Chapitre 3 : La cassure

22 minutes de lecture

La voix enthousiaste de Marie fit les présentations.

— Voilà, c’est Nathalie, elle rejoint notre équipe.

Au beau milieu du mois de juillet 2001, Hector n’était toujours pas persuadé de la nécessité d’enrôler un nouvel agent de terrain. Il fallait l’encadrer, le former, être attentif, tout en étant actif, tout en sachant qu’une nouvelle tempête pouvait éclater à tout moment, sans prévenir. Cependant Roger, Marie, ainsi que les deux analystes, Élisabeth et Bruno, convaincus que l’efficacité des méthodes d’Hector, un jour, ne suffiraient probablement plus, s’étaient accordés sur le fait qu’une menace grandissante mettait en péril toute la petite organisation et qu’un renfort devenait nécessaire. Il ne pouvait que respecter une décision prise en collège, à quatre voix contre la sienne, sans doute inspirée par la raison. Il accueillit donc cette grande jeune femme aux cheveux blond platine coupés au carré, aux yeux verts perçants, au sourire fin mais déterminé. Après tout, rien n’indiquait qu’elle ne satisferait pas aux exigences du groupe.

— Enchanté. Bienvenue dans l’équipe.

— Tu as un mois pour l’entraîner, lui conseilla Roger, désignant la nouvelle venue de la pointe d’une des deux cannes anglaises qui l’aidaient provisoirement à se déplacer.

De graves blessures contractées quelques mois auparavant, au cours d’une enquête qui avait mal tourné, l’avaient immobilisé dans un lit d’hôpital. C’était l’affaire Morrison, dont tout le monde se souviendrait comme un échec. Mais, désormais, Roger commençait à retrouver ses jambes (1).

— Le temps est au calme, poursuivit-il, tu ne devrais pas avoir à intervenir, où que ce soit.

Exercices de combat rapproché, tactique militaire, interventions simulées, conduite automobile sur circuit, les épreuves se succédèrent au quotidien de la nouvelle recrue qui donnait entière satisfaction à son instructeur, malgré l’intensité du stage de formation accélérée.

À la mi-août, un dîner officialisa la fin de l’entraînement théorique, Hector, Marie et Roger s’apprêtaient à lancer Nathalie dans une opération de terrain en conditions réelles. À l’occasion d’un repas pris ensemble, Roger, comme le chef d’entreprise qu’il était, donna les consignes.

— Bon, Nathalie, demain, premier exercice de terrain. Hector et toi escorterez, discrètement, un transfert de fonds. Normalement, rien de particulier ne doit se passer, la mission est simple, rester à portée du convoi, sans vous faire remarquer. Si quelque chose devait se passer tout de même, alors action, sans laisser de trace. OK ?

Si ç’avait pu être le cas un mois auparavant, Nathalie n’avait maintenant plus aucun doute et affichait son assurance.

— C’est clair.

Marie se leva de table et alla chercher un paquet, qu’elle confia à Nathalie, comme une récompense pour les efforts fournis depuis son arrivée.

— Tiens, c’est à toi, ouvre-le.

Nathalie ouvrit le paquet. À sa grande joie, elle y découvrit une tenue complète pour les opérations sur le terrain. Dorénavant, elle faisait réellement partie de l’équipe. Ses sacrifices, sa souffrance, le renoncement à son passé, tout avait une raison d’être qui se concrétisait dans ce présent.

-

Deux ans avaient passé depuis l’intégration de Nathalie. Hector, Roger, Marie, Nathalie, Bruno et Élisabeth, se retrouvèrent autour d’une table, dans un bar, et devisaient joyeusement. La complicité entre Hector et Nathalie ne se démentait pas et alimentait l’efficacité de leur tandem. Elle n’était un secret pour aucun membre de l’équipe et tout le monde se réjouissait d’une décision bienvenue, deux ans auparavant, à la suite d’une crise que personne n’avait pu oublier. À la fin de la soirée, Marie et Roger prirent congé, ainsi qu’Élisabeth et Bruno, laissant Hector et Nathalie finir leur verre en tête à tête. Alors qu’il réglait l’addition au comptoir, Nathalie lui glissa à l’oreille.

— Il n’est pas si tard, on se fait une toile ?

— Qu’est-ce qu’ils jouent ?

