Rachel

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D’après " Confessions d’une femme ", de Guy de Maupassant

Pardonnez-moi, mon père, parce que j’ai péché.

Comment vous dire ? C’est tellement difficile, tellement douloureux aussi. Mais il faut que je soulage ma conscience, même si Lui connaît déjà mes méfaits.

Un silence. Le prêtre m’encourage à poursuivre ma confession.

J’ai… J’ai toujours aimé Rachel, depuis le premier jour où j’ai posé mes yeux sur elle. Je me souviens de son regard émeraude, de sa longue chevelure dorée… Nous avions seize ans à peine. Elle était très sûre d’elle, faisait tourner bien des têtes, et moi j’avais cette timidité chevillée au corps. Cette timidité qui m’empêchait de l’aborder alors que je la désirais de tout mon être. Et puis, le hasard…

Le prêtre hausse les sourcils.

Non, plutôt Dieu. Oui, Dieu fit bien les choses. La plupart des hommes en âge de se battre partirent au front. J’eus la chance d’en être exempté, à cause de ma patte folle, vous savez bien… Ces années sans concurrence m’offrirent enfin l’opportunité de demander Rachel en mariage.

Au début, je n’avais aucune raison d’être jaloux de qui que ce soit, j’étais le seul mâle en âge de la satisfaire. Et puis, l’armistice sonna mon glas. Quelques messieurs revinrent, des héros de guerre. Ils n’avaient pas vu de femmes depuis longtemps, et la mienne était assurément l’une des plus belles. Leur manège de séducteurs l’amusait, elle les attisait en abusant des attributs de sa féminité. Et ça me rendait fou.

Notre couple partait à la dérive, nos disputes étaient de plus en plus violentes, je crois même un soir avoir levé la main sur elle.

C’est à peu près à cette époque qu’elle commença à prendre des habitudes. De mauvaises habitudes. De celles que je ne pouvais tolérer. Alors un jour, je la suivis. Elle remonta la Grand-Rue, contourna la mairie puis l’église avant de couper à travers champs pour rejoindre la grange des Grillard, près des Hauts-Le-Pierre. Là, je la vis étreindre un homme. L’étreindre comme un être que l’on chérit. Mon sang ne fit qu’un tour, je m’emparai de la fourche qui était figée dans une botte de foin et la plantai dans le dos du vilain. Terrassé par mon geste, il s’effondra raide mort sous les cris d’effroi de mon épouse.

— Tais-toi, sale putain ! hurlai-je en la giflant.

— C’est mon frère que tu as tué ! Mon frère !

— Ton frère ? Je le croyais mort au champ d’honneur…

Rachel devint complètement hystérique, incontrôlable. Elle me cracha à la figure toute sa haine et se jeta sur moi pour m’étrangler. Nous luttâmes quelques instants au sol et puis… Une pelle me tomba sous la main. Je n’ai pas voulu ça, mon père, je l’aimais.

Un signe de croix. Je suis absous sans davantage de commentaire. Le prêtre quitte le confessionnal et me laisse seul face à la justice des hommes.

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