjà devenu dépendant de mon travailleur social pour faire toutes mes démarches dans ma vie ! Ce sont mes enfants ! C’est à moi de trouver la solution ! Pas à une petite jeune qui, même si elle a l’air compétente, n’en reste pas moins l'œil de Moscou !

Je me décide à aller explorer le CHRS. Je me dis que jamais Sophie n’aurait entraîné Gabin dehors sans m’en parler. Ils doivent être dans une autre pièce. Mais où ? Je ressors en trombe de chez moi et je bute contre Albane qui passait devant la porte. Je la bouscule et tout de suite, par pure réaction, mes bras se tendent pour éviter sa chute.

- Oh ! Pardon ! Je ne vous avais pas vue !

Albane s’accroche à mon bras pour reprendre son équilibre. Nos regards se croisent, le temps semble s’arrêter, mais elle se reprend vite.

- Vous allez bien ? Je ne vous ai pas fait mal ?

- Je… Heu… Non, ça va, merci, dit-elle en reculant d’un pas sans pour autant détourner le regard. Est-ce que tout va bien ?

- Oui, oui, pourquoi ça n’irait pas ?

Je me rends compte que je réponds trop vite, l’air coupable. Mais ses yeux plongés dans les miens m’empêchent de réfléchir correctement.

- Vous êtes parti plutôt brutalement et… Je venais voir comment vous alliez. Mais vous avez l’air plus paniqué qu’énervé finalement. Un problème ? Enfin, autre que cet abru… Non, je n’ai rien dit, pardon.

Je me demande comment lui répondre. Il faut surtout que je n’apparaisse pas trop paniqué si je veux éviter qu’elle se rende compte que j’ai un souci... Je me décide de me défendre en attaquant et je hausse un peu la voix :

- Pourquoi vous ne m’avez pas plus défendu tout à l’heure ? Je pensais que l’on co-animait le cours ? Là, je me suis senti comme un moins que rien pendant que l’autre con faisait son numéro. C’est n’importe quoi, tout ça ! Vous ne me reverrez plus ! J’ai fait la connerie de vous dire oui, et me voilà menacé d’un rapport au chef ! Vive le respect !

- Julien !

Albane regarde autour de nous et m’attrape par le bras pour me tirer dans mon studio avant de refermer la porte sur nous.

- Allez-y, criez dans tout le bâtiment que les éducs sont des cons et vous ne ferez qu’empirer la situation. Réfléchissez deux minutes, bon sang ! J’ai fait au mieux pour éviter que cela ne s’envenime. Je connais Jordan, si j’avais été plus virulente, il l’aurait été aussi et ça aurait mal fini… On s’accroche souvent, lui et moi.

Mince, nous voilà dans le studio et les enfants ne sont pas là ! Tout à ma peur qu’elle ne découvre le pot-aux-roses, je ne fais même pas attention à ce qu’elle vient de me dire. Il faut que je fasse très, très attention ! Je risque gros ! Et puis là, elle est tellement proche de moi que j’en suis, malgré moi, troublé.

- Vous êtes gentille, vous. Je ne fais que ça, réfléchir ! Et qu’est-ce que je vois ? Une éduc qui me fait croire qu’elle a besoin de moi pour un cours et qui fait venir son collègue juste pour m’abaisser ! Moi, j’y ai cru… Ma fille aussi. Et boum, je me prends la honte devant tous les autres résidents. C’est n’importe quoi, ce que vous faites ici. C’est ça votre vision de la réinsertion ?

- Nom de dieu mais, vous êtes terrible, vous le savez, ça ? s’agace-t-elle. Il n’y a aucune théorie du complot contre vous ! Je n’apprécie pas les manières de faire de Jordan, loin de là, et si vous étiez un peu moins auto-centré sur votre petit nombril, vous auriez sans doute remarqué que je n’avais, moi non plus, aucune envie de le voir là ! Ce type me… Me… Arg ! Vous n’êtes pas possible !

