Ⅲ - Pour la science

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Après un bref instant, Arsène revint à lui. Il vit devant lui une jeune fille avec un accoutrement étrange. Il se frotta les yeux, pas vraiment sûr d'avoir retrouvé toute son intelligence ; elle était apparue au milieu de la rue, sortie de nulle part.

Bien que beaucoup y verraient là une manifestation du destin –par romantisme sans doute–, Arsène, paresseux, n'y vit que des ennuis arrivés.

Ainsi, avec toute la délicatesse et le tact qui s'imposaient, il fit de son mieux –sans la déranger– pour la contourner et essaya de rentrer chez lui le plus vite possible.

Je vous invite ici, à ne pas poser sur lui un jugement trop sévère, car «Il n'est pas de chose plus effrayante, que celles qu'on ne peut expliquer ou résoudre» – ce furent là les très célèbres et dernières paroles du plus grand mathématicien des Arstisans: Leonhard Laplace. Après avoir crié ces mots, il mourut d'une crise cardiaque. On retrouva chez lui des centaines de milliers de théories sur les nombres premiers, ainsi que des antidépresseurs et des rognures d'ongles,,,

Alors qu'Arsène avait presque réussi sa manœuvre de contournement, la fille s'adressa directement à lui. Il entendit un fleuve de mots, auquel il ne peut raccrocher aucune signification. Concentré sur cet étrange dialecte, il la laissa parler le plus possible, acquiesçant parfois de la tête quand elle s'arrêtait. S'y habituant peu à peu, il pêcha dans ses phrases certains mots aux consonances vaguement familières.

Ils avaient tous une racine ou une sonorité faisant écho à l'ancienne langue de l'Empire de Dysnomia – bien différente de l'actuel language des Artisans.

Plongeant dans sa mer de souvenir, il fit de son mieux pour en remonter les précieux vestiges de ses études linguistiques, enfouis sous d'épaisses couches vaseuses de mathématiques, d'architecture, de mécanique et tout ce qu'il fallait y noyer pour devenir un Artisan respectable.

Une fois retrouvé, il en rassembla quelques sédiments pour bredouiller maladroitement une phrase qui, selon sa mémoire, devait dire : «Que me voulez-vous ?»

Il eut pour réponse une colère rouge de son interlocutrice. Sans doute, sa traduction était-elle mauvaise... Ou bien, son long monologue incompréhensible avait déjà répondu à cette question, et bien d'autres...

De peur de subir la colère de la jeune fille, et pour museler son horrible accent, il sortit une feuille et y écrivit son message :

« Je pas comprendre ton language, utilise la langue ancienne.
Nom être Arsène Goupil. Qui vous être ? (Je pas être méchant) »

Oui, la conjugaison des verbes faisait –hélas– partie de ses souvenirs qui avaient pris l'eau ; ou plutôt, lui avait toujours été imperméables. En effet, les conjugaisons anciennes étaient un étonnant labyrinthe tapissé de pièges, de règles, de déclinaisons, d'exceptions et parfois même d'exceptions aux exceptions. Certains –les plus érudits– allaient jusqu'à prétendre, qu'au plus profond de ce dédale, les mots étaient doués de raison, qui les poussait à s'échapper.

Une légende veut même que le mot «░░░░░░░░░» ait réussi à s'enfuir, en laissant derrière lui un grand blanc. On ne put jamais le retrouver...

La réponse vint à Arsène en délicate et gracieuse lettres glissants en phrases grammaticalement correctes :

« Je m'appelle Sereine Destine. Peux-tu me dire où je suis ?
(Moi aussi pas être méchante, si toi répondre à mes questions) »

Après avoir buté sur chaque verbe bien conjugué, il lui répondit qu'elle se trouvait dans la capitale des Artisans. Cette réponse la laissa indifférente, pourtant Arsène aperçut un léger gris de déception dans ces beaux yeux rouges flambants.

Alors qu'il s'était retourné et commençait s'éclipser, la jeune fille lui cria quelque chose, mais voyant qu'elle n'était pas écoutée, elle murmura des onomatopées verbeuses, qui après vingt occurrences, semblèrent résonner faiblement avec le sol.

Arsène, ne voyant rien de bon se présager, accéléra le pas, mais dix occurrences plus loin, la jeune fille avait concentré un souffle étrange dans son doigt accusateur, pointé droit sur son cœur.

D'un coup, un phénomène dépassant toutes les lois et règles physiques étudiés, se produisit: une flamme sortit de son doigt, aussi flambante, aussi imposante, aussi lumineuse, auusi brulante, que celle d'une bougie.

Tous deux restèrent consternés par ce décevant résultat.

Se retenant de rire, autant par décence que par peur, Arsène fut soudain pris d'un profond intérêt scientifique. Mais se souvint bien vite d'une l'histoire, celle de L'Horloge aux Engrenages d'Or, et comprit qu'il fallait être patient pour en comprendre tous les rouages sans la casser.

Sereine, quant à elle, rougit de honte à la vue de cette pathétique flammèche et plus encore, quand le fuyard commença à la regarder avec un intérêt nouveau.

Pour la science, Arsène l'invita chez lui pour qu'elle lui raconte son histoire.

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