L'échappée belle

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— Thomas ! Que fais-tu ici, dans MA bibliothèque ?

— Je… Je venais juste vous emprunter un livre, ma tante…

— Ne te l’avais-je pas formellement interdit ?

— Si mais…

— Alors repose immédiatement le précieux ouvrage que tu as entre les mains, et file te brosser les dents ! Il est près de 8 heures 25…

— Bien ma tante.

Thomas obéit docilement à Alice et rangea 20 000 lieues sous les mers sur l’étagère en acajou. Puis, il se retira de la pièce sous le regard courroucé de l’acariâtre vieille dame avant de la précéder et qu’elle ne referme la porte à clé, à double tour.

— Allez, dépêche-toi ! Sinon, tu vas encore réveiller ta sœur…

— Babette ? Mais elle dort pas encore, Babette…

— Ah non ? C’est ce qu’on va voir ! ELISABETH-ANNE ! ELISABETH-ANNE ! Et toi, Thomas, n’en profite pas pour rester planter là ou errer dans le couloir ! Allez, file…

A contrecœur, le blondinet remonta les escaliers en traînant des pieds.

— ET PLUS VITE QUE ÇA, JEUNE HOMME ! tonna tante Alice.

Cela faisait six mois que sa sœur et lui vivaient sous son toit. Six mois qu’ils n’en pouvaient plus de sa sévérité. Six mois de trop…

***

— Thomas ? Thomas ? Tu dors ?

— Non, Babette, j’y arrive pas… Et toi ?

— Moi non plus… Je peux venir dans ton lit ?

— Oui, mais alors pas un bruit ! Sinon, tante Alice va encore venir nous sonner les cloches…

La fillette aux longs cheveux blonds et au regard pétillant de malice se leva délicatement pour rejoindre le lit de son grand frère, en prenant bien soin de ne pas faire craquer les lattes du plancher sous chacun de ses pas. Elle avait toutes les peines du monde à contenir un fou-rire.

— Chut !

— Mais, je fais pas exprès ! gloussa-t-elle en s’installant sous les draps.

Elle pouffa dans le coussin de son frère.

— Tu vas voir, petite coquine ! lui dit-il.

S’en suivit une partie de chatouilles durant laquelle les rires fusèrent. Thomas avait beau avoir le double de l’âge de sa sœur, ils n’en restaient pas moins tous deux très complices. Un rai de lumière s’insinuant sous la porte de la chambre troua subitement l’obscurité.

— Chut ! On va se faire engueuler…

Une chasse d’eau qu’on tira, une lumière qu’on éteignit. Puis plus rien.

— Ouf, c’était moins une !

— Dis, Thomas, quand est-ce qu’on va rentrer chez maman ?

— Tu sais bien qu’on peut pas y retourner pour l’instant… Maman est très malade.

— Moi, je veux pas rester ici, parce que tante Alice, elle est trop méchante ! J’ai même pas le droit de dormir avec Marmitton et Parsiflore !

— Et ils sont où, Marmitton et Parsiflore ?

— Tout en haut de l’armoire…

— Attends, j’allume…

Le blondinet bondit hors de son antre et tira la chaise du bureau pour grimper dessus afin de récupérer les deux doudous de la fillette.

— Tiens…

— Merci Thomas. T’es trop génial…

— Ce qui serait trop génial, c’est qu’on se tire d’ici.

— Mais comment ?

— T’inquiète, j’ai mon idée… Habille-toi vite, enfile un truc bien chaud, suggèra-t-il en ôtant son pyjama.

— On part ce soir ?

— Oui. Tu prépares quelques affaires et moi je vais chercher des provisions à la cuisine…

— Oh oui, prends des Chocos BN ! J’aime bien les Chocos BN…

Une fois vêtu, il poursuivit avant de s’éclipser :

— Et tu t’encombres pas de trucs inutiles, OK ? Je reviens…

***

— Ça y est, Thomas, t’as trouvé les Chocos BN ?

— Oui, Babette, plein de Chocos BN, mais tu ne te gaves pas avant de partir, sinon, tu vas vouloir aller au petit coin toutes les cinq minutes… Et ça, ça sera pas possible !

— Mais j’ai faim, moi !

— Deux, pas plus. Après, ce sera notre ration de survie… Bon, t’as préparé ton sac ?

— Oui, là.

— Babette, c’est quoi tout ça ? Je t’avais dit le strict minimum !

