Erika

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Je me dégoûte.

Je suis assise à même le parquet brun. C’est pas un vulgaire vinyle, une pâle imitation, non c’est pas le genre de la maison. Ici, ça pue le fric, le standing. Je crois que tu aurais détesté tout ça, ce style clinquant, très nouveau riche. Bien sûr, tu n’aurais pas craché sur l’oseille, mais tu n’enviais pas ça, ce côté m’as-tu-vu. De l’aisance financière oui, mais nappée d’une discrète élégance, d’un voile d’humilité… Toi, tu t’en foutais de pioncer dans des draps de soie, pourvu qu’on soit ensemble, quelque part entre Venise et Capri.

Il doit coûter une fortune au mètre carré, ce putain de parquet ! N’empêche que je m’y gèle les miches. La résille, bas ou mitaines, ça réchauffe pas. Mais je ne veux pas retourner dans son lit. Pas maintenant. Je préfère tirer sur ma clope.

Je chiale, en silence. Je sais pas pourquoi. La fumée peut-être. A moins que ce ne soit tes bras qui me manquent pour m’y blottir. Tu dois penser que c’est une belle connerie tout ça, que ça sert à rien, qu’il vaut mieux que j’arrête mon numéro de catin avant qu’il ne soit trop tard. Tu comprends pas ? Non, tu ne le comprends pas… Pourtant, je fais ça pour toi, pour nous.

Je joue avec les volutes grisâtres, elles forment un brouillard opaque qui masque un peu la laideur de ma réalité.

Bientôt vingt ans et déjà veuve. On n’était pas mariés, mais c’était tout comme. Depuis toi, engoncée dans ma solitude, je flippe. J’ai cette angoisse de vieillir seule, dans un deux pièces-cuisine, comme une conne avec mon chat. Sauf que refaire ma vie avec un autre gars, je peux pas.

Dans mes songes, j’aimerais te retrouver et faire que jamais rien ne s’arrête. On rirait comme des adolescents, on coulerait des gondoles et courrait se réfugier derrière des masques vénitiens. C’est cliché, mais ça me plaît bien. Ouais, ça me plairait bien d’endosser ces costumes, Arlequin et Colombine, version gamineries de minots en culottes courtes. Et puis, on dirait merde à la bienséance en narguant le palais des Doges, on se bécoterait dans des lieux interdits, on ferait l’amour dans des palaces sans jamais rien payer. Une existence bohème de SDF en carré VIP. Un fantasme…

Le brouillard se dissipe.

Il est là, il se met à bouger, s’éveille. Le drap glisse le long de son corps, il me cherche de sa main. Le cheveu rare, le torse et la bedaine flasques… Comment ai-je pu baiser avec ça ?

Son regard croise le mien. Il me devine dans la pénombre. La lumière filtre à travers les persiennes. Il ne voit pas mes larmes. Il ne peut pas les voir.

— Erika ? Qu’est-ce que tu fous assise par terre ?

— Ça se voit pas ?

Le château de cartes de ma tour d’ivoire s’écroule. Ma voix est trop agressive. C’est plus fort que moi. Ce matin, j’arrive pas à faire semblant. Il m’observe, suspicieux.

— Ça va pas ?

Je ne réponds pas. J’ai du mal à contenir ce qui est en moi, prie pour qu’il ne s’aperçoive de rien. Ses yeux sur moi me salissent, j’ai l’impression qu’ils me violent. Je ne porte rien, rien d’autre que ces mailles qui me rendent presque chienne. Il louche sur les courbes qu’elles exhibent, impudiques ; me trouve sexy. Sûre qu’il en bande.

Il attrape son slip et son futal pour se fringuer avant de quitter son plume. Un pied sur le sol, puis deux. Il se déplie, se dirige vers moi, torse nu ; s’accroupit enfin pour se mettre à ma hauteur.

— Tu penses à quoi ?

— A rien…

Il caresse ma joue.

— Tu regrettes, bébé ?

Je déteste sa condescendance. Une affection feinte quand il m’espère encore plus salope que la veille.

— Non…

Il me tend la main.

— Viens…

Il veut remettre ça.

J’écrase ma cigarette dans le cendrier en cristal.

Je ne peux pas me défiler, pas maintenant. Coup de poker ou coup de bluff, je dois gagner sa confiance, l’endormir, le tenir par la queue pour le planter. Il croit mener la danse, être le maître du jeu, mais c’est moi qui distribue les cartes. Je suis l’illusionniste, la magicienne. Jouer les soumises pour finir par le crever à petit feu.

Il est en moi. Il a ce qu’il veut.

Alors, je clos mes paupières. Pour simuler, pour fuir. Je te rejoins à San Francisco ou Venise. Le Pont des Soupirs est surfait, tu veux embrasser le Golden Gate Bridge. Ou m’aimer sur une plage de Malibu au soleil couchant. A la tombée du jour, quand il n’y a plus personne. Imagerie hollywoodienne pour oublier qui me chevauche.

Est-ce vraiment nécessaire, tout ça ?

Oui, mon ange.

Parce que la justice est impuissante face à l’immunité diplomatique.

Et parce que je t’aime…

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