Chapitre 1 - 6

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Bahamas, 1705

La tempête s’était calmée au beau milieu de la nuit, mais au petit matin, il en subsistait les débris et les vestiges. Plantes cassées, fruits abîmés, feuillage éparpillé, poteaux et barrières couchés. Une tornade n’aurait pas su s’y prendre mieux. Un vrai désastre !

Dans l’air, résistaient encore le parfum des embruns salés et la fraîcheur qui glace jusque dans les os. Le soleil peinait à réaliser son œuvre mais l’atmosphère retrouvait peu à peu une température saisonnière.

Du haut de leurs jeunes années, Ethan et Bekhy n’avaient pas vraiment prévu ce revers de situation, les conséquences malheureuses d’un tel orage. Leur mère s’était levée plus tôt que d’accoutumé afin de remettre de l’ordre dans les cultures et remédier au drame. Elle savait aussi que ses enfants n’étaient pas des fainéants lorsqu’il s’agissait de l’aider dans les tâches ménagères, agricoles ou même pour se rendre avec elle au marché. Ils étaient toujours partant pour la soutenir avec entrain. Ce fut donc avec confiance qu’elle les sollicita pour un coup de main.

Cette modification du plan obligea Ethan et Bekhy à reporter leur mission secrète pour quelques heures. Le jeune garçon eut bien du mal à cacher sa déception mais sa sœur lui rappela que cela pimentait l’expédition et que l’attente était bien meilleure que la découverte. Il ne fut qu’à moitié convaincu mais s’en contenta. Il n’avait d’ailleurs pas d’autre choix. Et puis, cette compassion qu’il portait naturellement à sa mère lui fit rapidement oublier ses contrariétés.

La matinée fut bien remplie et bien laborieuse mais après un rapide déjeuner qu’ils engloutirent sans demander leur reste, ils purent enfin sortir se divertir. Lorsque Ethan fut certain que sa mère ne les regardait pas, il entraîna Bekhy à l’arrière de la maison pour se rendre dans le petit atelier de leur père et récupérer la fameuse pelle. Tout avait été laissé en l’état, Madame Barnes n’avait rien touché. Il y planait encore les souvenirs des heures passées où son mari construisait et bricolait autant ce qui pourrait servir à leur vie sur l’île qu’à entretenir les rêves de ses enfants dont il avait été au plus proche. Henry avait fabriqué l’épée en bois de Ethan et le coffre à poupée de Bekhy. Ethan n’oublierait jamais les explorations dans la forêt et les soirs passés à contempler les constellations pour apprendre à les reconnaitre et à les nommer. Il avait beaucoup appris avec son père. Et c’était lui qui lui avait donné le goût pour le grand large, lui qui lui avait conté d’étonnants récits de boucaniers et d’aventuriers. Sa mort n’avait fait qu’accroître cette envie de liberté. Ethan s’était promis de faire tout son possible pour honorer la mémoire de son père et ses principes. Où qu’il puisse se trouver à présent, le garçon souhaitait qu’il soit fier de lui. Parcourir le monde lorsqu’il serait grand était son objectif premier. À huit ans, ce n’était plus qu’une question de temps.

Après avoir écopé l’eau qui s’était infiltrée dans la cavité menant à son trésor, Ethan commença à dégager les bords :

— Je partirai bientôt, Bekhy, tu sais.

— Partir ? Où ça ?

— En mer.

— Tu veux nous abandonner, maman et moi ?

À coup de pelle dans la terre détrempée, il dévoilait progressivement sa trouvaille qui pointait le bout de son nez et le narguait depuis hier.

— Non, je reviendrai de temps à autre avec des marchandises. Je te trouverai des poupées originales de l’autre bout du monde.

Bekhy fit la moue, peu convaincue de ce que cela pouvait leur apporter comparé à l’absence de son frère. Les poupées ne faisaient pas le poids. Elle ne voulait pas qu’il parte.

— Maman a besoin de toi. Tu es l’homme de la maison comme elle dit souvent.

— Oui et je me dois d’entretenir la famille comme le faisait papa.

— Papa construisait des choses pour nous et les voisins. Il proposait ses services un peu partout pour tout et n’importe quoi, ce n’était pas un pirate qui partait pendant des mois ou des années.

— Maman aura encore plus d’argent si je suis un pirate.

Sa pelle heurta quelque chose de dur et il posa son outil sur le côté.