— Attends, je regarde.

Elle consulta son téléphone portable. Une première sélection fit sortir du lot deux adaptations de comics américains, l’une contant les mésaventures monstrueuses d’un scientifique irradié accidentellement dans son laboratoire, l’autre réunissant divers héros de la littérature du dix-neuvième siècle dans le but de sauver Venise de la destruction. Les deux comparses avaient besoin de se détendre.

À la sortie du cinéma, Hector raccompagna Nathalie chez elle. Il s’arrêta devant la porte de sa maison, sortit de son coupé anglais rétro et lui ouvrit la portière, côté passager, en gentleman. Il marcha avec elle jusqu’au perron, et s’arrêta, alors qu’elle l’invita à faire un pas de plus.

— Un dernier verre ?

— Non, tu sais bien, ce n’est pas possible.

— Attends, elle est loin, elle est mariée, mère de famille… qu’est-ce que tu espères ?

— Je sais. C’est comme ça. Je ne peux pas, pas encore. Ça ne serait pas honnête.

— Un jour, il faudra que tu apprennes à tourner la page.

— Un jour, sûrement. Pas aujourd’hui.

Nathalie lui déposa un baiser amical sur la joue et rentra chez elle. Tandis qu’il retournait à sa voiture, elle déverrouilla sa porte, se tourna vers lui, l’interpella, un soupçon de malice dans la voix.

— C’est ta dernière chance…

Hector sourit et continua son chemin sans se retourner, il s’assit au volant de l’Aston-Martin et démarra.

-

Au petit matin, Hector arriva à la base avec un sac de croissants. Marie et Nathalie prenaient un café à la cuisine. Sans se départir de ce ton malicieux que tout le monde appréciait, Nathalie joua l’ironie.

— Tu as quelque chose à te faire pardonner ?

— Toi, tu es trop bête, enchaîna Marie… mais merci quand même !

Roger entra et vit Hector avec son sac de croissants…

— Tiens ? Tu as quelque chose à te faire pardonner ? Tu l’as battue aux fléchettes, c’est ça ? Ben en tous cas, merci pour les croissants !

Hector gardait le sourire, mais avait d’autres préoccupations.

— Bon appétit, je vais à la plage.

-

Sortant de l’eau, Hector se changea rapidement puis s’installa au volant de la belle anglaise et alluma la radio, alors qu’au même moment, dans la cuisine, la sonnerie du téléphone retentit. Hector roulait doucement, n’écoutant que d’une oreille distraite une émission qui ne l’intéressait guère.

— En cette belle journée du 18 août, Johanna étant malade, c’est Melchior qui vous annonce ce que les astres vous ont réservé. Bonjour Melchior.

— Bonjour Caroline, bonjour à tous ! Bélier, cette belle journée de fête se terminera dans une situation de grand stress. Ne cédez pas à la panique et comptez sur vos amis pour vous donner un petit coup de main. Taureau, vous devrez affronter le plus grand défi de votre carrière, ne baissez pas les bras.

Dans la cuisine, Marie tendit le combiné à son amie.

— Nathalie, c’est pour toi…

L’Aston-Martin accéléra violemment et arriva au centre. Dans la cuisine, Nathalie fut prise d’angoisse, alors que le combiné ne renvoyait plus que la tonalité monotone d’un appareil qui demandait à être raccroché. Désespérée, elle appelait vainement.

— Allô ? Florence ? Allô ?

À cet instant, Hector surgit dans la cuisine. Il s’attendait au spectacle de ses trois amis à la mine consternée, et, comme pour les sortir du cauchemar dans lequel ils étaient plongés, leur annonça l’arrivée d’un événement qu’il semblait attendre depuis longtemps.

— Je crois qu’on y est !

Marie sembla vouloir lui faire comprendre la gravité de la situation qu’elle et les deux autres venaient de vivre, dans cette cuisine devenue oppressante.

— Hector, c’est Nathalie, sa sœur…

— Elle est prisonnière, confirma Nathalie, retenue par des inconnus. On a douze heures, on doit attendre des instructions.

— C’est quoi son signe ?, demanda Hector, comme pour s’assurer qu’il était sur la bonne voie, ce qui provoqua l’incompréhension de Roger.

— De quoi ?

— Son signe zodiacal, insista Hector, visiblement pressé.

