05 - Un intérêt pour les plantes

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13e jour de la saison du sapin 2440 - PDV Azéna


Depuis sa rencontre avec Fayne, Azéna se sentait beaucoup plus motivée à apprendre, à explorer et à découvrir. Elle se faufilait souvent hors de chez elle durant la brève période de temps où il n'y avait pas de garde à l'entrée. Heureusement pour la négligence du remplaçant de Kardun. La fillette gagnait de la confiance rapidement et prenait des habitudes caractéristiques des roturiers. Elle passait beaucoup de temps à la Corne Blanche. Malgré les plaintes des clients qui n'aimaient pas l'avoir dans les parages, elle ne se faisait pas expulser. Les parents de Fayne étaient très chaleureux et ne jugeaient pas ce qui était rarissime dans la basse-société comme celle de la haute-société. Ses parents à elle n'étaient aucunement ravis de ses mésaventures. Elle avait été punie à multiples reprises. Éventuellement, elle lança son premier juron en leur présence et elle s'était mérité une sentence ferme : être enfermée dans sa chambre pour quelques longues journées pénibles. Enfin, elle était libre et en ce moment, elle courrait le long d'un corridor du vaste château dans lequel elle vivait.


— C'est impossible ! beugla Bayrne.


La voix puissante de son père adoptif provenait d'une petite salle de conférence qui se trouvait près de la petite rebelle qui se préparait pour une nouvelle fuite. Intriguée, elle décida de s'arrêter juste avant la porte pour ne pas se faire repérer. Biscuit à l'avoine dans la bouche, elle avala sa salive et ralentit sa respiration pour qu’on ne l’entende pas.


— Je suis désolé monseigneur, dit un deuxième homme.


Celui-ci semblait beaucoup plus anxieux ; sa voix tremblait presque de peur.


— En êtes-vous certain ? demanda le seigneur sèchement.


— Cela fait maintenant quatre années et cinq pertes monseigneur... Votre femme est chanceuse d'être vivante.


— D-donc...


— Tria est notre dernière, termina tristement Rivatha pour son époux.


Azéna compris enfin. Ses parents essayaient encore une fois d'agrandir leur famille, mais sa mère en était incapable. C'était donc ça... À quelques reprises durant les dernières années, elle était subitement tombée malade. Dans le fond, elle était sûrement entrain de lutter pour sa vie et celle de son enfant à naître. Ce n'était pas du tout une maladie.


— Ne vous inquiétez pas pour votre dynastie monseigneur, rassura le deuxième homme qu'Azéna devinait qui devait être un docteur. Vous avez amplement d'enfants.


Dynastie ? La petite espionne ne comprenait pas ce mot. Mal à l'aise d'espionner une telle discussion, elle fit volte-face et emprunta un chemin plus long pour se rendre à la bibliothèque où Gendrel l'attendait.


Cette salle était si immense qu'il y avait un escalier à roulettes aux quelques mètres pour permettre aux lecteurs d'atteindre les livres nichés dans les rangées les plus hautes. On y aurait pu littéralement accueillir un dragon adulte confortablement. C'était un véritable labyrinthe de textes et d'histoires, fictives comme réalistes.


— On s'était entendu pour ne plus remettre les pieds ici sauf si c'était absolument nécessaire, non ? rappela Gendrel sur un ton inquisiteur.


Il n'était pas idiot ; il savait que sa sœur avait une idée derrière la tête. Les deux détestaient la lecture et durant leurs leçons, ils essayaient toujours se faire perdre la raison à leur mentor rien que pour échapper à cette torture. Évidemment, ça ne fonctionnait que très rarement car ce dernier préférait affronter des diablotins que la colère d'un seigneur suzerain.


— C'est nécessaire, confirma Azéna, la mine déterminée.


— Est-ce que tu prépares le mauvais coup de l'année ? demanda le garçon en s'élançant dans la bibliothèque.


— Même pas, répliqua la fillette en le suivant de près. En fait, c'est pour venir en aide à une amie.


— Donc le plan d'action est que je t'aide à trouver un livre intéressant ce qui est déjà quasi-impossible et qu'on le passe en contrebande ?


— Contrebande est un bien grand mot, mais oui.


