11. Pour Ursula

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En Atlantica, la disparition de la princesse finit par se faire remarquer. Ariel pouvait fuguer un jour ou deux loin de son père, mais trois jours sans nouvelles commencèrent à sérieusement inquiéter Triton. Des gardes patrouillaient dans tout le royaume, à la recherche de sa benjamine insolente.

Les suspicions ne tarderaient pas à se porter vers Ursula. Elle en avait conscience, d'autant que ces derniers temps, la jeune sirène se promenait aux abords de son antre.

Depuis toutes ces années, le souverain ne s'était cependant jamais aventuré sur son territoire. Malgré sa formidable réputation de Sorcière des mers, aucun garde n'avait interrompu ses activités; même lorsque certains Atlanticais furent transformés en polypes. De toute façon, le royaume ne se souciait gère de ces pauvres âmes en perdition. Elle accomplissait la sale besogne des bourreaux à leur place -en leur accordant toutefois une brève illusion du bonheur-, voilà pourquoi ils la laissaient faire !

Non. Ursula devinait une cause bien plus profonde : Triton la craignait. Après tout, la lâcheté coulait dans ses veines. Il n'osait pas affronter en face la damnation qu'il lui avait infligée. Il ne supportait certainement pas l'idée que même transformée en monstre, sa puissance n'en fut que grandie. Ou alors avait-il peur d'être de nouveau ensorcelé ? Pris une fois de plus dans ses filets ?

  • Se laisser aller à la nostalgie, à la douceur et à la passion ne lui ferait pas de mal... rit intérieurement l'ancienne guérisseuse.

C'était là, peut-être, la raison de sa rigidité, de son inflexibilité croissante envers son peuple, et envers sa propre fille. Le roi ne voulait plus se laisser prendre au piège de la tendresse, alors il se construisait une carapace... La sorcière, elle, ne le craignait plus. Il n'avait qu'à venir lui réclamer sa fille chérie, exhibant son Trident ridicule, juché sur ses Grands Dauphins. Elle l'attendrait.

De toute façon Ariel ne tarderait pas à revenir, éplorée contre l'épaule de sa chère tante. Ursula savourait déjà la vision jouissive de Triton constatant avec effroi que sa fille, ayant signé un contrat en bonne et due forme avec la sorcière, serait à tout jamais sa prisonnière.

La stupide quête de la greluche pour l'amour du prince humain arrivait bientôt à son terme. Et sa déception avec. Au cours de ses observations, Ursula constata qu'Éric ne se laissait pas charmer facilement par les femmes. De potentielles fiancées, il en avait eues, mais pas une ne réussit à voler pour de bon le coeur du bellâtre. Même si l'apparence d'Ariel subjuguait, sans sa voix elle n'était rien de plus qu'une énième prétendante qui se pâmait pour lui. Le prince ne pouvait tomber amoureux aussi vite d'une muette inconnue. Ce dernier appréciait les jolis mots, les chants, les discussions animées.

Ursula s'étendit sur sa mousse moelleuse, l'heure quotidienne pour espionner Ariel via son coquillage sonna. Prendre l'énergie de ses solliciteurs présentait un avantage considérable : en se concentrant sur son artéfact, elle pouvait ressentir leurs émotions, parfois même distinguer ce qu'ils voyaient.

Elle ne s'attendait guère à ce qu'elle vit à travers les yeux de la jeune fille : un prince mielleux, charmé, captivé par la petite sotte. Comment ? Ariel n'était qu'une greluche ingénue, gauche, dépourvue de perspicacité ! La sorcière envoya en un éclair ses murènes la surveiller de près, profitant que cette dernière se trouvât sur l'eau.

Grand bien lui en fut, ses acolytes empêchèrent de justesse un baiser entre le couple, renversant la barque dans laquelle ils se trouvaient. La petite sotte avait paniqué, regagnant de toutes ses forces la berge, puis le château, apeurée de se retransformer en sirène au contact de l'eau. Le prince, confus, la talonna et la raccompagna en toute hâte dans sa chambre, avant de se retirer lui-même dans ses appartements. Ursula rit aux éclats face à cette scène ridicule.

  • Un baiser ? Après seulement trois jours alors que tu ne sais rien d'elle ? Tu me déçois mon cher Éric... Tu me déçois profondément... pensa tout haut la sorcière alors qu'elle engageait sa propre transformation face à son miroir.
  • Non, pas un baiser d'amour, je ne le pense pas. Un simple baiser d'attirance que tu allais lui donner, voilà tout... continua-t-elle, tout en retrouvant l'éclat de ses dix-sept ans dans la glace.
  • Les princes... Vous êtes tous les mêmes, attirés par les artifices, les badinages, la volupté... pour à la fin, nous abandonner comme des lâches que vous êtes ! siffla-t-elle alors qu'elle achevait sa métamorphose.

Elle décida d'intervenir en personne pour stopper ces batifolages. Il se pourrait que la prochaine fois, cela soit un vrai baiser d'amour. La pourrie gâtée n'avait toutefois aucune idée de l'étendue du pouvoir de la sorcière et elle comptait bien le lui montrer.

Il était temps qu'Ursula s'amuse. Elle méritait son bonheur. Cette fois, elle serait au devant de la scène. Cette fois, elle l'aurait, son prince.

La sorcière se rendit alors à la limite des mers. Comme pour la jeune sirène, ses écailles disparurent et firent place à une peau soyeuse, qui se sépara en deux jambes fuselées. Elle se releva avec grâce, n'eut pas la moindre peine à marcher. D'un geste lent qui parcourut son corps parfait, elle se para d'une somptueuse robe en taffetas violet, lui moulant la poitrine, parée de rubans satinés et de perles nacrées. La belle agrémenta son crâne altier d'une tiare, ornée de diamants et d'améthystes. Au contact de sa paume, le gros rocher qui lui faisait face se métamorphosa en un carrosse rutilant. Attirés par ces phénomènes étranges, deux pêcheurs se dirigèrent vers la plage :

  • Tout va bien mademoiselle ? s'enquirent-ils, les yeux plissés, distinguant difficilement Ursula dans la pénombre.
  • On ne peut mieux, répondit celle-ci tout en les ensorcelant.

L'un alla chercher des chevaux, tandis que l'autre fut changé en laquais élégant. Parfait. Elle ne put contenir un rire satisfait. Contrairement à Ariel, ce n'est pas Éric qu'elle irait voir en premier.

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