Elle me tourne le dos et se met à aller et venir dans la chambre avant de se figer.

- Mais… Où sont vos enfants ?

- Mes enfants ? euh… Eh bien… Ils sont… Gabin est avec Sophie. Enfin, je crois. Je ne sais pas en fait...

Je perds tous mes moyens. Entre l’aveu qu’elle a fait sur son énervement vis-à-vis de son collègue, ses allers-et-venues à quelques centimètres de moi, me faisant profiter de son doux parfum que je commence à reconnaître et ses jolies courbes offertes à chaque demi-tour, je ne parviens plus à réfléchir. Je suis comme un boxeur qui vient de se prendre un dernier coup et qui finit KO sur le ring. La question qui tue. La question qui me tue et me ronge. Où sont mes enfants ? Je m’effondre littéralement contre la porte de la chambre, me retrouvant assis par terre, à sangloter, sans pouvoir me retenir. Je suis un père indigne, incapable de s’occuper de ses enfants. Je suis un raté qui ne sera jamais à la hauteur et ne pourra jamais réussir à les éduquer. La preuve, ils ont déjà disparu… Quel modèle je leur donne ! Pas étonnant qu’ils se soient barrés. Je laisse les larmes couler sur mes joues, oubliant tout ce qui m’entoure…

- Monsieur Perret…

Je reprends pied avec la réalité en sentant deux mains se poser sur mes genoux. Il m’est impossible de relever les yeux, honteux de me laisser aller ainsi, honteux de mon incompétence en tant que père, mais je peux apercevoir qu’Albane s’est accroupie à mes côtés. Elle pousse un soupir et finit par se mettre à genoux, se rapprochant encore plus de moi.

- Julien… Je sais que vous m’avez interdit, il y a peu, de vous toucher, mais je pense que là…

Là, j’ai besoin d’elle, je le sais, je le veux. Mon cerveau me dit de résister, de ne pas faillir car je risque de le regretter plus tard. Mais je ne peux m’empêcher de sangloter à nouveau et je tends les bras vers elle, en hochant la tête de haut en bas pour lui signifier mon accord. Cela fait tellement longtemps que personne ne s’est occupé de moi. J’ai, moi aussi, le droit d'être réconforté. Ça fait des mois que je joue au fort, au costaud qui n’a peur de rien, au super héros qui peut relever tous les défis… Mais là, je me sens faible. J’ai besoin d’un peu de chaleur humaine…

Albane ouvre à son tour les bras et m’attire contre elle avec douceur. Instinctivement, mes bras se referment autour d’elle, alors qu’elle pose sa main sur ma nuque et me pousse à nicher mon nez dans son cou. Réconfort, bienvenue. Son parfum me monte d’autant plus à la tête à cet instant, mais c’est surtout ses doigts sur ma nuque, caressant lentement ma peau, qui font vriller toute ma volonté de dignité à son propos à cet instant. Je lâche tout ou presque, me laissant aller contre elle durant un moment sans me poser de questions.

- Ils ne peuvent pas être allés bien loin, la cour est sécurisée, finit-elle par murmurer à mon oreille.

- C’est vrai ? Ils ne peuvent pas sortir tout seuls ? Mais si quelqu’un leur a ouvert ? Et s’il leur était arrivé malheur ?

- Si vous faisiez un effort pour apprendre à connaître les mamans qui sont ici, vous sauriez qu’elles se serrent les coudes et sont attentives aux enfants des autres autant qu’aux leurs. Je vous parie une tablette de chocolat qu’ils sont chez Asma ou à la cuisine.

Je me dis qu’elle a sûrement raison, que j’ai été bête de tout lâcher comme ça… Je devrais me ressaisir, mais c’est tellement bon d’être dans ses bras, de sentir ses mains contre ma peau ! Je la sens tellement proche. Finies à ce moment-là les différences de statut… Nous ne sommes plus qu’un homme et une femme.. Deux êtres humains dont l’un réconforte l’autre. Comme aux temps les plus primitifs. La chaleur humaine et la proximité qui résolvent tous les soucis. Je me redresse un peu, à regrets, sans rompre cependant le contact.