— Allons-y ! s'exclama Gendrel avec énergie.


Pas plus de questions que ça. C'était merveilleux. Lorsqu'Azéna avait besoin d'un complice, elle pouvait toujours compter sur son presque-jumeau. Il fallait faire vite. Il était interdit de sortir des livres de cette pièce sauf avec une permission spéciale, encore moins de les emporter dehors. Le savoir que contenait ses livres étaient réservés à la famille et à ses invités. On pouvait en apprendre beaucoup dans leurs pages et c'était d'ailleurs ici qu'Argent passait son temps si elle n'était pas en train d'apprendre ou de s'entraîner en secret avec Demien. Heureusement, elle n'y était pas à cet instant. Elle était en train de pratiquer la couture avec Serfie. Une autre matière qu'Azéna détestait.


— Hé ! Qu'est-ce que vous faites là ? Vous n'avez pas de leçon aujourd'hui.


C'était la voix grave d'Arlien, le scribe de la famille. Il était strict, connaissait les habitudes des enfants et n'hésiterai pas à reporter leurs actions à Bayrne.


— Prend ce que tu peux ! hurla Azéna à son frère. N'importe quoi !


De son côté, elle fit de même ; elle s'empara d'un livre moyennement épais au hasard. Elle n'avait plus le temps d'être difficile. Qu'importe ! Tant que ces pages avaient du texte, c'était suffisant pour apprendre à Fayne comment lire.


Arlien, un homme au physique des plus ordinaire, portait sa robe habituelle et se promenait nu pieds. Il était étrange comme personnage et il était dans le chemin.


— Laissez ces livres derrière, chenapans ! ordonna-t-il en allongeant une main droite devant lui comme s'il pensait que ce geste allait miraculeusement arrêté les deux voleurs amateurs.


Gendrel éclata de rire dans sa course, fermant momentanément les yeux et cela créa une ouverture pour Arlien. L'adulte agrippa le garçon insouciant par le bras et tenta de faire de même pour Azéna, mais cette-dernière fut trop rapide pour lui. Elle l'évita avec aise en effectuant un bond vers la droite. Elle atterrit à quelques centimètres du mur et continua sa course vers la sortie de la bibliothèque.


— La perfection ! beugla Gendrel avec encouragement. Cela ne m'étonne pas de toi, sœur. Bonne chance, pas que tu en as besoin ! Oh ! Ne t'inquiète pas pour moi. Je coulerais avec honneur avec notre bateau de pirates !


Azéna jeta un regard amusé en direction de son frère. C'était tout lui ça ; une imagination fertile et une attitude nonchalante en permanence.


— Reviens ici ! hurla le scribe, le visage empourpré par la rage. Ton père en entendra parler !


La gamine lui offrit une grimace provocatrice, tirant sa langue et disparut dans le couloir menant à l'entrée principale.


Une fois à l'extérieur des murs de sa demeure, Azéna se retrouva au cœur du centre-ville, là où les roturiers passaient leur temps. Elle savait où Fayne était : soit chez elle, soit à la taverne de ses parents. Elle choisit de vérifier chez son amie en premier lieu. Elle y arriva et personne n'y était. Elle s'élança donc en direction de la Corne Blanche qui se trouvait à quelques lieues.


Encore un petit peu plus loin... Trop concentrée sur ce qui se trouvait devant elle, elle accrocha un gamin d'environs douze ans qui était encore plus grand que Sérus. Celui-ci craqua ses jointures alors qu'il se releva.


— Sale fille, qu'est-ce qui te prend à -


Il s'arrêta, ses traits faciaux s'adoucissant en l'espace d'un instant. Il figea, les yeux complètement hypnotisés par la chevelure d'Azéna qui dansait majestueusement dans la brise froide.


— J-je je...


Azéna savait ce qui allait finir par sortir de sa bouche. Le même feu s'éveilla en elle ; cette vague de chaleur qui devenait de plus en plus familière. Elle serra les poings instinctivement, sans même y réfléchir. Puis vint la vision séduisante d'elle qui frappait son harceleur.


Les yeux du garçon s'écarquillèrent comme s'il avait vu dans les pensées d'Azéna.


