7. Une Renaissance

4 minutes de lecture

Combien de mois s'écoulèrent ? Fût-ce des années ? Des décennies ? Ursula errait sans but; se laissant porter par les courants. Parfois, elle en oubliait sa propre identité.

Qu'étaient ces monstrueux tentacules collés à son bassin ? Que devinrent Triton et son père ? Ses pensées s'emmêlaient avec son chagrin infini. Pourquoi son coquillage la maintenait-elle encore en vie ? N'avait-elle pas échoué dans tous ses projets ? Lui restait-il seulement une raison de continuer ?

Un jour de désespoir immense, elle vit une pieuvre mourante s'allonger à ses côtés. Elle semblait partager sa détresse, l'accompagner dans son malheur. Refusant de la laisser agoniser, elle puisa en elle ce qui lui restait de pouvoir pour la soigner. La pieuvre, revigorée, se releva d'un geste vif. Elle lui tournoya autour, la frôla comme pour la remercier, puis disparut en un jet d'encre.

Malgré sa malédiction, ses talents de guérisseuse restaient intacts. Ursula s'investit dès lors dans le soin des créatures malades, blessées et abandonnées qui l'entouraient. Elle se remémora son enfance passée à redonner vie à son environnement, se reconnecta avec son moi profond. Peut-être était-ce là sa vraie raison de vivre. Ou le moyen de se racheter.

Bientôt, son monde reprit forme. Elle construisit un refuge, son refuge. À l'abri des regards, sa tanière recelait de potions colorées, d'objets curieux, de plantes rares, et souvent, de chants d'hippocampes. Se consacrer à sa passion lui fit oublier sa laideur. Les animaux, eux, ne craignaient pas son aspect répugnant.

Cet endroit intriguant où la faune prospérait finit par attirer quelques curieux. Le langage des poissons se comprenait aisément; les rumeurs sur une soigneuse mystérieuse vinrent ainsi aux oreilles d'Antlanticais en mal d'aventure. Ces derniers voulaient voir de leurs yeux cette sorcière maudite tapie dans son repère obscur. Ursula les esquivait habilement, n'ayant que faire de ces badauds insignifiants.

Un vieux triton désespéré vint cependant lui rendre visite, une nuit de tempête. Malgré le silence de la guérisseuse, ce dernier insistait pour la rencontrer. Affaibli, malingre, désargenté, il ne pouvait se faire soigner à Atlantica; Ursula était son seul espoir.

La sorcière avait d'abord refusé. Elle revint ensuite sur sa décision, voyant le vieillard rebrousser chemin, abimé par la détresse. Elle le soigna, lui fit même gagner plusieurs années de longévité; lui offrit quelques perles pour qu'il puisse reprendre une vie décente. Malheur lui en prit. Le vieux fit fortune et les âmes désespérées, témoins de cette renaissance, se succédèrent à la porte de la soigneuse pour lui demander de l'aide. Certains vivaient dans la misère, d'autres quémandaient l'amour.

La monstruosité d'Ursula les surprenait à peine, son aide était bien plus importante.

Elle finit par céder à leurs suppliques. Ce besoin d'amour et de reconnaissance lui fit tellement écho. Elle devint bientôt célèbre pour ses sortilèges puissants. Ses solliciteurs la nommèrent la "Sorcière des Mers".

Son aspect s'améliorait à mesure que sa renommée s'étendait. Son visage reprit une forme normale, bien que marqué par tant de souffrance. Ses cheveux repoussèrent; le noir d'encre laissant toutefois place à un blanc nacré. Elle s'accommodait de ses tentacules, qui possédaient une certaine praticité. Une queue de sirène, pourquoi y revenir alors qu'elle pouvait exécuter huit tâches à la fois ?

Assoiffés de gloire et de richesse, ces Atlanticais misérables ne cessèrent hélas de lui réclamer encore et toujours davantage. Sans aucun véritable signe de reconnaissance. Au contraire, plus ils s'enrichissaient, plus ils la méprisaient, elle et sa malédiction.

Ursula finit par comprendre qu'elle ne gagnerait jamais leur réelle affection. Son expérience amère la rendit méfiante. Elle n'était pas dupe, une fois qu'ils obtiendraient tous leurs désirs, ils l'abandonneraient sans aucune compassion.

Elle leur fit désormais signer des contrats. Un seul souhait exaucé, en un laps de temps défini. Si ces derniers respectaient lesdits contrats - ce qui fut rare - ils étaient quittes. Dans le cas contraire, un châtiment les attendait : une redevance à vie envers la Sorcière des Mers. Certains abusèrent si bien de sa confiance qu'ils furent changés en polypes, réduits à l'état de vers lamentables.

Ursula devint impartiale. Pour elle, cela relevait uniquement de la justice. Ces Atlanticais cupides méritaient une punition. Ils devaient comprendre la tristesse qu'elle endurait. Crainte de tous, elle fut souvent qualifiée de sans-coeur.

Le décès de son père lui prouva pourtant le contraire. Elle apprit son remariage, quelques années après son bannissement. Elle ne fut évidemment pas conviée à la cérémonie du Retour de son âme à Poséidon. Elle en souffrit au plus profond de son coeur, refusant tout contrat pendant des mois.

Sa blessure se rouvrit telle une huître béante. Toute cette ingratitude... causée par Triton. Son stupide orgueil de prince l'avait bannie d'Atlantica, pour une simple vengeance envers ces sirènes diaboliques. Ce fut son amour qui l'éloigna de son père, et maintenant ses lois cruelles lui interdisaient de rendre dignement hommage à son âme. Oui, Triton était à l'origine de tous ses maux. Le royaume ne méritait pas un tel roi.

Dévastée, elle décida pour un temps de s'éloigner le plus loin possible d'Atlantica afin d'oublier sa peine. Elle parcourut les mers de l'Est, les abysses obscurs et les lagons azur des îles du Sud.

Elle découvrit ensuite un autre monde. Celui des humains.

Annotations

Vous aimez lire Misa Miliko ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0