- Merci, Albane. Merci d’être là… Vous avez sûrement raison. Je n’ai même pas pensé à aller voir chez Asma. Quel idiot je fais… Vous devez me prendre pour un imbécile… J’ai juste tellement peur de perdre mes enfants ! Si vous saviez ! Ils sont tout pour moi ! Si on me les enlève, je ne suis plus rien !

- Personne n’a parlé de vous enlever vos enfants, Monsieur Perret. Enfin, personne de sensé, si vous me permettez de manquer de professionnalisme un instant… Et même si vous pensez que ça m’arrive trop souvent, dit-elle en me faisant un clin d'œil.

- J’en ai rien à faire de votre professionnalisme ! Ce dont j’ai besoin, c’est de quelqu’un qui soit là si j’ai besoin, qui me fasse confiance et qui me permette de m’en sortir. Tout le reste importe peu. Quand je vois comment Jordan est professionnel, je préfère mille fois votre comportement à son absence de respect à notre égard ! Et je ne suis pas le seul à le penser, croyez moi !

Je me redresse totalement, recréant une distance entre nous deux. Le contact cesse et je ressens comme un manque qui s’installe immédiatement. J’étais bien au creux de ses bras… Mais il faut que je retrouve mes enfants.

- La confiance doit être mutuelle, Monsieur Perret, pour que l’on puisse avancer dans la même direction. Et j’avoue que je ne sais plus quoi faire pour gagner la vôtre.

Elle pousse un soupir et je me fige en voyant ses deux mains s’approcher de mon visage. De ses pouces, Albane essuie le dessous de mes yeux en me lançant un fin sourire.

- Vos enfants ne veulent pas voir leur papa pleurer, même si c’est humain. Je vous ferais bien une blague merdique histoire de vous redonner le sourire, mais je n’en ai pas en stock. Allons les retrouver.

- Dommage… Je suis sûr que les blagues d’éducs aux dépens de ces pauvres résidents peuvent être très drôles.

Je ne peux m’empêcher de lui sourire. Je dois avouer que je ne lui fais toujours pas confiance totalement. Que j’ai toujours cette petite voix en moi qui me souffle de ne pas céder aux bons sentiments. Mais il faut admettre que là, j’avais besoin de quelqu’un et qu’elle était là pour moi. Elle ne m’a pas jugé. Elle ne m’a pas critiqué. Elle aurait pu me traiter d’irresponsable de ne pas savoir où étaient mes enfants. Mais non. Elle a su trouver les mots et les gestes pour me réconforter. J’aurais même presque eu envie de prolonger ce moment, ce contact qui m’a fait tant de bien. Mais je suis réellement toujours inquiet pour mes enfants.

Je me remets debout et lui tends la main dans un geste que je veux symbole si ce n’est de paix, au moins de trêve envers elle.

- Je ne sais pas si je peux vous faire confiance, Albane. Je ne sais pas si je peux encore faire confiance à quelqu’un. Je ne vous promets rien. Sauf d’essayer de ne pas vous gueuler dessus dès que je vous vois. Je ne peux pas aller plus loin… Le reste est au-dessus de mes forces.

- Ça viendra, Monsieur Perret, dit-elle en serrant ma main dans la sienne et en la gardant emprisonnée. Vous vous rendrez compte que je serai toujours derrière vous, et pas pour vous fliquer, mais simplement pour vous permettre de vous appuyer sur moi quand ce sera nécessaire. Et je serai là aussi pour vous aider à vous relever quand vous en aurez besoin, même si j’espère ne pas avoir besoin de le faire. Il n’y a rien de plus important pour moi que ce que je fais ici, et je n’abandonne jamais, sachez-le.

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