— MAUDITE SORCIÈRE ! se déchaîna-t-il.


Il devait s'attendre à ce que son insulte intimide la fillette, mais l'effet voulu ne se manifesta pas. Au contraire, la fillette demeura dans le même état, engouffrée par sa rage. Elle n'avait pas encore bougé, ses dents et ses poings ne faisaient que se resserrer encore et encore plus. Enfin, un petit grognement trahit ses sentiments et elle leva le regard vers lui.


— Je ne me laisserais plus abattre ni abuser par personne... Personne... Pas toi, ni mon frère, ni mon père ni aucune âme sur Aerinda. Personne ! Alors sors de mon champ de vision si tu ne veux pas provoquer ma colère.


Le garçon ne répliqua même pas ; il prit ses jambes à son cou et disparut dans une ruelle douteuse. Il avait plus peur d'une enfant que des criminels... Les muscles d'Azéna se détendirent, mais le battement de son cœur était toujours frénétique. Elle se sentait à la fois comblée et prise d'une folie. Qu'est-ce qu'était ce nouveau sentiment ?


Elle observa ses mains tremblantes pendant un long moment en ne songeant à que du vide, à la noirceur totale.


Lorsqu'elle détourna son attention au ciel serein, elle se questionna encore une fois sur sa santé mentale en imaginant un monstre en cage au fin fond de son subconscient.


— Je ne suis pas un monstre, se dit-elle en poursuivant son chemin vers la taverne des Litfow. Après tout, chaque humain est affligé par des désirs occasionnels de tuer. Cela ne signifie aucunement qu’ils vont s'y soumettre.


Une fois arrivée, elle tint le livre derrière elle dans une tentative de le garder dissimulé. Elle pénétra dans la Corne Blanche et se retrouva face à face avec une multitude de clients dont la plupart étaient ivres, mais tous semblaient joyeux. L'un des hommes de la table la plus au centre venait de se lever et ramasser l'une des jeunes femmes comme un sac de patates et beugla. Son cri fut suivi de plusieurs autres qui semblaient approuvés son geste. Personnellement, Azéna n'y voyait pas le but ni l'intérêt, même qu'elle trouvait cela un peu stupide.


— Ah, mais qui-vois je ? questionna la voix familière de Fayne.


La brunette s'approcha du côté droit, un balai en mains et un petit sourire aux lèvres.


— Tu t'es encore échappée pour venir me voir, grogna-t-elle malgré son bonheur qu'elle ne réussissait pas à dissimuler. Tes parents vont te prendre bientôt !


— Qu'ils essaient ! défia la plus jeune. Personne n'est plus rapide que moi !


La paysanne poussa un rire gêné et attendit. Pendant un moment, aucune des deux ne prononça le moindre mot. Ce jusqu'à ce qu'Azéna se décide enfin de briser le silence :


— C'était ton anniversaire... Je suis très en retard, mais...


Dans un mouvement maladroit et nerveux, elle dévoila le livre et l'offrit à son amie.


— C'est pas vrai ! s'exclama Fayne en poussant un cri de surprise. Tu n'as pas... ?


C'est la question dont Azéna craignait le plus depuis le début. Elle roula les yeux et pinça les lèvres, inconfortable à devoir y répondre.


— Si je l'ai emprunté de la bibliothèque de la famille, murmura-t-elle en évitant le regard de son interlocutrice.


— Je t'avais dit de ne pas le faire, ricana Fayne. Têtue comme une roche. Ouaip... Tu vas bel et bien te faire pendre par le cou, mais merci beaucoup !


Elle empoigna le livre et le fixa avec des yeux pleins d'espoir et d'émerveillement. C'était comme un trésor pour elle.


— Tu sais que mon anniversaire était le huitième jour de la saison de la faux, pas vrai ? C'est trois saisons passées. On ne se connaissait même pas. Tu n'avais pas besoin de m'offrir un cadeau ! C'est trop aimable de ta part ! Merci encore !