— Ben il faut des tas de choses pour Marmitton et Parsiflore, tu sais… Il leur faut des vêtements de rechange, des couches, des produits pour faire leur toilette, des petits pots, du lait…

— Stop ! On peut pas emmener tout ça. Déjà que je voulais faire un sac pour deux…

— Tu veux pas que j’emmène Marmitton et Parsiflore ? chouina la fillette.

— Si… Si, Marmitton et Parsiflore vont venir avec nous. Mais ils doivent faire des efforts aussi, pour pas trop se charger, tu vois ?

Babette acquiesça de la tête.

— Ce gros gourmand de Marmitton n’a pas besoin d’emmener autant de nourriture ! Moi, je propose qu’on partage nos Chocos BN et nos Oasis avec eux. Qu’est-ce que t’en dis ?

— Je suis d’accord. Marmitton, tu es trop gros ! Un petit régime ne te fera pas de mal…

— Et puis, dans les films où les héros s’évadent, on les voit jamais se laver. On prendra tous un bon bain une fois arrivés chez maman…

— Ouais ! Ça c’est une chouette idée…

— Et on demandera à maman de leur racheter des habits, et puis voilà…

A force de négociations avec sa sœur, Thomas réussit à alléger considérablement le sac Dora l’Exploratrice qu’il allait devoir porter, et même à y entasser le minuscule Parsiflore. Puis, ils sortirent de leur chambre sur la pointe des pieds pour rejoindre le cellier.

— Tu crois que tante Alice dort ?

— A cette heure-ci oui, profondément même ! Si ça se trouve, elle a mis ses boules Quies…

Le blondinet déverrouilla la porte qui menait au jardin avec la grosse clé qui était toujours figée dans la vieille serrure ouvragée, puis ils traversèrent le potager, ouvrirent le portillon et se retrouvèrent enfin de l’autre côté de la grille, libres.

De longues heures de marche étaient nécessaires avant d’atteindre le bourg de Saint-Paul, là où s’arrêtait le car pour aller à Grand-Ville. De très longues heures pour de petites jambes…

— C’est encore loin ? Je suis fatiguée moi !

— Babette, on vient à peine de quitter la maison… Allez, viens sur mes épaules…

Thomas s’accroupit afin de faire grimper sa sœur sur son dos, au-dessus du sac qui l’encombrait déjà.

***

Le bourg de Saint-Paul, à peine éclairé par quelques timides lampadaires. L’arrêt du car, 2 heures du matin. Babette s’endormit emmitouflée dans le blouson de son frère. Allongée sur le banc, sa tête reposait sur les genoux de Thomas. Il lui caressa les cheveux, pensif. Quarante euros suffiraient-ils pour le voyage ? De longues heures encore à attendre…

***

5 heures 30. Le car à destination de Grand-Ville s’arrêta, ouvrit ses portes. Le blondinet réveilla sa sœur et ils montèrent tous deux dans le véhicule.

— Bonjour petit, lança le chauffeur avec un sourire affable. Vous me paraissez bien jeunes pour prendre le car tous seuls, ta sœur et toi !

— Je fais plus jeune que mon âge, répondit Thomas avec aplomb. Et puis, c’est un cas de force majeure. Notre père est très malade…

Babette tira violemment sur la manche de son frère pour lui chuchoter à l’oreille :

— Mais tu sais bien qu’on n’a pas de papa !

— Chut ! gronda le blondinet en se dégageant de l’emprise de la fillette. Deux places pour Grand-Ville, s’il vous plaît.

Le chauffeur n’était pas dupe, mais il offrit les deux places aux enfants sans rien demander de plus. Ceux-ci s’installèrent sur les sièges situés au milieu du car et ne tardèrent pas à y finir leur nuit.

***

7 heures 30. Gare de Grand-Ville. Les lumières de la cité l’illuminaient encore pour un moment. Les gens s’affairaient déjà.

— Terminus, les minots ! Tout le monde descend !

La fillette, blottie contre Marmitton et Thomas, s’éveilla et secoua ce dernier. Ils se levèrent, allèrent saluer le chauffeur lorsque celui-ci s’adressa à eux :

— Comme je suis en avance sur l’horaire, j’ai un peu de temps devant moi. Ça vous dirait d’aller prendre un bon chocolat chaud à la Brasserie du Nord ?

— C’est gentil à vous, M’sieur, rétorqua le blondinet, mais notre maman nous a toujours défendu d’accepter les invitations d’inconnus…

— Et elle a tout à fait raison ! T’es un bon garçon, mon gars, ta sœur a de la chance de pouvoir ainsi compter sur toi pour vous protéger…

— Mais moi j’en ai vachement envie, d’un chocolat chaud !

