13. Une Victoire

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L'après-midi passa en un éclair. Éric avait emmené Vanessa sur son bateau, sachant que la muraénienne se passionnait, elle aussi, pour la navigation. La sorcière riait intérieurement : elle connaissait ce navire par coeur, l'ayant étudié sous tous les angles, alors qu'elle épiait secrètement le prince durant près de cinq années. Elle savait tout de lui : ses goûts en matière de femmes, ses peurs, ses colères, ses désirs, ses peines. Le séduire se révélait ainsi un jeu d'enfants, sans qu'elle n'ait à l'ensorceler directement.

Dans sa cabine d'Amiral, il lui présenta avec entrain ses différentes cartes de navigation, son attirail de jumelles et de longues-vues pour observer l'océan. Il lui montra ensuite les trésors qu'il avait ramenés d'expéditions en mer : des pièces d'or retrouvées dans des épaves, d'étranges objets - Atlanticais ?-, des coquillages énormes de toutes les couleurs. La passion qui animait le jeune homme alors qu'il la laissait pénétrer dans son monde, fit doucement fondre le coeur de la sorcière. Elle ressentit cependant un frisson quand elle aperçut les harpons sur le pont principal; détourna rapidement son regard de leurs pointes acérées, réservées à la chasse aux "monstres des mers".

Après un diner copieux, ils se promenèrent le long de la plage et s'assirent ensuite sur le sable, là où le prince fut retrouvé.

  • Je n'arrive toujours pas à réaliser que c'est ici que vous m'aviez déposé. Je n'ai eu de cesse de vous chercher, j'étais persuadé qu'une femme m'avait sauvé, mais je ne me souvenais plus de votre visage.
  • Eh bien, je crois que vous avez de la chance, car il me semble que cette femme superbe est juste à vos côtés ! plaisanta la princesse.
  • Vous en êtes sûre ? Je crois rêver...

Leurs rires résonnèrent jusque tard dans la nuit. Vanessa ressentit la brise se rafraîchir sur ses jambes fines. Quelle étrange sensation... Elle ne put s'empêcher de les frotter l'une contre l'autre.

Voyant que la belle prenait froid, Éric lui proposa sa veste qu'elle ne refusa pas. Alors que les mains chaudes du souverain se posèrent sur ses épaules, une décharge électrique parcourut tout son corps. La sorcière savait que tout cela pouvait brutalement s'arrêter, que le prince la répudierait à un moment ou à un autre, mais cette sensation était si agréable.

Leurs regards se mêlèrent, les yeux azur du prince se firent intenses. Il mit quelques secondes avant de réaliser qu'il ne lâchait pas son emprise des épaules graciles de la muraénienne.

  • Bon je crois qu'il est temps de rentrer, avança-t-il en déglutissant, détournant précipitamment son beau visage.
  • Oui bien sûr il se fait tard, rentrons, répondit Ursula, amusée par l'incertitude perpétuelle d'Éric.

Il la raccompagna jusqu'à ses appartements, puis lui adressa un bonsoir d'une voix lascive à souhait. Étourdi des événements de la journée, ce dernier n'avait même pas pensé un instant à la pauvre sirène, enfermée dans sa chambrette.

Le lendemain, le déjeuner fut des plus fastueux. Le roi et la reine d'Adriae avaient invité des membres de la cour, exhibant leur charmante invitée. Des musiciens jouaient de divers instruments des mélodies entraînantes, des danseurs habillés de costumes fringuants éblouissaient l'assistance de leurs performances artistiques.

Cela rappela à l'ancienne guérisseuse les bals qu'elle organisait jadis avec Triton. Ils s'amusaient tellement à l'époque. Ursula en gardait un souvenir joyeux, elle aimait la fête. Bertold s'adressa alors à elle, le nez rougi par le bon vin adriaen qui coulait à flots.

