Impreza

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Ma mère est là, au premier rang.

Elle est toujours là.

Elle sera toujours là.

C’est normal, c’est ma mère.

Pourtant, la situation, elle, ne l’est pas.

Normale je veux dire…

***

— Je veux pas que tu y ailles ! T’entends, Cédric ? Je veux pas !

— Karine, il m’a défié. Tu comprends ça ? Défié ! Il croit qu’il peut m’atomiser avec sa Clio RS, tu parles ! Même tunée, je vais te la déposer sur place, sa chiotte…

— Cédric…

— Personne peut me battre, Karine, personne ! Les paris sont ouverts, et je peux te dire qu’y en a plein qui donnent pas cher de sa peau, à l’autre naze…

— Quand est-ce que ça va s’arrêter tout ça, Cédric ? Quand ?

— Ils veulent tous me détrôner mais ils n’y arriveront pas. Parce qu’il y a la machine, et il y a le pilote.

— T’es complètement fou ! Un jour, ça finira mal cette histoire, tu verras…

— T’inquiète pas, ma belle, il est pas encore né celui qui m’enverra au cimetière.

— Cédric, je t’en prie, fais gaffe à toi ! Tu me promets ?

— Allez, ma chérie, embrasse-moi vite et souhaite-moi bonne chance surtout. Tu verras, tu l’auras ton week-end romantique à Venise…

***

Karine est là aussi.

Sa tenue est un peu stricte mais le noir lui va plutôt bien.

Je la préfère plus sexy, plus coquine, dans un déshabillé de soie, celui que j’ôte parfois dans nos jeux charnels.

Dessous de dentelle, porte-jarretelles et talons aiguilles quand elle est juste sublime.

Bien trop belle, bien trop femme.

Je l’aime.

C’est pas l’amour qui s’érode qui nous a séparés.

Ce n’est que moi et ma connerie de fierté mal placée.

***

— Alors, bouffon, t’es prêt à te taper la honte de ta vie ?

— C’est toi qui vas te ramasser, Vin’s. Parce que moi, je suis un winner, un vrai. Et j’ai trois cents chevaux sous le capot de mon Impreza.

— Ouais, mais y’a pas que la bagnole qui compte. Surtout quand on sera dans les lacets de Corcelles.

— C’est toi qui vas mordre la poussière, man, je te le garantis…

***

Mon frère est là aussi.

Il soutient ma mère.

L’archétype du premier de la classe devant le caveau familial.

Je voulais pas finir comme lui : une bourgeoise, deux gosses, un chien et une bicoque dans une cité dortoir, qu’on relie chaque soir à bord d’un monospace diesel aussi apathique qu’une vieille 504 Peugeot carburant au mazout.

Je voulais pas finir comme lui, je voulais pas l’écouter…

***

— Cédric, j’ai pas de conseils à te donner mais…

— Ouais, ben justement, si t’as pas de conseils à me donner, tu te la fermes ! Je suis majeur alors je fais ce que je veux, c’est clair ?

— Cédric, écoute…

— Putain, Serge, tu fais chier à la fin, merde ! Occupe-toi de tes mioches et lâche-moi un peu, tu veux ? T’es pas mon père…

***

Ce sont les gendarmes qui ont prévenu ma mère, en pleine nuit.

On a dû l’hospitaliser.

Et puis, on a contacté Serge à Bordeaux.

Il a laissé sa femme, ses minots pour venir s’occuper de maman, des formalités.

Karine était inquiète.

Je n’avais pas donné signe de vie depuis la veille, et pour cause.

C’est mon frère qui lui a ouvert.

Il venait à peine d’arriver.

***

— Salut Karine.

— Serge ? Qu’est-ce que tu fous là ? T’es pas à Bordeaux ?

— Viens, on sera mieux à l’intérieur…

— Cédric n’est pas rentré ? J’ai pas vu la Sub’ dehors…

— Il… Assieds-toi Karine. S’il te plaît.

— J’ai pas envie de m’asseoir ! Il est où Cédric ?

— Il a eu un accident, cette nuit, dans les lacets de Corcelles. Une sortie de route. D’après ce que j’ai compris, il faisait la course avec Vincent Thévenot, tu sais, le fils du maraîcher de Saint-Georges… Et il l’aurait envoyé dans le décor alors que Cédric était en train de le dépasser, dans le virage de La Puya.

— Mais il va bien ? Dis-moi qu’il va bien ! Qu’il n’y a que cette satanée bagnole qui a morflé ! Dis-le moi, Serge ! Dis-le moi…

***

Karine s’est effondrée dans les bras de mon frère.

Elle voulait pas y croire.

Pourtant, Serge aussi pleurait…


Ma mère ne s’en remettra pas.

J’étais le fils préféré.

Celui qui faisait le plus de conneries, une vraie tête brûlée.

Celui pour lequel elle s’inquiétait le plus.

Elle n’avait pas à s’inquiéter pour Serge, c’était le plus sérieux, le plus raisonnable.

Et quand bien même il tromperait Aurélie avec sa secrétaire, ça n’aurait guère d’incidence sur sa vie.

Au pire un divorce, et encore !

Parce que je suis sûr qu’il s’arrangerait pour se faire pardonner auprès de son épouse en mettant ça sur le compte d’un moment d’égarement.

Je ne lui jetterai jamais la pierre.

Après tout, je ne saurai jamais ce que c’est de partager mon quotidien avec la même personne pendant dix ou quinze ans.

Parce que si ça se trouve, au bout d’un moment on se lasse.


Moi, je n’ai pas eu le temps de me lasser de Karine.

Elle aura mal au début, c’est sûr.

Je vois bien qu’elle cache sa tristesse derrière ses verres solaires.

Mais elle finira par rencontrer quelqu’un, un mec qui lui fera des gosses peut-être…

Et moi, moi je ne serai plus qu’un souvenir.


Ma mère, c’est pas pareil.

Ma mère, elle n’avait que moi.

Mon père est parti il y a longtemps déjà, et puis Serge ne vient que quelques jours par an avec ses marmots qui courent partout dans la baraque.

Et ça, ça la fatigue ma mère, elle comprend pas comment Aurélie fait pour gérer tout ça.


Elle ira en maison de repos, ma mère.

Elle s’en sortira pas toute seule.

Et elle finira par crever… De désespoir.

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