Le prince Triton était tout simplement magnétique.

Destiné à devenir roi depuis sa venue au monde, il avait cette aisance et cette splendeur naturelle dont seuls les souverains ont le secret.

Entre l'âge de quinze et dix-huit ans, la tradition imposait aux princes et princesses d'Atlantica de fréquenter les sujets de leur génération, que ce soit lors de certains enseignements ou dans des cercles de loisirs.

Le but, leur faire rencontrer toutes sortes d'individus pour qu'ils aient un aperçu de la vie de chaque habitant du royaume, afin de toujours gouverner dans la justice et l'égalité.

L'intérêt était qu'ils tissent également des relations avec les jeunes élites, qui deviendraient potentiellement de futurs conseillers, et plus si affinités...

Triton, ainsi que plusieurs membres de la royauté, commencèrent alors à suivre plusieurs jours par semaine les mêmes enseignements que la communauté des apprentis guérisseurs.

À l'évidence, le prince était très doué, même s'il n'avait pas le même parcours qu'un guérisseur. Il maniait ses pouvoirs avec un talent inné, n'avait pas besoin d'apprendre ses leçons par coeur, arrivait souvent en retard en cours et ressortait tout de même avec les éloges de ses professeurs. Ces derniers s'efforçaient pourtant de rester impartiaux et réfutaient toute forme de favoritisme.

Certaines soeurs et cousines de Triton faisaient d'ailleurs partie des cancres de la classe. Elles se démarquaient tout bonnement par leurs artifices : des bijoux précieux, des coiffures savamment travaillées, toutes sortes de paillettes et de coquillages sur le corps et les écailles. Elles parlaient fort, se déplaçaient en groupe, ricanaient à tout va, et flirtaient sans cesse avec les jeunes courtisans.

Ursula était leur total opposé : solitaire, froide, simple.

Hélas, même si ces caractéristiques intriguaient la plupart des jeunes hommes -en plus de sa beauté unique- ce n'était pas le cas de Triton. Le prince, aussi talentueux et intelligent qu'il était, se plaisait aussi à faire la fête et à ne flirter qu'avec ces sirènes pipelettes et extravagantes.

Ursula décida alors d'opérer un changement pour attirer l'attention du beau prince.

Elle se mit à répéter ces coiffures fantasques, à se parer de couleurs voyantes et à dépenser l'argent qu'elle gagnait grâce à ses sortilèges en bijoux onéreux. Son père n'appréciait guère cette transformation, mais comprenait cette période complexe de l'adolescence que traversait sa fille.

L'apprentie guérisseuse choisit ensuite de fréquenter les mêmes salons que les jeunes sirènes distinguées de la cour, pour en apprendre plus sur leurs sujets de prédilection et leurs dernières lubies. Tout cela, encore une fois, dans le but d'attirer l'attention de Triton.

Etonnament, Ursula fut bien reçue et intégrée dans ces clubs.

Ce qu'elle ne savait pas en revanche, c'est que ces demoiselles, même si elles lui paraissaient cordiales et bien élevées, restaient très jalouses de sa beauté et de son intelligence.

Nombre de leurs intérêts amoureux les avaient éconduites car ils n'avaient d'yeux que pour cette guérisseuse bizarre et gauche. Quelle aubaine quand cette dernière s'était finalement présentée dans la fosse aux serpents !

Elles comprirent rapidement que la sirène s'était éprise du prince Triton et rêvait un jour de gouverner à ses côtés. Quelle stupidité ! Comment pouvait-elle prétendre séduire le futur roi et s'imaginer reine ?

Les commères fomentèrent un plan machiavélique. Elles décidèrent de présenter Ursula au prince lors du Bal des Perles.

Cette dernière était aux anges : pouvoir enfin attirer l'attention du prince, être là, sous ses yeux, lui parler, l'avoir rien que pour elle ne serait-ce que quelques minutes ! Elle avait confectionné pour l'occasion, avec tout son talent, une magnifique parure d'écailles améthyste et argentées qui la couvraient de la poitrine à la queue et des bijoux assortis dans ses cheveux et à son cou.

Son père, si ému de sa beauté, la mit toutefois en garde contre ces fausses amies dont il connaissait bien les manières cachées. Mais la jeune sirène n'écoutait pas, elle était persuadée de la bonté de ses nouvelles camarades, et que son tour était enfin venu de goûter à la fièvre de l'amour.

Lorsqu'elle arriva à la salle de bal, elle fut émerveillée.

Des coraux couleur arc-en-ciel paraient chaque coin du lieu, des perles blanches et or tapissaient les murs, et un orchestre composé de splendides animaux marins jouaient une mélodie envoûtante.

Les filles du club lui avaient demandé de patienter dans un coin, pendant qu'elles allaient chercher Triton.

Ursula sentait son coeur battre à tout rompre, sa gorge se serrer et une chaleur agréable envahissait son ventre rien qu'à la pensée du prince qui l'inviterait poliment à danser.

Perdue dans ses rêveries, elle n'entendit pas l'énorme seau de détritus marins se déverser sur elle.

Le temps qu'elle s'aperçoive que son corps entier était recouvert d'une boue immonde et de l'odeur pestilentielle qu'elle dégageait, Triton apparut face à elle en fronçant le nez.

Ursula s'enfuit aussitôt sous les rires et les moqueries des sirènes du club.

Son coeur fut brisé en miettes; la honte et la culpabilité la rongèrent. Son père l'avait bien prévenue. Il ne pouvait maintenant que la consoler. La jeune guérisseuse ne voulut plus sortir de chez elle pendant des jours. Mais bientôt, la honte et la tristesse laissèrent place à la colère.

Comment une sirène aussi douée qu'elle pouvait se laisser marcher dessus par ces pauvres coquilles vides ?

Ursula avait une idée derrière la tête et elle était bien décidée à faire payer ses ennemies.