  • Damoiselle Vanessa, avez-vous des musiques par chez vous ? Je serai bien curieux d'entendre quelques chants muraéniens...
  • Oui messire, effectivement, j'en connais quelques-uns.
  • Nous feriez-vous l'honneur d'en chanter un ? Juste un tout petit ? répondit celui-ci, exalté.
  • Père, laissez donc notre invitée un peu tranquille. Elle est arrivée hier, tout de même ! renchérit Éric, gêné une fois de plus par l'hardiesse de son père.
  • Cher prince, je serai ravie de vous faire découvrir les chants de nos contrées, répliqua Vanessa, lui adressant un sourire radieux.
  • Si tel est votre désir, chère princesse... répondit le prince, conquis.
  • Merveilleux ! silence, silence dans l'assemblée ! intervint le roi.

Les musiciens ralentirent la cadence, les danseurs se figèrent sur place. Ursula prit quelques secondes d'inspiration, caressa son coquillage du bout de l'index, puis une mélodie envoûtante émana de sa gorge ivoire :

Une femme, assise au loin,

Contemplait la voûte céleste.

Le navire muraenien,

Dans la profondeur des brumes, reste.

Ô royaume,

Ô bien-aimé,

Pourquoi l'abandonner ?

Ses songes reviennent sans cesse à vous,

Ses désirs se pendant à votre cou,

Et l'aube arrive avec l'espoir,

Un jour, peut-être,

De vous revoir.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, toute l'assistance l'observait, admirative, dans un silence solennel; que la reine brisa par des applaudissements énergiques, suivie par son mari et son fils. Tous, la contemplaient avec adoration.

Quand elle reprit place à ses côtés, le regard de braise du prince lui dévora la peau.

  • Je n'ai pas les mots, vous êtes semblable à une mélodie fascinante, Vanessa, fascinante...

Le déjeuner s'éternisa jusqu'au soir, se transformant en dîner. Pressé de s'isoler avec sa belle, Éric profita d'un instant de répit pour la subtiliser. Ils s'enfuirent dans le parc royal, rieurs, ivres de la boisson adriaenne qu'ils avaient ingurgitée en quantités excessives.

Alors qu'ils débattirent tous deux sur qui de Bertold ou de Cléa était le plus embarrassant, le prince saisit doucement la main de la princesse. Ursula tressaillit au contact de cette chair si chaude, douce, enveloppante, protectrice. Elle se surprit à refermer elle aussi ses doigts dans la paume du jeune homme.

  • Messire Éric ! Martha vous demande ! jaillit alors Lord Edmure, essoufflé.
  • Comment ? Maintenant ? Ne voyez-vous pas que je suis occupé ? lui répondit le concerné, agacé.
  • Je n'ai pas bien compris moi même, mais elle dit que c'est urgent !

Il se rapprocha du prince pour lui souffler à l'oreille :

  • C'est à propos d'une certaine étrangère rousse. Elle serait devenue folle, ou je ne sais quoi, elle martèle la porte de sa chambre depuis ce matin, Martha est obligée de la retenir de force.

La sorcière comprit instantanément, même si elle n'entendit pas les mots du laquais. Aujourd'hui était le dernier soir d'Ariel en tant qu'humaine, elle avait elle-même négligé ce détail, distraite par les réjouissances de la journée. Elle jouait si bien son rôle, oubliant que la séduction d'Eric visait avant tout à l'éloigner de la jeune sirène, afin que celle-ci rentre en Atlantica en tant que sa prisonnière - ou plutôt sa future apprentie - .

  • Très bien Lord Edmure, dites à Martha que j'arrive dans quelques instants, conclut Éric.

Il se retourna vers Vanessa, confus.