— Capricorne, pourquoi ?

Hector alluma l’ordinateur portable posé sur la paillasse, à côté du réfrigérateur, et commença sa recherche.

— Alors, rediffusion de ce matin… horoscope…

Roger et Marie étaient dans l’incompréhension la plus totale, et l’homme bourru commençait à s’impatienter devant l’attitude irresponsable d’Hector.

— Qu’est-ce que tu fous ? Tu crois que c’est le moment ?

— En plus, tu n’y crois pas à ces trucs, poursuivit Marie.

Hector avait maintenant l’intention de leur montrer l’erreur qu’ils faisaient tous en se fiant aux apparences. Il fallait avoir une vision plus large.

— Aujourd’hui, j’y crois, affirma-t-il posément en lançant la lecture de l’enregistrement.

— Bélier, cette belle journée de fête se…

— Écoutez ça… Et tâchez de vous concentrer sur sa voix, ça devrait vous mettre la puce à l’oreille.

— Capricorne, vous ferez une rencontre inattendue, pour une journée forte en émotion. Demandez à vos proches de vous aider à gérer la situation…

— Bélier, taureau, capricorne, vous êtes convaincus ? Et je veux bien être pendu si ce type est astrologue. Il nous envoie un message, c’est évident. Nathalie, où est ta sœur, en ce moment ?

— Elle a une maison de vacances, à côté de Pointe à Pitre, à la Guadeloupe. Elle y va tous les ans, pour trois semaines, pendant ses congés.

— Merde, enchaîna Roger, la Guadeloupe, c’est pas la porte à côté. Et on n’a personne là-bas. On doit prévenir les autorités locales.

— Non, reprit Hector, vous avez entendu comme moi, la voix, les signes astrologiques, le message est pour nous, c’est nous qu’il veut, c’est moi qu’il veut !

— Mais attends ! Bélier ? Une journée de fête ?… quel rapport avec ma sœur ? demanda Nathalie qui restait dans le flou.

— Regarde le calendrier, lui lança Hector qui quittait déjà la pièce… Que Jonathan et Mary (2) ouvrent l’œil !

Nathalie et Marie consultèrent le calendrier, 18 août, Sainte Hélène. Nathalie quitta la pièce et suivit son équipier.

— Hector, tu vas où ?

— Je vais me préparer pour aller chercher ta sœur, reste à l’écoute, tiens-moi au courant.

— Je viens avec toi.

— Hors de question !

— Quoi ? Mais pourquoi, c’est ma sœur !

— Justement. Tu es trop engagée personnellement et émotionnellement. Tu lui ferais courir un risque. J’y vais seul.

— Et si la mission est double ?

— Je m’en occuperai.

— C’est ça, parce que tu n’es pas impliqué, toi ?

— Tu restes ici.

Elle courut vers son appartement, suivie de Marie. Lui partit vers le sien. Le temps de préparer son équipement de terrain, Hector retrouva Roger et Marie à la salle de contrôle.

— Vous avez le lieu où elle est retenue ? s’enquit-il.

— Oui, tu verras, finalement, c’est assez simple à trouver, rassura Marie. Le GPS est programmé. On a fait une cartographie rapide avec Nathalie. Tu peux y être en quatre heures, avec cet engin. Selon la situation, je ne sais pas combien de temps il te faudra pour la délivrer. Le mieux serait que tu la ramènes ici, près de sa sœur.

Hector, Roger et Marie sortirent du bloc de contrôle et se dirigèrent vers la taupinière, au sous-sol, où attendait un engin, visiblement une sorte d’avion qui semblait tout droit sorti de l’imagination d’un auteur de bandes dessinées de science-fiction. Hector, d’un calme olympien, déterminé, donna les dernières consignes.

— Vous deux, restez à l’écoute de Johnny et Mary. Tenez-moi au courant, en temps réel. Et tâchez de trouver Nathalie et de la rassurer. Dites-lui que tout se passera bien.

— Sois prudent ! répondit Marie.

Elle savait que ce conseil était inutile, mais, comme une grande sœur, qui avait déjà veillé à son chevet, autrefois, alors qu’il était, lui-même, entre la vie et la mort (3), elle sentait une pointe d’inquiétude la gagner.

