Adam Vs Eve

3 minutes de lecture

Un village accroché à flanc de montagne, isolé, oublié du reste du monde.

Un endroit paisible, inaccessible par la route en hiver, et peuplé d’indéracinables autochtones peu enclins à l’ouverture vers autrui, ceux qu’ils appellent les étrangers.

C’est pourtant là-bas que je fus envoyé pour terminer mon dernier cycle de séminariste. Dans cette petite paroisse au sein de laquelle le dernier prêtre en fonction avait mystérieusement disparu.

L’église était minuscule et vétuste, s’apparentant plutôt à une modeste chapelle, tandis que le presbytère n’avait rien à envier à l’austérité des plus spartiates cellules monastiques.

C’était au début de l’automne, et l’évêché m’avait prévenu, la saison hivernale allait me paraître démesurément longue. Elle le fut.

Les premiers temps de mon installation furent très solitaires, mes rares paroissiens étant méfiants de tout ce qui venait d’ailleurs, et de fait hostiles.

Pourtant, et à mon grand étonnement, ils assistèrent en nombre à mon premier office, et à ceux qui suivirent. Lentement, la confiance s’installa et à confesse, les langues commencèrent doucement à se délier.

Le père Adam, mon prédécesseur, avait eu jadis une promise, et il se murmurait que c’était à elle que l’on devait sa soudaine disparition. Si d’aucuns pensaient qu’il l’avait rejointe dans sa ville d’origine, d’autres péquins n’hésitaient pas à crier à l’assassinat en contant le sinistre dessein de ce pauvre curé de la manière la plus immonde qui soit.

Je ne croyais pas beaucoup à ces histoires, plus affabulatrices les unes que les autres, et les assimilaient à des légendes qu’on se plaisait à raconter au coin du feu.

Jusqu’à ma découverte, en ce beau jour de printemps, un 23 avril pour être précis.

Poussé par l’euphorie de la fonte des neiges, des températures de plus en plus clémentes et d’un soleil plus présent, j’en profitai pour faire le grand ménage au presbytère. Et ce fut à ce moment-là que je tombai sur ces mots, griffonnés d’une écriture très féminine au verso d’une gravure profane d’Adriaen Van Nieulandt, insérée en guise de signet au milieu des pages d’un missel relié en cuir brun :

Je t’aime Adam. Je n’ai jamais cessé de t’aimer. Je ne supporterai pas que tu me quittes, que tu nous abandonnes, Abel, Caïn et moi. Abel et Caïn, tes fils oui. Je sais que l’Église nous condamne, qu’au nom de ton Dieu, tu nous as reniés, mais mon amour pour toi est plus fort que tout, plus fort que la mort même. Il n’y a pas d’anges ici-bas, juste des mortels comme toi et moi. Et c’est parce que tu es mortel que tu as péché. De toute façon, même si tu t’en repentis, Lui le sait et ne t’épargnera pas malgré ta dévotion. Il te brûlera en Enfer, alors je veux brûler avec toi sur le bûcher de nos ébats. C’est moi qui viendrai te chercher pour t’emmener vers l’Au-delà. N’aie pas peur, car même crucifié, le Christ a ressuscité. Il n’était pas un Saint, pas comme on le raconte. Tu ne crois pas qu’il avait des désirs d’homme lui aussi, comme n’importe qui ? Si ça se trouve, il avait fait comme toi, des enfants qu’il était de bon ton de cacher au reste de l’Humanité. Oui, tu ressusciteras comme lui, mon amour, comme ce Christ Rédempteur qu’on vénère. Et tu seras sanctifié car ma volonté sera faite, tu m’appartiendras ainsi pour toujours. Pour toujours, oui, toi qui es mon Dieu.

Ton Eve

Un frisson me parcourut l’échine. C’était donc vrai. Dévorée d’une jalousie aussi obsessionnelle que passionnelle, Eve avait attenté à la vie du père Adam, sans doute passé à trépas dans les plus atroces souffrances.

Un chapelet à la main, je finis par prier pour le salut de son âme, espérant qu’un jour la justice des hommes fasse toute la lumière sur cette sombre affaire.

Et puis je me dis qu’il était grand temps aussi que l’Église pardonne aux prêtres de n’être que des hommes. Car nul n’est à l’abri de succomber… 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0