  • Excusez-moi ma chère princesse, je dois régler un problème en urgence, mais je vous reviendrai très vite, je vous le promets... assura-t-il non sans effleurer le dos de sa main de ses lèvres espiègles.
  • Attendez, qu'est-ce là ? questionna rapidement la jeune femme, pointant du doigt le labyrinthe du parc royal.
  • C'est un labyrinthe, heum... Vous ne connaissez pas ?
  • J'en ai beaucoup entendu parler mais nous n'en avons hélas jamais eu à Muraenia. Je vous en prie, Éric, c'est la première fois que j'en vois un, j'aimerais juste m'amuser un peu, pas longtemps.
  • D'accord, on peut y faire un tour rapidement si vous le souhaitez.
  • Merci Éric, merci ! cria la muraénienne, accourant déjà vers le dédale.
  • Attendez Vanessa, pas si vite, vous risquerez de vous perdre !
  • Attrapez-moi dans cas ! rit-elle, plongeant dans les allées obscures.

Ils se poursuivirent comme des enfants entre les murs feuillus, hilares et à moitié soûls. Ursula, étourdie, glissa sur un caillou et faillit tomber à la renverse. Éric la rattrapa de justesse par la taille. Le contact de leur peau les électrisa tous deux, provoquant des papillonnements délicieux dans le giron de la jeune femme. D'un geste vif, le prince l'attira tout contre lui.

Elle sentit son torse puissant se contracter, son parfum frais l'enivrer, son souffle chaud caresser son visage, se perdit dans son regard bleu comme le ciel. Ils s'embrassèrent alors à perdre haleine et s'étreignirent pendant ce qui semblait une éphémère éternité.

Ursula profita d'un deuxième baiser pour injecter à son amant un sort d'ensommeillement. Ce dernier se laissa choir dans les branches du cyprès se trouvant derrière lui.

Vite, la sorcière saisit l'occasion pour achever son plan.

Sur le chemin de la chambre d'Ariel, elle savourait sa victoire. Elle avait réussi à charmer le prince et ses parents, qui n'attendaient qu'une chose: qu'il lui fasse sa demande en mariage. Et ce dernier était sur la bonne voie, l'embrassant au bout de deux jours seulement.

  • Contre trois pour la petite sotte ! ricana-t-elle, tout en se reprenant aussitôt.
  • Concentre-toi Ursula, ce n'est pas le moment de s'abrutir avec ces enfantillages !

Elle arriva à la prison fortuite de la sirène, ensorcelant la gouvernante et déverrouillant la porte sans difficulté. Elle vit alors la princesse d'Atlantica, recroquevillée dans un angle de la pièce, noyée dans le chagrin, les pieds recouverts d'écailles qui commençaient à recouvrir ses jambes.

  • Dépêchez-vous Ariel, vous êtes en train de vous transformer ! À l'eau, vite !

La jeune fille suffoquait, à demi-consciente, se laissa porter par sa tante sans poser de questions.

Fort heureusement, elles arrivèrent à la plage à temps, alors que la sirène achevait sa transformation. Plongée dans l'eau de mer, elle reprit son souffle, ses traits se détendirent, son visage reprit des couleurs.

Elle toussota et sa voix revint :

  • Ursula, est-ce vous ? articula-t-elle.
  • Oui c'est bien moi. Lui répondit l'humaine aux cheveux d'encre et au corps parfait. Bon il est temps pour nous de rentrer à Atlantica, votre quête a échoué. Votre cher prince s'est épris d'une princesse humaine.
  • Je vous hais ! lança soudainement la sirène.
  • Pardon, que dites-vous ?
  • Je vous hais ! C'est votre faute ! Vous...vous l'avez ensorcelé ! Je vous ai vue de la fenêtre de ma chambre, vous vous baladiez avec Éric, avec vos yeux doux... Co-comment avez vous osé me faire ça, je vous faisais confiance ! sanglota Ariel.

Ses larmes ne s'arrêtèrent plus de couler, ses sanglots la secouant de spasmes, son doux visage défiguré par le chagrin. Ursula compatit à sa douleur. Tel était le lot des coeurs brisés. La petite sirène était si attendrissante, si naïve. La sorcière ne pouvait rester insensible à la vision de sa mine profondément triste, elle qui incarnait d'habitude la gaieté de mille soleils.