Hector monta dans le jet et engagea rapidement la procédure de démarrage. L’appareil s’ébranla dans un vacarme assourdissant, que Roger et Marie connaissaient déjà et contre lequel ils venaient tout juste de se protéger les oreilles. L’engin s’élança dans un tunnel et prit son envol à pleine vitesse. Dans le cockpit, Hector entendit un bruit inhabituel pour cette machine qui fonctionnait parfaitement. Nathalie sortit de sa cachette.

— Qu’est-ce que tu fiches ici ? Je t’avais dit…

— Je sais, mais je viens quand même. Tu dois faire avec !

— Tu n’es pas équipée pour.

— J’ai mon uniforme…

— Ça ne suffira pas. Avec lui, il en faut plus.

— Et le tien ?

— Un prototype que j’ai mis au point. J’ai fait des améliorations. Test grandeur nature.

— Et moi ?

— Je te l’ai dit, c’est un prototype.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? Comment ça va se passer ?

— J’imagine qu’il y aura des pièges, de toutes sortes, un peu partout. Des pièges bien voyants, pour en cacher d’autres, plus discrets, plus terribles.

— Tu auras besoin de moi !

— J’aurai besoin que tu restes planquée, que je n’ai plus à m’occuper que de ta sœur.

Après deux heures de vol stratosphérique à vitesse supersonique, Hector enfila une cagoule et s’apprêta à sauter du jet en vol stationnaire. Nathalie le retint par le bras.

— Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi tu t’arrêtes maintenant ? Où tu vas, comme ça ?

— On est au but, ma grande.

— Mais Marie a parlé de quatre heures de trajet… On n’est encore qu’à mi-chemin…

— On ne vole que depuis deux heures, je sais. J’ai apporté quelques modifications, ces dernières semaines. Roger n’est pas au courant. En fait, tu es la première à qui j’en parle… Fais-moi confiance.

Une pression sur un bouton poussoir rouge, la porte latérale s’ouvrit, Hector disparut dans le néant et l’obscurité.

-

L’homme vêtu d’un treillis aux couleurs variant du kaki au marron clair, portait des chaussures montantes en cuir, noires, ainsi qu’une paire de gants assortie. Sur le visage, des formes irrégulières de maquillage, nuancées du noir au gris foncé, brisaient la régularité de ses traits naturels, complétant un camouflage de nature à défier quiconque de le reconnaître.

Dans le calme de la nuit, il avait entendu un craquement dans le fourré voisin. Il avança à pas feutrés vers le buisson. Il voulait être sûr. Il se saisit des deux lames dissimulées dans son dos, il était prêt à toute éventualité. C’était pour cela qu’il s’était entraîné des années durant, qu’il venait d’être recruté, et il ne laisserait aucune chance au hasard, à quiconque. Un souffle lui caressa les paupières, il s’accroupit, en mode prédation, prêt à bondir. Quelqu’un était là, il le sentait, même s’il ne le voyait pas. Celui-là était doué, rusé, habile, rapide, mais pas autant que lui. Une branche du buisson était brisée, son instinct ne l’avait pas trompé. La tension montait, l’adrénaline tendait ses muscles, un son à peine perceptible à droite, il tourna la tête. Il sentait, écoutait, restait immobile et silencieux. C’était sa première mission. Soudain une douleur violente, aiguë, dans le dos, une main le bâillonna, un éclair, une coulée chaude sur son cou, sur son buste, la tunique humide. Malgré toute sa vigilance, il ne l’avait pas anticipé. Ce fut sa dernière mission.

Apparaissant de nulle part, avant même que la dépouille de sa victime ne touchât le sol, Hector, rendit au commando mort le couteau qu’il avait pris à sa ceinture. Il se dirigea ensuite, de nouveau en mode furtif, vers la maison qui se trouvait à une cinquantaine de mètres au bout de ce terrain privé. Une voix numérisée chuchota à son oreille droite qu’il s’apprêtait à traverser un champ de mines anti-personnel d’une quinzaine de mètres. Il se figea une seconde, puis vit, par l’intermédiaire de ses lentilles high-tech, les mines, en rouge, sur une modélisation numérique du terrain. Il eut cependant l’intuition qu’elles étaient un leurre destiné à cacher un piège plus terrifiant encore. Il s’allongea sur le sol et en examina la surface attentivement. Une sorte de filet au fil si fin qu’il semblait invisible, à la maille suffisamment large pour le rendre discret sur la pelouse, était étendu sur la surface du champ de mines. Quelle était la fonction de cette toile ? Hector longea le bord de la zone interdite jusqu’au mur d’enceinte de droite. Le filet semblait remonter le long du mur. Il y avait fort à parier que l’autre mur, à gauche, était garni de la même manière. Il s’entendit alors donner un ordre.

