Jeff

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" Y’a nous trois, y’a nous six, y’a nous douze…

Tant qu’il y aura tout ce monde-là, il pourra pas y avoir de nous deux ! "

Josselin Beaumont (Jean-Paul Belmondo) dans Le Professionnel

— Maintenant !

Il a pris ma main dans la sienne, et on s’est mis à courir sous la pluie battante.

Dans la nuit noire, on ne voyait rien. Rien que la lumière des phares d’une DS qui nous attendait sur le parking. Alors, on s’est engouffrés à l’intérieur. Lui à la place du conducteur et moi à celle du passager. Le moteur tournait déjà, les essuie-glaces chuintaient sur le pare-brise. " Attache ta ceinture ! " qu’il m’a dit. Et il a démarré sur les chapeaux de roues.

La Citroën ne nous appartenait pas, pas plus que la Thunderbird d’hier ou que la Porsche de la semaine précédente. J’ignorais s’il l’avait dérobée à quelqu’un, s’il avait tabassé son proprio, un type ou une nana. J’ignorais tout ça et je m’en foutais, je posais pas de questions. Parce que j’étais bien avec lui, n’importe où.

On n’avait pas de bagnole à nous, pas d’appart’, pas de chien. Pas d’attache, rien. Mais on était bien partout, on écumait les chambres d’hôtel ou les planques pour échapper à ceux qui le poursuivaient.

De temps à autre, il me laissait téléphoner à mon frangin, à Toulon. D’une cabine téléphonique anonyme.

***

Maddy ? Putain, mais t’es où ?

Je peux pas te dire. Et puis de toute façon, demain on sera loin, on sera encore ailleurs. Mais t’inquiète pas…

Comment ça, t’inquiète pas ? Mais bien sûr que si, je m’inquiète ! T’es en cavale avec le mec le plus recherché de France et de Navarre ! Et les poulets, ils n’hésiteront pas à tirer quand ils vous auront logés !

Ils l’attraperont jamais…

T’es complètement folle, Maddy !

Non, juste amoureuse…

Amoureuse… Tu parles ! Mais amoureuse ou folle, c’est du pareil au même, ma pauvre ! Et puis, s’ils te descendent, qu’est-ce que je vais devenir moi, sœurette ?

Je me ferai pas descendre, Pierrot. Jeff est toujours là, à veiller sur moi…

Fais quand même gaffe à toi, Maddy, ils plaisantent pas ces gars-là !

Faut que je raccroche, frérot. Je t’embrasse…

***

On venait de dépasser Compiègne, et puis la DS a fait une embardée en obliquant soudainement à droite.

— Je suis sûr qu’ils ont dressé des barrages sur la nationale… Faut qu’on prenne les petites routes. Tiens, ouvre voir la boîte à gants. Doit y avoir un flingue là-dedans…

— Un flingue ?

Il ne répondit pas. La sueur perlait à son front, du sang maculait le col de sa chemise.

— T’es blessé ?

— C’est rien, ma belle, juste une égratignure… Passe-moi le flingue…

Sa main caressa furtivement mon visage avec douceur. J’aimais ça chez lui, sa douceur, sa tendresse et sa force, un côté mystérieux et sauvage, du genre taiseux qui ne dit jamais rien, mais je me sentais merveilleusement femme quand il posait ses yeux sur moi, quand il parcourait mon corps de ses doigts, quand il m’embrassait…

— Un jour, tu te lasseras de moi, Maddy, tu te lasseras de tout ça. Tu voudras une grande baraque avec cheminée, peut-être même un mioche ou deux…

— Non, je ne voudrai toujours que toi ! Rien que toi !

— Alors c’est moi qui serai obligé de partir… Quand ça deviendra trop risqué, trop dangereux pour nous deux, je partirai. Parce que je veux que jamais rien ne t’arrive, Maddy, parce que je tiens à toi…

Senlis, un néon rouge, un motel.

— On va s’arrêter quelques heures ici…

— Et après ?

— Après, on verra…

La chambre, spartiate. Une salle d’eau dans laquelle il s’isola pour désinfecter sa plaie, la panser. Puis le jet chaud de sa douche sous laquelle je le rejoignis, je l’aimai…

Après l’amour, un sandwich commandé au room-service, il s’assoupit. Moi, je ne m’endormis que bien plus tard, lovée contre lui, l’observant dans l’obscurité.

Au petit matin, la luminosité fit papillonner mes paupières encore lourdes du sommeil qui me manquait. De ma main, je cherchais ce corps chaud et familier qui avait partagé ma nuit. Mais il n’était plus là. A la place du vide qu’il avait laissé, une simple lettre.

***

Maddy, ma belle.

Je ne peux pas t’emmener avec moi, c’est pas une vie pour une princesse, je ne peux pas t’imposer ça.

Un jour, tu rencontreras un autre mec, un type bien. Pas comme moi. Alors, tu m’oublieras…

Ne pleure pas mon départ, ma belle, je ne te quitte pas. Je te rends juste ta liberté.

C’est ma façon à moi de te dire je t’aime. Je ne sais pas faire autrement, je ne peux pas faire autrement.

Ils sont là, sur mes talons, ils sont partout dehors. Et je ne veux pas qu’ils te fassent du mal, je veux que personne ne te fasse du mal, jamais.

Une dernière chose avant que nos chemins ne se séparent, je voulais juste que tu saches que je t’emporterai toujours avec moi, j’aurai toujours avec moi, dans mon cœur, des bouts de toi.

Prends soin de toi, Maddy, et surtout sois heureuse, refais ta vie et sois heureuse. C’est tout ce que je veux pour toi…

Adieu, adieu ma douce poupée.

Jeff

***

Des larmes d’émotion dévalaient mes joues. Je ne lui en voulais pas, pas du tout. Je serrais juste ses derniers mots sur mon cœur. Et puis, ils ont fait irruption dans la chambre, ils m’ont arraché sa lettre des mains pour la parcourir rapidement des yeux.

— Où il est ?

— Je ne sais pas…

Une gifle, violente.

— Où il est ?

— Je ne sais pas…

— Je saurai bien te faire parler, ma garce ! Emmenez-la…

Je me débattais en hurlant, je ne voulais pas qu’ils m’embarquent.

— Et vous autres, fouillez-moi l’hôtel, fouillez toutes les chambres ! Retrouvez-le moi, ce fils de pute ! Mort ou vif, vous m’entendez ? Mort ou vif !

Ils étaient deux à tenter de me maîtriser, à me pousser hors de la chambre. Jusqu’à ce que Jeff ne braque son revolver sur la nuque de l’un d’eux.

— Elle vous a dit de la lâcher…

Il arma le chien.

— Tout de suite !

— OK… OK…

— Et puis toi et ta bande de gorilles, vous allez bien gentiment ranger vos guns et nous laisser partir…

Il a pris ma main, encore une fois, pour m’emmener avec lui, loin.

Mais ils se sont mis à tirer, à plusieurs reprises. Et il s’est effondré sous leurs balles.

Je n’ai pas réalisé tout de suite. Il me l’a dit avec son regard. Qu’il allait partir, qu’il allait me laisser. Pour de bon.

Alors, mes sanglots et mes larmes ont jailli. Ses yeux à lui aussi brillaient, ils me disaient " je t’aime ", ils me disaient " adieu "…

Adieu my love, adieu mon Jeff…

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