Mary-Ann et la Confrérie de l’Onyx

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A trente-cinq ans, Théo était à la croisée des chemins. Il savait qu’il ne pouvait plus continuer à errer dans cette existence mesquine, étroite, sans but. Il avait décidé de laisser parler ses aspirations mystiques salvatrices pour s’extraire au plus vite, définitivement, de toutes ces futiles considérations matérialistes si nuisibles. C’était une question de survie mentale que de s’ouvrir à la spiritualité.

Mary-Ann, jeune ingénue au teint diaphane et au regard émeraude délavé, avait provoqué le déclic. Elle l’avait, selon ses propres termes, " réveillé de ce sommeil abyssal qui le maintenait éloigné de l’essence même du destin de l’humanité ". Dans le cadre de son travail, le discret plumitif côtoyait depuis plusieurs mois cette ambassadrice de la Confrérie de l’Onyx, une association clandestine créée dans l’ombre de la permissive Loi 1901. Ce courant de pensée parallèle prônait le postulat que l’élévation de l’âme passait par la négligence de l’enveloppe charnelle, si oppressante, source d’avilissement et des pires tentations.

L’attentive et altruiste collègue de bureau qu’elle feignait d’être avait remarqué ces derniers temps l’immense détresse qui accaparait peu à peu Théo. Elle avait réussi à se rapprocher de lui, à gagner son amitié, à le persuader qu’un monde meilleur l’attendait ailleurs et qu’il fallait s’y préparer. L’aspect événementiel que revêtait la cérémonie d’intronisation du candide récipiendaire au sein de l’éminente Confrérie ne souffrait pas la moindre approximation.

A la suite d’un jeûne de douze heures, Théo devait marcher les pieds nus sur le sol gelé de la grande forêt domaniale qui abritait l’entrée de la grotte secrète, Le Sanctuaire Onyxien. Drapé dans une tunique de lin noir et tremblant de froid, le novice ne disposait que d’un parchemin et d’une antique boussole pour trouver son salut. Après deux heures passées à arpenter les sous-bois sur ce chemin de croix, les engelures meurtrissant ses membres, la découverte de la sombre cavité résonnait comme un exutoire. Il s’y aventura. La pénombre ne s’estompait que sous la faible lueur des torches plantées dans les murs rocheux qui longeaient ce couloir sans fin. Des odeurs nauséabondes incommodaient le visiteur. Ça sentait le purin, ça puait la décrépitude, la vieille pisse croupie depuis la nuit des temps, les défécations animales au point de dégoûter le plus fervent des zoophiles, ça schlinguait la gerbe, et la mort aussi…

Théo continua malgré tout à s’enfoncer dans l’obscurité. Son parcours sinueux déboucha sur une immense pièce voûtée. De part et d’autre de ce qui devait être l’autel, deux enfilades de bancs d’église se faisaient face. Un messager capuchonné s’avança vers l’hôte de la Confrérie, sous les grivoiseries de ses pairs. Ils portaient tous la même tenue uniforme, une grande cape noire en toile de jute, surmontée d’une capuche qui masquait une partie de leur identité. Théo remis un paquet enroulé dans du papier craft au messager, qui disparut aussitôt derrière une porte dérobée. Le novice s’avança dans la travée centrale sous les regards de ceux qui allaient devenir ses frères. Un clavecin s’anima sous les doigts agiles d’un fidèle, annonçant l’arrivée de La Grande Prêtresse. Elle fit son entrée, simplement enveloppée dans une cape de satin rouge sang. Le novice eut du mal à reconnaître Mary-Ann, ses traits étaient tellement plus durs, soulignés par un maquillage outrancier. Un lourd diadème d’argent et d’onyx surmontait sa filasse chevelure trop claire. Sa voix prit des accents graves, solennels. Elle ordonna aux exécutants de ligoter celui qui allait être des leurs. La Grande Prêtresse tomba la cape, dévoilant ainsi sa complète nudité, et s’approcha du récipiendaire. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour poser ses lèvres écarlates sur celles de Théo. Mary-Ann était le serpent et la pomme, tout ce qui avait jadis condamné le jardin d’Eden. Elle porta à la bouche du jeune homme une fiole contenant un poison quasi instantané.

— Bois, et ton âme sera libérée de ses chaînes tentatrices.

Un chant gaélique aux relents sataniques s’éleva dans l’assemblée à mesure que le liquide saumâtre s’écoulait dans la gorge du nouveau Confrère. Théo suffoqua soudainement, comme s’il était atteint du syndrome d’Ondine. Un kaléidoscope de lumière dansait devant lui, puis plus rien. Le vide, le néant éternel. Les exécutants détachèrent le corps inerte et l’allongèrent à l’intérieur du cercueil posé sur le catafalque. Puis on embrasa sa dernière demeure pendant que deux fidèles tendaient sa cape à La Grande Prêtresse. Elle s’en retourna vers ses appartements, mais au détour d’une galerie, elle fut interpellée par son aïeul.

— Choisis mieux ta prochaine victime, ma petite-fille, celle-ci ne valait pas grand-chose…

— N’aie crainte, Patriarche, celle-ci devrait remplir toutes les conditions requises pour l’élévation de nos âmes…

Un rictus démoniaque déforma le visage juvénile de la jolie blonde. Et elle s’évapora dans des volutes fantomatiques.

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