— Fais-moi un nouveau scan. Résolution maximale.

— Terrain scanné à résolution maximale dans trois, deux, une, maintenant.

Les lentilles affichaient maintenant un spectacle ahurissant. Non seulement le filet s’étendait effectivement du haut d’un mur au haut de l’autre, sur quinze mètres devant Hector, mais il était relié à une multitude de câbles se rejoignant à trente mètres au-dessus du sol. De là, un câble unique, de plus gros diamètre montait à la verticale, passait dans la gorge d’une poulie, et obliquait vers la maison. Un enchevêtrement de fils, si fins qu’ils semblaient avoir été filés par une araignée, barrait le passage au-dessus du filet, si bien que même un champion de saut en longueur, s’il eut voulu franchir la zone en un bond miraculeux, eût été pris au piège tel un moucheron dans la toile d’une épeire. Ils avaient donc pensé à tout. Il était, probablement, impensable de couper le filet, ou même un des câbles. Des types si bien organisés, un plan si bien huilé, les fils eux-mêmes étaient certainement piégés. Une autre approche s’imposait.

Faisant fi de la discrétion, Hector quitta le mode furtif, revint sur ses pas, prit le cadavre de sa victime sur les épaules et s’en retourna vers la maison. En bordure du champ de mine, dans un effort physique digne d’un décathlonien, il envoya le corps sans vie voler jusqu’au milieu de la toile. Aussitôt, le piège se referma sur l’infortuné soldat, qui fut secoué par des courants électriques, juste avant la fermeture du filet sur son corps déjà meurtri.

Le piège glissa vers la poulie qui avala les premières mailles du filet, puis les suivantes. Le mécanisme semblait ne pas vouloir s’arrêter. Quand le corps du commando n’eut plus le moindre centimètre cube de liberté, Hector vit les mailles du filet le marquer de leur empreinte. La pression fut si forte que les vêtements se déchirèrent, puis le filet serrait encore, sans jamais donner la moindre impression de faiblir. Les tissus corporels du cadavre commençaient maintenant à céder sous la pression.

Hector recula de plusieurs mètres et s’abrita derrière un vieux puits en pierre, au fond de cette cour, lorsqu’une série d’explosions vint embraser le jardin. Les restes du jeune militaire venaient de tomber, découpés par le filet, et avaient provoqué, dans une réaction en chaîne, la destruction de toutes les mines. La voie était donc libre sur quinze mètre supplémentaires.

Au-delà, deux nouveaux soldats d’élite, alertés par le vacarme des explosions, attendaient Hector. Celui-ci avait suffisamment perdu de temps pour ne pas se compliquer davantage la tâche avec ces deux-là. Il réactiva le mode furtif de son uniforme, s’approcha d’un pas décidé des deux ennemis, détruisit d’un coup de pied le genou de celui de droite, à qui il confisqua le couteau qu’il portait à la ceinture. Dans un même mouvement, il trancha la gorge de ses deux adversaires, puis laissa tomber le couteau et entra dans la maison. Il ordonna de nouveau.

— Scan thermique du bâtiment.

— Scan thermique terminé. Une présence humaine détectée, au rez-de-chaussée, au fond du couloir, première porte à gauche.

Hector courut vers la cible et enfonça la porte. Une jeune femme, blonde, simplement vêtue d’une chemise de nuit légère, était assise par terre, visiblement terrifiée. Hector quitta le mode furtif et retira la cagoule qui cachait son visage.

— Florence ? Tu ne crains plus rien. Je te ramène auprès de ta sœur, Nathalie.

Hector aida Florence à sortir du bâtiment, enfila sa cagoule et passa autour de la taille de sa protégée un baudrier relié par un mousqueton à sa propre ceinture. Des ailes rigides se déployèrent alors dans le dos de la combinaison d’Hector ; derrière ses jambes comme sur les côtés de ses hanches, des réacteurs s’activèrent, Hector et Florence s’envolèrent vers le jet. Dans son oreillette, Hector entendit la voix reconnaissable entre mille de son ami Roger.

