02 - Parenté de sang

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3e jour de la saison du marteau 2439

C'était enfin la saison des nobles chevaliers, des magnifiques duels et des guerriers au caractère en furie ! C'était le temps préféré de l'année de la petite Azéna qui rêvait secrètement d'en faire partie. Elle s'observait dans le miroir les matins et soupirait, insatisfaite de son physique frêle et sa modeste stature. Puis, venait le moment de se vêtir et chaque fois, cela virait en un véritable combat. Serfie, une jeune servante de quinze ans tenait une robe mauve dans ses bras et la menaçait avec une expression lassée.

— Allez... Ta mère m'a dit que tu devais la porter aujourd'hui... Je n'ai pas envie de me quereller avec toi.

— Non ! Je veux aller jouer dehors avec Gendrel ! beugla la fillette de six ans.

Une saison à la suite de l'apparition de la mystérieuse d'Azéna, son petit frère Gendrel vu son premier jour. Depuis, on apercevait rarement l'un sans l'autre. Les gens mal-informés pensaient fréquemment qu'ils étaient jumeaux, mais qu'Azéna était atteinte d'une maladie ou d'une malédiction quelconque en cause de sa chevelure argentée. Elle se faisait souvent traiter comme l'avorton de la famille ; un comportement encouragé par son grand-père qui ne la portait pas dans son cœur. Ce dernier, décédé il y avait quelques jours, reposait dans le cimetière royal. Bon débarras, mais ça, Azéna ne pouvait pas l'exprimer sinon elle allait se faire gronder comme la première fois qu'elle l'avait fait.

— C'est pour le festin de ton papa, expliqua Serfie en souriant. Il a été élu suzerain du royaume, tu comprends ? C'est important de bien paraître. Tu dois rester à l'intérieur aujourd'hui.

Azéna cligna des yeux, incertaine de saisir, mais elle savait que de devenir suzerain était important et que son père possédait maintenant beaucoup de pouvoir. Le pouvoir avait toujours été synonyme de méchanceté pour elle. Étant jeune et petite, son physique limitait sa force. Il n'y avait que peu de gens moins solides qu'elle. Ainsi, elle devait constamment s'entourer de plus gros prédateurs pour la protéger, car il était commun qu'on s'en prenne à elle. En cause de ces expériences malheureuses, elle craignait pour son père. Elle espérait qu'il n'allait pas changer.

— Qui voudrait de cela ? osa-t-elle demander.

— Je te conseille de ne pas poser de telles questions lors des célébrations, répliqua la servante d'une voix sévère. Maintenant, mets ta robe.

Ce vêtement résonnait rien que du dégoût en la fillette qui fit une grimace. Serfie dut courir après elle en rond dans sa chambre pour enfin la forcer à obéir. Elle reçut un coup de pied au ventre. Encore fortuné qu'Azéna fût une version miniature de l'humain ; ça ne lui avait pas trop fait de mal.

— Soit un peu sage ! Pour ton père pour cet évènement heureux et pour ta mère qui vient de perdre son bébé !

Elle plaqua sa main sur sa bouche, horrifiée par ses propres paroles. De son côté, Azéna essaya de saisir la signification de cette révélation. Elle y réfléchit pendant un instant. Depuis toujours, sa mère refusait de lui expliquer d'où venaient les bébés, réclamant qu'elle fût trop jeune pour comprendre.

— Comment perd-on un bébé, mademoiselle Serfie ?

La brunette à la crinière frisée rougit considérablement et posa ses mains sur ses hanches.

— C'est madame maintenant Azéna. Je suis mariée, corrigea la servante en montrant l'anneau qu'elle portait à l'annulaire. Et... Je crois que tu devrais demander à ta mère à nouveau. Ce n'est pas ma place de t'expliquer cela.

— Rooohh.... Bien madame Serfie, râla la petite, déçue de la réponse.

Elle se laissa enfin habillée, sans oublier de grogner et de ronchonner à chaque moment passant. Lorsqu'elle fut enfin libérée de l'emprise de la nouvelle mariée, cette dernière l'examina de bas en haut en marmonnant des commentaires pour elle-même.

— Je crois que c'est acceptable ! s'exclama-t-elle après un instant. Tu ne penses pas ? Regarde-toi un peu dans la glace.

Azéna s'exécuta et ce qu'elle vit faillit la traumatiser comme chaque fois qu'il y avait une grande occasion au château. Ce soir allait être nullement différent : une opportunité pour compétitionner avec Gendrel. Le but de ce défi : énerver les servantes pour ainsi se retrouver dans sa chambre le plus rapidement possible. La liberté de la rébellion quoi ? La Kindirah tira la langue et immédiatement, elle sentit une paire d'yeux la fusiller.

— Tu vas être sage, n'est-ce pas ? insista Serfie. Je te le répète, ce soir est extrêmement important pour ton père. Aussi, ta mère n'a pas l'énergie pour tes bêtises.