— Babette…

— Ben quoi, c’est vrai, à la fin !

— Babette, on n’a pas le droit…

— Mais c’est pas un inconnu, c’est le chauffeur du car ! Je te rappelle qu’on n’avait pas le droit non plus de s’enfuir de chez tante Alice, et qu’on l’a fait quand même…

— Babette !

— Oups !

— C’est rien les enfants… Je me doutais bien que votre histoire, c’était du baratin. Mais je dirai rien. Ton frère est un sacré bonhomme, petite. Tu peux être fière de lui. Tant qu’il t’accompagnera, il ne t’arrivera rien.

— M’sieur ? Je peux vous demander quelque chose ?

— Tout ce que tu veux mon grand…

— C’est quel bus qu’il faut prendre pour aller à la cité des Mimosas ?

— Le numéro 8. Il faut descendre au dernier arrêt.

Les deux enfants se dirigèrent vers la sortie et avant de quitter totalement le véhicule, Thomas se retourna une dernière fois vers le chauffeur :

— Merci, M’sieur. Pour tout.

— De rien, bonhomme. Prends bien soin de ta sœur, et faites bonne route.

Le blondinet salua l’homme d’un signe de la main et finit par se fondre dans le froid et la pluie.

***

8 heures 30. Dégoulinants d’humidité, Babette et Thomas étaient au pied du bâtiment dans lequel ils vivaient encore six mois plutôt.

— Thomas ?

— Quoi ?

— J’ai froid… grelotta la fillette.

Le blondinet la frictionna un peu pour tenter de la réchauffer.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? pleurnicha-t-elle.

— On attend.

— On attend quoi ?

— Qu’un adulte sorte de l’immeuble, comme ça, ni vu ni connu, on se faufile…

— Ouais ! sourit enfin Babette. T’es le meilleur des grands frères !

Un homme finit par ouvrir la porte pour promener son chien. Les enfants le saluèrent poliment avant de s’engouffrer dans la brèche.

— T’as vu, c’était fastoche ! Maintenant, direction le deuxième étage…

— Dis Thomas, on peut pas prendre l’ascenseur ? Marmitton est épuisé par le voyage…

— L’ascenseur est toujours en panne ! T’as oublié ?

Babette soupira, son frère l’entraîna dans la cage d’escalier. Ils se retrouvèrent devant leur appartement, la porte grande ouverte. Une grosse dame d’âge mûr s’échinait à y passer l’aspirateur. Elle s’interrompit en apercevant les mômes.

— Vous êtes qui ? l’apostropha Babette. Et puis elle est où notre maman ?

La dame coupa l’engin vrombissant. Thomas se doutait qu’il était arrivé quelque chose. Instinctivement, il serra sa sœur contre lui.

— Viens Babette, on s’est trompé d’appartement, c’est pas chez nous ici. Il faut qu’on rentre, tante Alice va se faire du souci…

— Je veux pas retourner chez tante Alice, je vois bien que c’est chez nous ici, je reconnais les meubles.

Les larmes affluaient.

— On s’est pas trompé, Thomas. Dis-moi où elle est, maman !

Les sanglots de la petite redoublaient d’intensité. La concierge s’approcha, s’accroupit pour les prendre dans ses bras.

— Mes pauvres enfants, c’est arrivé si vite, si vite…

Thomas pleurait en silence, à l’intérieur. Il n’y avait que la brillance de ses yeux qui le trahissait. Parce qu’il n’avait pas le droit d’être triste, pas le droit de le montrer, surtout pas à sa sœur. Parce qu’il endossait désormais le rôle de chef de famille, parce qu’elle n’avait plus que lui.

— Viens Babette, on s’en va.

— Où allez-vous les enfants ?

— On retourne chez tante Alice. Tu verras, Babette, on y sera bien, on s’y fera…

— Je veux pas aller chez tante Alice, je veux ma maman… MAMAN ! MAMAN ! JE VEUX VOIR MA MAMAAAAN !

Marmitton s’imbibait de pluie et de larmes, incapable d’éponger un si grand chagrin. Babette l’abandonna en s’effondrant dans les bras de son frère. Il lui caressa doucement les cheveux, comme leur mère l’aurait fait pour apaiser ses angoisses les nuits de cauchemars.

— Chuuuut ! Tout ira bien maintenant. Tout ira bien…

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