— Hector tu m’entends ?

— J’ai Florence.

— Roger, dis-lui. Cette voix, plus tendue, était celle de Marie.

— Quoi, on y est ?

— Je ne voulais pas te le dire tout de suite, c’est Marie qui a insisté.

— Libération, Neutralisation… Priorité Rang 1 !

— Merde, depuis quand ?

— Vingt minutes.

— On était d’accord, Roger, depuis le début. J’y vais. Envoie les données. Tout de suite.

— C’est pas tout ! Nathalie, continua Roger.

— Je sais, elle est dans le jet.

— Elle n’y est plus.

— Elle a quitté le jet en stationnaire à 6000 ? Tu te fous de moi ?

— Elle a trouvé le harnais, expliqua Marie.

— Quoi ? Je croyais qu’il était sous clés !…

Hector et Florence entrèrent dans le jet. Hector libéra sa protégée et commença à chercher.

— Nathalie ? Nathalie ? Merde ! Roger, contacte là, elle doit se tirer de là au plus vite, on ne sait pas quelle sorte de piège il y a encore, là-bas.

— Mais tu es déjà là, tu fais chier !

— Appelle-la, je te dis. Je n’ai pas fait le ménage, j’ai juste récupéré Florence. Je pars pour la Côte Ouest. Je n’ai pas le temps de discuter. Ni de la chercher.

— Bruno essaie de la joindre, tempéra Marie. Reste en ligne, on te tient au courant.

— Je ne vais pas m’éterniser, là-bas. Je repasse ici au retour. Vous tâchez de la faire sortir de là. Florence, accroche-toi. On va accélérer un peu, tu devrais perdre connaissance. Rien de grave, c’est normal, la première fois.

Le jet volait déjà à pleine vitesse vers l’ouest. Pendant ce temps, Bruno tentait de contacter Nathalie en variant les fréquences d’émission, sans succès.

-

Dans la maison d’où Hector avait sorti Florence, Nathalie gisait par terre, inconsciente. Un soldat en tenue de camouflage était assis sur le fauteuil et la regardait. Un autre lui vida un seau d’eau sur le torse pour la réveiller.

— Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que vous voulez ?

— On va faire un brin de causette, chérie. L’homme assis sur le fauteuil avait dans la voix l’assurance du chef de groupe.

— Où est ma sœur ?

— Ton pote, ou ton mentor, ou ton chéri ? Ou pas ? Enfin bref, ton équipier, il l’a emmenée et il s’est barré. Sans même chercher à te récupérer. Il savait que tu étais partie de votre avion miracle, que tu avais décidé de voler de ses ailes toutes propres, il se doutait que tu ne serais pas seule, ici, mais il s’est quand même cassé. Tu sais quoi, il est parti sauver sa bien aimée.

— S’il était venu ici, il vous aurait trouvé et démonté comme des jouets.

— S’il avait su que nous sommes là, peut-être… Mais tu vois, d’abord, il a fait un boucan de tous les diables avec les pétards qu’on a mis dans le jardin, donc, il ne t’a pas entendue quand on t’a attrapée, malgré tes cris, tes menaces. Ensuite, vu qu’il était dans le jardin de derrière, il ne nous a pas vus entrer avec toi par la porte, comme le font toutes les personnes normales. Enfin, pièce parfaitement isolée, il aurait pu avoir n’importe quel système de détection, sonique, thermique, exotique… il ne pouvait pas nous trouver.

— Il sait que je vais m’en sortir toute seule. Je vais vous mettre une toutouille comme vous n’en avez jamais reçue.

— Non, il va revenir te chercher, il sait que tu vas mordre la poussière. Mais sa préférence va à cette inconnue qu’il vénère, Dieu sait pourquoi.

— Vous dites n’importe quoi. S’il est parti là-bas, c’est parce qu’il a confiance en moi.

— Tu n’y crois même pas toi-même ! Arrête de te bercer d’illusions. Il t’a abandonnée ici, il est parti sauver sa chérie. LNPR1 : le code te dit quelque chose ? Tiens, écoute.

Le soldat lui fit écouter un enregistrement de la dernière conversation d’Hector avec Roger et Marie. À la fin du message, il reprit la discussion, un sourire malsain dans la voix.