Elle claqua alors des doigts, créant une étincelle magique :

  • Je vous libère Ariel, retournez dont chez votre père. Vous comprendrez un jour que cela, je ne l'ai fait que pour votre bien. Il faut que vous appreniez. Les princes, les hommes, ne sont que des lâches. Ils profiteront de votre beauté et de votre innocence pour ensuite mieux vous abandonner. Prenez cela comme une leçon. Vous n'en serez que grandie. Sachez que la seule personne en qui vous pourrez toujours compter, c'est vous même, Ariel. Vous êtes curieuse, talentueuse. La vie ne se résume pas qu'à une quête d'amour...

La jeune sirène se tut, des larmes continuaient à perler sur ses jolies joues, mais ses hoquètements cessèrent. Sans un regard, elle tourna le dos à Ursula, et plongea doucement dans l'eau, avant de disparaitre d'un coup de son champ de vision.

La sorcière resta un moment debout, à contempler la mer. Une lassitude l'envahit. À cet instant, elle comprit qu'elle ne reviendrait plus jamais en Atlantica. Elle ne voulait plus faire partie de ce monde marin qui lui avait tant pris, en ne lui infligeant en retour que douleur et déception. Elle même participait à ce ballet malsain, avec la souffrance comme seule source de satisfaction. Pourtant, celle de la pauvre Ariel ne lui apporta aucun plaisir. Existait-il autre chose au-delà de cette souffrance perpétuelle ?

  • Vanessa ? Vanessa vous voilà, je vous cherchais partout ! la héla Éric, alors qu'elle se perdait dans ses pensées. Je... je crois que j'ai bu un peu trop de vin. Je me suis assoupi dans le labyrinthe, quel idiot !
  • Je suis désolée de vous avoir abandonné, je ne vous retrouvais pas, je croyais que vous étiez parti régler ce problème urgent.
  • Ah! Le problème... Ne vous en faites pas, il est arrangé. déclara celui-ci, froissant le bout de papier qu'il tenait dans son poing.

Cette lettre, ce fut Ursula en personne qui l'avait rédigée.

Merci encore pour votre hospitalité, j'ai retrouvé ma famille et mon fiancé. De dangereux brigands m'avaient enlevée, pendant que je labourais les champs. Alors qu'ils se bagarraient avec des pêcheurs, j'ai fui leur carriole et je me suis réfugiée sur la plage.

À présent, je vais enfin pouvoir retrouver les contrées perdues de ma campagne qui m'a tant manquée. Adieu cher prince, je vous souhaite une vie merveilleuse.

Signé : L'étrangère.

  • Rentrons au chaud si vous le voulez bien, proposa Éric, lui tendant la main, un sourire réconfortant sur ses lèvres irrésistibles.

Le passage d'Ariel dans sa vie lui semblait déjà un lointain souvenir. Le couple rentra main dans la main à Adriae, échangeant de douces paroles saupoudrées de plaisanteries.

Ursula se plaisait dans ses bras. Elle qui ne voulait plus croire en rien, se laissa finalement aller à cette nouvelle aventure humaine. Son prince l'aimerait-il pour de bon ? Déciderait-il de faire de Vanessa son épouse à tout jamais ?

Elle chassa pour l'instant toutes ces questions de son esprit, se contentant d'apprécier pleinement les baisers sirupeux de son amant.

Vous vous doutez bien que l'histoire ne se finit pas ainsi, ça serait trop facile non ? Rendez-vous au prochain chapitre qui sera l'avant-dernieeeer hiiiii ! Les paris sont lancés, dites-moi quelles sont vos théories pour cette fin, (qui ne sera pas la même que dans le Disney, je vous préviens ;) !!!)

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