— Aide-moi à le dégager.

Ensemble, à quatre pattes dans la terre meuble et humide, ils se souillèrent autant les vêtements que les mains jusqu’aux coudes pour retirer l’objet tant convoité. Le morceau de ferraille qui avait tant animé l’entrain de Ethan était un anneau qui faisait partie d’un plus grand ensemble d’autres anneaux.

— On dirait des chaînes, fit remarquer Bekhy.

Ethan tira de toutes ses forces pour le dégager de l’emprise d’une terre qui voulait à tout prix conserver son bien dans ses entrailles. Mais c’était sans compter la persévérance du jeune garçon et son acharnement à avoir ce qu’il désirait. Il tomba sur les fesses lorsque l’objet céda enfin. Des fers de prisonnier.

— Un trésor comme ça… tu parles ! se moqua Bekhy, riant de le voir vautré dans la boue.

Ethan se releva en maugréant.

— Ça aurait pu être…

Il se tut. Son regard venait de s’arrimer dans le fond du trou désormais plus profond que jamais suite à l’excavation des fers. Il fronça les sourcils et s’agenouilla pour creuser de plus belle. Il dégagea un os. Autant les intempéries faisaient frémir la demoiselle, autant un os ne lui paraissait pas aussi dangereux ni horrible. Bekhy en avait déjà vu, des squelettes d’animaux sur leur propriété, même si ceux-là étaient beaucoup plus grands. Ethan fut le premier à faire le rapprochement.

— C’était un détenu ou un esclave. Il a dû être tué et enterré là il y a longtemps.

— Ce n’est pas un animal ?

— Avec des fers ? ironisa Ethan.

— Pourquoi l’aurait-on enterré là ?

— Aucune idée. Sans doute tentait-il de s’enfuir. Ou peut-être qu’ici il était peu probable que quelqu’un le retrouve.

— C’est horrible !

Ethan haussa les épaules. Il était déçu de la tournure des évènements. Il pensait trouver quelque chose de bien plus captivant que des os. Il les laissa retomber dans le trou, dépité. Bekhy s’exclama :

— On peut toujours continuer à creuser. Il avait peut-être un trésor avec lui.

— Ça va faire une heure qu’on est parti. J’ai peur que maman nous surprenne revenant de la falaise.

Bekhy porta soudain un intérêt plus grand que son frère pour ce tas d’os anciens. Elle qui voulait toujours rentrer ou ne pas participer à ses jeux de garçons, sentit soudain le vent tourner dans son cœur. Voir la mine déconfite de Ethan alors qu’une minute avant elle avait lu l’étincelle dans ses yeux lui fit prendre le relai.

— Maman n’est pas idiote, elle se doute bien que nous sommes ici. Laisse-moi faire, je vais creuser.

Elle prit la pelle et tenta de dégager le reste du squelette mal en point. Ethan ne voulait pas la voir s’épuiser ni même se faire mal à l’ouvrage. Il lui piqua la pelle des mains pour reprendre la besogne.

— OK, on regarde vite fait, conclut-il.

Il ne leur fallut pas longtemps pour déterrer un crâne non loin duquel était encore accroché un cordon à demi effrité.

— C’est quoi ? demanda Bekhy.

Ethan abandonna bien vite sa pelle pour tirer sur le collier de fortune et l’extraire de sa dernière demeure. Sa sœur s’approcha tout contre lui pour découvrir en même temps ce dont il était question. Ethan récupéra le pendentif entre ses mains et frotta avec sa manche pour en retirer le surplus de terre et dévoiler sa forme. En réalité, il s’agissait de deux pendentifs d’allure étrange et qui, à première vue, s’apparentaient à des clés. Mais aucun d’eux n’en était vraiment certain. Ce qui n’empêchait pas le fait que pour Ethan c’était une fameuse découverte. C’était leur trésor. Il sentit le regain de sa détermination et l’appel de son destin revenir en grande pompe. Il tira d’un coup sec sur le cordon pourri qui se rompit facilement et partagea son butin avec sa sœur.

— Tiens, une chacun, ce sera notre secret.

— Promis.

Bekhy récupéra sa part avec honneur, sachant l’importance que cela avait aux yeux de son frère. Un cadeau d’une valeur qu’aucun adulte n’aurait pu déterminer. C’était leur trésor, leur secret. À son frère et à elle. Pour toujours.

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