— Un jour, il faudra que tu apprennes à tourner la page, chérie, tu ne crois pas ?

Cette phrase, encore fraîche de la veille dans son esprit, Nathalie la reconnut immédiatement.

— Vous nous surveillez depuis combien de temps ?

— Assez longtemps pour en savoir suffisamment, sur lui, sur toi, sur vos copains…

— Et vous voulez quoi, alors ? Vous allez me tuer ?

— Non ! Je ne vais pas te tuer. Je vais te faire mal… très, très, très mal. Et ça va lui faire mal… très, très, très mal. Parce qu’il t’aime bien, quand même. Il voulait te protéger en te laissant au centre. Mais on savait tous que tu ne l’écouterais pas. Florence, ta petite sœur… S’il a de la chance, il va sauver la belle, mais… non, en fait, il n’y arrivera pas… Ensuite, il te trouvera dans l’état où on va te laisser, et normalement, il devrait péter les plombs. Et quand il sera au trente-sixième dessous, on en fera des croquettes pour chien-chien.

— Comment vous pouvez être aussi sûrs de vous ? Votre plan est foireux !

— Au contraire, il est réglé comme du papier à musique. Ton chéri va arriver tout juste pour voir sa chérie se faire étriper, ensuite…

— Ensuite rien du tout. Tes potes n’auront même pas le temps de le voir venir.

— Ah oui, l’avion supersonique ! On l’a anticipé. Et tout calculé, même les deux heures de voyage dont il est capable. Bon ! Assez bavardé ! Au boulot !

Nathalie se leva, et engagea le combat avec les deux commandos, finissant par briser la nuque du soldat au seau. Mais l’autre militaire parvint à l’assommer et l’attacha solidement sur la table de la cuisine. Quand Nathalie reprit ses esprits, il coinça une ceinture de cuir épaisse entre les dents de la jeune femme dont le regard dévoilait l’inquiétude grandissante. L’homme s’éloigna quelques secondes puis revint, chaque main, gantée de plastique, tenant une tige reliée à un fil spiralé. L’espace d’un instant, il posa l’extrémité de chaque tige sur le maillot de corps encore mouillé de Nathalie, qui ressentit aussitôt une douleur viscérale, doublée d’une impression de brûlure intense. La séance d’électrochocs allait lui sembler interminable.

-

Avec une heure d’avance sur les prévisions des mercenaires, Hector arriva à destination, laissa le jet en stationnaire à dix mille pieds, abandonna provisoirement Florence à sa torpeur, enfila sa cagoule et sauta dans le vide. Les ailes se déployèrent dans son dos, les réacteurs furent aussitôt activés et Hector fila vers le sol. À cent mètres, il les désactiva et passa en mode furtif en planant jusqu’au sol. Il atterrit dans le jardin d’une grande maison californienne.

Sans attendre, il entra dans la bâtisse, entendit des voix insouciantes à l’étage. Il gravit l’escalier de marbre, dans la chambre principale, il reconnut Hélène assise par terre, ligotée, bâillonnée à côté d’un homme, à qui avait été réservé le même sort, probablement son mari. Deux commandos se tenaient debout à deux mètres de leurs otages, l’un d’eux regardait avec gourmandise la jeune femme qu’il mettait mal à l’aise. Toujours invisible, Hector se précipita sur ce dernier, le poussa vers la fenêtre sous le regard médusé des trois témoins et le jeta à travers la baie vitrée qui explosa sous le choc. L’autre soldat et ses deux otages, stupéfaits, entendirent immédiatement le bruit sourd d’un impact lourd au sol.

Hector se retourna vers le deuxième commando, lui fit faire un demi-tour et le poussa vers le couloir. Puis il l’attrapa et lui fit descendre l’escalier, l’emmena dans le jardin où il quitta le mode furtif, ôta sa cagoule et sa veste de combat aérien. Le combat s’engagea, un combat quasiment à sens unique, nettement dominé par Hector. Le soldat tenta de s’enfuir, Hector le poursuivit jusqu’au bord de la falaise. Dans un dernier geste de désespoir, le mercenaire sortit un couteau de sa manche et se jeta sur Hector, qui para le coup et le frappa d’un coup de poing de revers au menton. Alors que l’homme se relevait péniblement et s’apprêtait à lui lancer le couteau, Hector lui asséna un violent coup de pied à l’estomac qui le fit basculer dans le vide. Déséquilibré, celui-ci parvint toutefois à accrocher une branche et à se tenir. Hector chercha un moyen de descendre pour aller le chercher. En arrivant à l’endroit où il s’était accroché, Hector ne vit plus personne, la branche était cassée. Il aperçut une petite cavité dans la roche. Hector inspecta le vide sans succès, il entra la tête dans la cavité mais l’obscurité le fit renoncer dans cette vaine entreprise.