Elle enlaça tendrement Azéna sous les yeux inquiets de quelques clients. Malgré leur comportement inapproprié, la Kindirah ne se laissa pas déranger par eux. Ce moment était bien plus important qu'eux. Elle avait une amie, une vraie. Ce n'était pas une amitié commode formée par les liens familiaux. C'était le premier lien qu'elle s'était tissé en dehors de la noblesse, en toute liberté. Elle se sentait un peu plus solide sur ses pattes et un peu moins isolée dans ce monde.


Fayne la lâcha et leva le livre à la hauteur de ses yeux pour examiner la couverture. Dessus cette-dernière, il y avait une aspérule blanche sur un fond en cuir foncé.


— Est-ce un livre à propos de l'historique de Daigorn ? Son emblème est une aspérule blanche, pas vrai ?


— C'est bien deviné, mais non, répliqua Azéna sur un ton espiègle. En fait, c'est une encyclopédie sur les plantes de Daigorn.


Elle réalisa soudainement à quel point ce livre était le pire des sujets qu'elle aurait pu tomber dessus, tellement ennuyant. De la sueur perla sur son front et elle ricana nerveusement, les lèvres tremblantes. Elle se gratta le derrière de la tête comme elle ne pouvait s'empêcher de faire lorsqu'elle se sentait anxieuse.


— Désolé... Le temps me manquait...


***


Quelques jours passèrent et déjà Azéna avait appris les bases de la lecture à Fayne.


— Mais c'est incroyable ! s'exclama-telle. J'étais à ton niveau après des saisons d'apprentissage.


Fayne feuilletait l'encyclopédie écrite à la main, absorbant chaque mot et chaque dessin avec une lueur dans ses yeux. Son amie n'était même pas certaine si elle l'avait entendu et ça importait peu. Elle était fière d'elle-même et de la paysanne. C'était un exploit pour elle et une chance rare pour la brunette. Si elles ne s'étaient pas connues, Fayne n'aurait jamais appris à lire.


— Tu sais... Je crois que j'aimerai devenir herboriste, déclara Fayne presque dans un murmure.


— Tu es intelligente. Tu pourrais y arriver sans problème, encouragea Azéna.


— Toi... Étant noble et tout... Tu comptes devenir quoi ? As-tu un plan ?


Azéna poussa un long soupire, songeant à son futur qui n'était rien de ce qu'elle désirait. Elle allait sûrement être forcée à devenir une femme au foyer en même temps qu'une dame de noblesse, être mariée en échange d'une somme d'argent, donner naissance et... et... le plus répugnant était qu'elle allait devoir obéir et donner un amour forcé à un homme qui allait être un étranger. Ce n'était pas ce qu'elle désirait répondre à la question de Fayne, mais c'était inévitablement ce qu’elle allait devenir. Elle choisit de l'ignorer pour le moment. Il lui restait encore du temps pour trouver une solution. Elle était encore très jeune.


— J'aimerai... être une guerrière... de n’importe quelle sorte... Tu sais, défendre les faibles et donner une leçon à ceux qui me font chier, termina-t-elle sur une note agressive.


Fayne poussa un petit rire amusé.


— Je ne m'attendais pas à ça honnêtement, mais quand j'y pense, ça t'irait bien.


Elle garda le silence pour un moment, observant son amie qui était devenue rouge d'embarras.


— De toute façon, tu es vraiment nulle en littérature, continua-t-elle. Tu oublies des notions de bases... Je m'en suis rendu compte... Et tu ne fais pas très noble.


La Kindirah cligna des yeux, légèrement confuse.


— Je ne fais pas très noble ?


— Ton attitude et tes aspirations, expliqua la Litfow avec un sourire sincère. On dirait un garçon.


— Eh ? T-tu crois ?


— Encore une fois, en voilà la preuve.


— Comment ça ?


— Tu commences déjà à t'exprimer dans notre dialecte. Ce n'est pas difficile de te convertir, rigola la brunette. Un noble de ne laisserait jamais tenter de la sorte.


— Pfft, grogna Azéna en se croisant les bras et en affichant une expression bougonne. J-j'essai tout simplement de m'adapter à vous, mentit-elle.


En réalité, elle était en train de tomber amoureuse de la famille Litfow et de leur vision si décontractée de la vie malgré leurs difficultés, mais ça bien sûr, elle n'allait certainement pas l'avouer.

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