— Gendrel est compétitif, se plaignit la fillette à la longue chevelure pâle.

— C'est à toi à ne pas céder à la tentation. Ne blâme pas ton frère !

Azéna fit la moue, se croisant les bras pour tâcher de convaincre l'adolescente de lui accorder un peu de liberté, mais la brunette ne broncha pas.

Ce fut le cri d'un garçon qui provenait de la fenêtre qui attira l'attention de Serfie. Cette dernière s'approcha et jeta un coup d'œil dehors. Immédiatement, elle poussa un hoquet de surprise et se mit à hurler :

— GENDREL ! NE TIRE PAS DE ROCHES ! NE MARCHE PAS DANS LA BOUE ! TES BEAUX SOULIERS DE SOIRÉES !

Azéna profita de ce moment de distraction pour s'éclipser. Elle s'élança dans le long corridor, emprunta les escaliers et sortit de l'immense demeure par la porte principale. Elle avait l'intention d'aller rejoindre son frère et d'aller jouer, peu importe les conséquences. Une fois là-bas, elle remarqua que Serfie était toujours en train de se quereller avec le tireur de roches. Lorsque la servante aperçut Azéna qui avait déjà taché le bas de sa robe avec de la vase, son visage s'empourpra. Elle lança un mot que la fillette ne comprit pas et fit demi-tour, sûrement pour aller récupérer les deux diablotins.

Vite avant que Serfie arrive ! L'occasion pour déguerpir surgit ! Azéna agrippa son petit frère qu'elle considérait comme son jumeau par la main et s'ensauva. Elle et Gendrel traversèrent le jardin familial dans lequel poussaient de nombreux légumes et quelques fruits. Ils évitèrent quelques travailleurs en chemin. C'était pratiquement un labyrinthe, leur facilitant ainsi la tâche. On avait expliqué à Azéna qu'il fallait prévoir une réserve pour l'hiver et que la conservation de nourriture s'avérait délicate et difficile. Alors, l'entreposage était fermé à clé pour empêcher les voleurs ainsi que les enfants d'y pénétrer. Nos deux chenapans avaient tenté de s'introduire par effraction en vain. Il était impossible de briser des murs de pierre. C'était parfois ce qui se produisait lorsqu'ils s'ennuyaient.

— Où allons-nous, Zézé ? questionna Gendrel.

Zézé était le surnom affectueux qu'il lui donnait et cela contre la volonté de leur père qui réclamait que ce fût inapproprié pour une dame de statue noble. Azéna devait avouer qu'elle ne le portait pas dans son cœur, mais elle s'y était habituée pour faire plaisir à son frère et pour énerver leur père.

— Nous allons partir d'ici, lança-t-elle avec enjouement. Serfie ne nous retrouvera jamais !

Pendant un instant, elle distingua une lueur d'incertitude dans le visage de Gendrel.

— Nous allons nous faire réprimander, mais je te suis !

La fillette adorait son frère pour cela : il ne la décevait jamais. Il était toujours prêt pour une nouvelle aventure.

— Le voilà l'esprit que je chéris ! s'exclama-t-elle.

Ils n'avaient pas la permission de sortir sans une escorte, étant bien trop jeunes et de la famille du seigneur-suzerain. Apparemment que l'extérieur pouvait se montrer bien trop dangereux, mais Azéna faisait confiance aux citoyens de Nothar. Ils démontraient toujours une immense politesse et gentillesse envers les Kindirah lorsqu'ils les rencontraient. Qu'est-ce qui pourrait mal virer ?

Longeant le grillage qui séparait l'enceinte du château et de la ville, ils tournèrent un coin et se retrouvèrent au portail d'entrée. Là, il y avait un soldat équipé d'une lance et d'une armure de mailles. Azéna l'identifia malgré le heaume qui lui dissimulait la grande majorité de son visage. En plus, c'était presque toujours lui qui était posté à cet endroit.

— Laisse-nous partir Kardun ! beugla-t-elle avec confiance.

— Huh ?!? poussa le combattant, pris au dépourvu par les deux gamins qui venaient de lui passer entre les jambes. Att... attendez un instant !

Mais Azéna n'avait pas prévu que le portail soit fermé et elle fut rapidement forcée de s'arrêter. Elle ignora l'adulte et se mit, avec l'aide de Gendrel, à examiner le mécanisme pour ouvrir cette porte gigantesque.

— Il n'en est pas question ! grogna Kardun en agrippant les deux enfants par le collet. Retournez jouer dans l'enceinte sinon, je vais être obligé de prévenir votre père.

Il leur donna une chiquenaude comme punition, les relâcha et les poussa dans le dos.

— Allez, allez ! Décampez !