Il retourna vers le jardin, enfila son équipement de vol et reprit sa recherche, au pied de la falaise, rien. Il remonta et regarda dans la cavité qu’il éclaira grâce à un dispositif de sa cagoule. Seul le fond de la cavité était visible. Il ne put y entrer. Concluant à la chute mortelle de son adversaire, il retourna vers la maison. Les deux prisonniers étaient endormis, il coupa leurs liens sans les réveiller et posa son pendentif en forme de Golem dans la main d’Hélène qu’il referma. Il lui murmura à l’oreille, prenant soin de la laisser dormir.

— Tu ne crains plus rien. Je veille sur toi… Aussi longtemps que nécessaire.

Hector sortit de la maison, s’envola vers le jet où Florence était toujours inanimée. Le jet vola à pleine vitesse vers l’est. Le pilote rappela le centre de contrôle.

— Roger, des nouvelles de Nathalie ?

— Merde, Hector, tu fais chier, ça fait deux heures qu’on essaie de la joindre, elle ne répond pas. Je te jure, si elle y est restée…

— J’y retourne, je vais la ramener, terminé.

Arrivé à destination, Hector entra prudemment dans la maison délaissée par les ravisseurs, inspecta chaque pièce du rez-de-chaussée, puis de l’unique étage, et trouva Nathalie inanimée sur une table installée dans une sorte de buanderie. Il délivra la malheureuse qui restait inconsciente, et appela la base.

— Roger ? J’ai Nathalie. Elle est mal en point.

— Putain de merde ! Ça fait chier ! Bon, fais de ton mieux, ramène-la. Fonce !

— Je me mets en route. Préparez l’infirmerie. Marie, elle est vraiment mal. Ils ont dû lui faire des électrochocs. Je rentre, terminé.

En arrivant, Florence reprit conscience. Devant son regard inquiet, Hector se mit en devoir de la rassurer.

— Bon retour parmi les vivants. Je t’emmène à l’infirmerie pour observations.

Sortant de l’infirmerie où il avait laissé Nathalie, inanimée, sur un lit, en observation, Hector fut arrêté par Roger.

— T’es content ? T’as vu ce qu’ils lui ont fait ? Des électrochocs, putain ! T’aurais pu empêcher ça !

— Je devais y aller, tu le sais bien, on le savait tous, depuis le début.

— Merde ! Sors la tête de ta coquille ! Elle en a pris plein la gueule !

— Si elle m’avait écouté, tout ça ne serait jamais arrivé !

Marie, arrivée entre-temps accompagnée de Bruno, l’analyste, cherchait à arrondir les angles entre les deux hommes énervés.

— Mais tu comprends bien qu’elle ne pouvait pas rester ici à rien faire ; c’était sa sœur, quand même…

— De toutes façons, continua Bruno, c’est le plan qui était merdique. Mais on n’avait pas le choix. Il avait tout planifié pour qu’on y laisse des plumes, d’une façon ou d’une autre. Ç’aurait même pu être pire…

— Pire ? Putain, Bruno, comment ça, ç’aurait pu être pire ? On a Nathalie sur le carreau, merde !

— Oui, mais elle est encore en vie, elle se relèvera…

— Ah ? Parce que t’es devin, toi, maintenant ?

— Roger… Objectivement, elle a largement de quoi s’en sortir. Hélène, elle, avec son mec, ils auraient dû y rester, logiquement. Hector a fait le meilleur choix possible, à mon avis, vu les circonstances, vu le piège.

1 Voir Épisode III : Les Masques tombent

2 Voir Épisode I : Retour aux sources

3 Voir Épisode III : Les Masques tombent

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 16 versions.

Vous aimez lire FredH ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0