10. Sans Voix

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Depuis son accident, Éric se devait de rester sur la terre ferme. Les expéditions en mer lui étant interdites, sa seule bouffée d'oxygène résidait désormais dans ses promenades quotidiennes. Il revint souvent sur la plage de son naufrage, à la recherche d'une piste qui le mènerait à cette mystérieuse sauveuse. Il était certain qu'une femme l'avait secouru alors qu'il se noyait en pleine tempête, mais ne se rappelait hélas de son visage.

Ces balades sur le littoral lui permettaient également de vider son esprit contrarié. Âgé de vingt-cinq printemps, il n'avait toujours pas de fiancée. Le roi et la reine d'Adriae s'impatientaient quant à son mariage. Les dizaines de princesses qu'ils lui avaient présentées lors de bals et de dîners mondains ne lui plurent guère au point de les épouser. Ces dernières ne manquaient pourtant pas d'élégance, regorgeaient chacune de talents et de charmes. Le prince essaya de s'amouracher de quelques-unes d'entre elles, allant jusqu'à se fiancer à une Gabrielle, avec laquelle il finit par rompre la veille de leurs noces. Déjà, cette idée de mariage arrangé ne le séduisait aucunement. Tous ces protocoles l'ennuyaient. Il voulait éprouver ce qu'il ressentait en mer : la découverte, le hasard, l'excitation, la passion, la surprise... Sentir son coeur battre, oui se sentir vivant grâce à sa dulcinée, une telle relation l'attendait quelque part.

La gent féminine l'attirait cependant bel et bien. Il adorait humer leurs cheveux, s'émerveiller de leur grâce, s'extasier de leurs courbes. Il n'avait simplement pas trouvé la bonne; ne voulait surtout pas gâcher sa vie dans un mariage sans saveur. À quoi bon ?

Perdu dans ses pensées, il ne vit pas tout de suite l'étrange forme allongée sur le sable. Ce furent les aboiements incessants de son fidèle chien Max qui l'avertirent.

Une vision extraordinaire le surprit alors. Une femme complètement nue, terrifiée, s'était recroquevillée contre les rochers à la vue de l'animal. Max lui tournait autour, jappant et sautillant de plus belle.

  • N'ayez crainte, il ne vous veut pas de mal. Il fait simplement beaucoup de bruits pour vous signifier son envie de jouer ! Son gabarit peut surprendre, mais cette grosse boule de poils n'est que tendresse.
  • ...

La jeune femme n'émit aucun son, se contentant d'observer Éric de ses grands yeux bleus. Il lui rappelaient l'océan. Son odeur marine l'intriguait de plus belle. Elle était splendide : ses cheveux flamboyants, son visage poupin, que dire de ses magnifiques courbes sur lesquelles il évitait tant bien que mal de poser les yeux.

  • Vous allez bien, mademoiselle ? Comment êtes-vous arrivée ici ? Où sont vos vêtements ? s'enquit le prince, inquiet.
  • ...

L'inconnue tenta d'ouvrir la bouche mais aucune parole ne sortit de sa gorge. Elle semblait perdue, ses yeux imploraient de l'aide. Le prince ne put se résoudre à la laisser dans cet état.

Il lui tendit une main - qu'elle saisit fermement - pour la relever. Il retira sa chemise afin de la couvrir, et lui proposa un abri, le temps qu'elle reprenne ses esprits. La jeune femme accepta volontiers, s'aggrippant à son bras. Elle marchait difficilement. Quelles horreurs avait-elles subies pour être à ce point affaiblie et muette ? Le souverain décida de la ramener au chateau en attendant que sa famille la retrouve. Mais peut-être était-ce sa propre famille qui l'avait abandonnée ?

Ils s'engagèrent dans un passage secret menant au château, que le prince enpruntait pour ses sorties au crépuscule. Grâce à l'aide de Martha, sa dame de compagnie la plus loyale, elle fut lavée, habillée, et installée dans une chambre à l'abri des regards. Pour l'instant, il fallait que cette étrange fille reste cachée. Surtout de ses parents. Que penseraient-ils en découvrant qu'au lieu de se consacrer à la recherche d'une fiancée digne de son sang, il hébergeait une inconnue retrouvée sur la plage ?

Éric revint prendre des nouvelles de la jeune femme le lendemain, et le jour d'après. Elle ne parlait toujours pas mais s'accomodait de ses vêtements, paraissait heureuse d'avoir un toit. Son visage s'illuminait à chaque visite du prince, et s'assombrissait lorsqu'il la quittait. Elle ne mangeait pas beaucoup, ne touchait ni aux poissons, ni aux fruits de mer. Cela était inconcevable pour une habitante du royaume d'Adriae, elle devait venir de loin.

La fille émouvait toutefois le prince. Elle était si spéciale, emprunte d'une douceur et d'une naïveté bouleversantes. Tout lui semblait une merveilleuse découverte : le moindre objet, la moindre coutume. Une fourchette pour se peigner, mais quelle drôle d'idée !

Voilà trois jours que l'inconnue était enfermée dans sa chambrette. Éric décida de lui faire prendre un peu l'air, profitant de la nuit tombée pour se tenir à l'écart des regards indiscrets.

Elle n'osait pas s'approcher de la mer, ne voulant même pas y plonger un orteil. Craignait-elle qu'il s'y trouvât quelconque monstre ? Le prince en conclut qu'elle ne pouvait être sa sauveuse. Cette dernière nageait parfaitement, sur des distances inouïes, l'avait même porté jusqu'à la plage.

Il emmena alors la jeune femme au lagon du parc royal. Elle n'aimait décidément pas l'eau, mais se retrouver sur un canot la rassura davantage. À peine embarquèrent-ils que les lucioles leur firent la fête, illuminant les nénuphars et les roseaux alentours de mille couleurs étincelantes. Les criquets frottèrent leur pattes mélodieusement, les grenouilles croassèrent -étonnament- en choeur. Décidément, le lagon semblait transformé par la seule présence de cette mystérieuse fille.

Comment Éric pourrait-il en savoir plus sur elle ? Il essaya de l'interroger afin d'analyser ses réactions. Finalement il arrivèrent à communiquer grâce à cette méthode. Le prince posait des questions, l'inconnue répondait par des gestes. Elle ne venait donc pas du royaume d'Adriae; avait perdu la voix peu avant leur rencontre.

Ce qu'elle était attendrissante lorsqu'elle s'évertuait à se faire comprendre par des mimiques. Ses bras évoluaient dans une danse captivante, et ses lèvres remuaient dans une moue irrésistible pour appuyer ses gestes. Ses lèvres... parfaitement dessinées, semblables à deux boutons de rose écarlate. Elles l'attiraient inéluctablement.

La barque s'arrêta sous un immense saule pleureur, sans que ni l'un ni l'autre ne s'en rende compte. Les branches graciles de l'arbre centenaire formèrent une alcôve autour d'eux, les rapprochant subtilement. La jeune femme s'avança plus près du prince, arborant un délicieux sourire.

Trève de réflexions, il ne pouvait ignorer cet appel. Un baiser, un simple baiser, ne pourrait leur faire aucun mal...

La barque se souleva alors d'un mouvement soudain qui leur fit perdre l'équilibre, et ils tombèrent tous deux à l'eau.

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