Azéna, les lèvres pincées, obéit en tournant la tête vers les bâtiments au-delà du portail. Elle se promit d'aller explorer ces nouveaux horizons par elle-même bientôt. Déçue qu'elle n'eût pas pu gouter à la vraie liberté, elle traîna les pieds jusqu'au parc où ils jouaient habituellement. Ce dernier était du côté opposé du château du jardin donc, ils avaient un peu de temps avant que Serfie ne les retrouve.

— Il va falloir formuler un plan, ronchonna l'enfant à la chevelure argentée.

— Un plan pour quoi ? questionna une voix masculine qui provenait de derrière elle et Gendrel.

C'était Sérus, le fils aîné et le chouchou de leur père. Quoi qu'il fît, il était rarement blâmé et encore moins souvent discipliné. Leur père disait qu'il avait le potentiel de devenir le prochain seigneur-suzerain, ce qui le rendait spécial et supérieur à sa fratrie. Enfin, c'était le sous- entendu qu'Azéna avait compris et pour cela, elle ne lui accordait pas complètement sa confiance.

— Ce n'est pas de tes affaires, dit-elle calmement.

— Oh, mais ce l'est, rétorqua le garçon de neuf ans.

Le ton autoritaire qu'il utilisait flattait Azéna du mauvais sens et elle sentit sa patience se dissiper rapidement. Sérus était une tête plus grande qu'elle et il était le portrait craché de leur père : il portait une chevelure ébène épaisse et un physique moyennement robuste. Seulement, la couleur de leurs yeux différait. S'il le désirait, il aurait pu aisément lui donner une raclée. Malgré ce risque, elle n'aimait pas se laisser abattre.

— Raconte-moi, ordonna-t-il sèchement.

Un bref moment passa sans la moindre activité.

— Gendrel va me le dire, pas vrai ? continua le prédateur qui avait maintenant posé son attention sur une proie plus facile.

— Ah... J— je..., balbutia le frère cadet.

— Il ne te dira rien ! rugit Azéna qui ne pouvait plus supporter cette torture mentale. Arrête ! Pourquoi dois-tu toujours te mêler de tout ?

— Tu vas le regretter, siffla Sérus en fermant les poings. Si un autre mot sort de ta bouche, je vais te frapper.

— Fais-le, espèce d'idiot ! Comment vas-tu expliquer mes blessures à père ?

Le visage de Sérus se tordit sous les effets de la rage. Il serra les dents et semblait songer à une réplique. Son silence donna espoir à Azéna qu'elle et Gendrel allaient s'en tirer intacts. De plus, Serfie venait tout juste d'arriver, mais le perdant rancunier ne l'avait pas encore aperçue.

Une fois son sens de sécurité établie, la fillette sentit un large sourire se dessiner sur sa figure. Elle haussa les épaules et pouffa de plus belle.

— Tu te crois drôle, n'est-ce pas ? rétorqua Sérus sur un ton explosif. Bah, je vais te prouver que je suis le maître ici et que tu n'es rien, sale sang mêlé.

— Sang mêlé ? questionna Azéna qui ne saisissait pas le terme.

— Tu ne comprends pas. Qui est l'idiote maintenant ? Je vais te l'expliquer.

— NON SÉRUS ! hurla Serfie, en état de panique.

— Tu es adoptée ! jappa le garçon aux yeux bleus bien fort pour que tous puissent l'entendre aisément. D'ailleurs, c'est moi et mère qui étions les premiers à te défendre lorsque tu n'étais qu'une chose abandonnée, une sans nom, une égarée ! Tu n'as aucun lien de sang avec nous !

— Q... qu... quoi ? hésita Azéna d'une voix tremblante.

Cette fois, elle avait définitivement perdu la bataille. Elle ne savait plus quoi dire, ses pensées étaient désordonnées et elle sentit son estomac se tordre sous le stress.

— Oui ! continua Sérus avec sadisme. Qu'est-ce que...

Serfie dut apercevoir la détresse de la fillette, car elle s'élança vers le garçon et lui plaqua sa main sur la bouche avec force, l'empêchant d'articuler ses mots. Mais c'était déjà trop tard pour Azéna. Son petit cœur était brisé.

— Va voir ton père et explique-lui ce que tu viens de faire, ordonna la blonde en relâchant son interlocuteur. Je vais t'escorter pour m'assurer que tu dis bien la vérité.

— Pfff, ça me va, dit Sérus sur un ton vénéneux.

Azéna ne l'avait jamais vu si agressif. C'était comme si on l'avait possédé, lui qui était normalement un peu arrogant, mais toujours heureux.

— Veux-tu aller voler des biscuits à la cuisine ? proposa Gendrel en murmurant à son oreille. On pourrait faire peur au cuisinier en même temps.

Malgré le choc, sa sœur essuya ses larmes et accepta volontiers. C'était l'une de ses activités préférées. Le cuisinier, généralement aussi nerveux que n'importe quel sujet qui s'adresse à Bayrne pour lui annoncer une mauvaise nouvelle, réagissait sans faute avec extravagance.

— Merci Gendrel.

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