19 Novembre 2017- 18h45

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Brasserie de la Sainte-Croix

J’étais allé au travail en sautillant ce matin là. J’avais salué mes collègues avec un grand sourire et une tape amicale dans le dos. J’avais pris Zoé dans mes bras et je l’avais fait tournoyé dans les airs en la croisant devant la cafeteria de l’hôpital ce midi. J’en n’avais pas sautillé dans mon bloc opératoire, j’aurais pu tuer un patient, mais même concentré sur mes patients, ouvert et à nue sur la table du bloc, une mélodie tournait en fond dans mon esprit : Je vois Gabriel ce soir ! je vois Gabriel ce soir ! Après plusieurs échanges de messages au cours des derniers jours, nous avions enfin trouvé un créneau pour nous retrouver. Comme j’avais été très occuper toute la semaine, Gabriel avait accepté de me rejoindre à une brasserie se trouvant à 500 mètres de mon lieu de travail. Nous avions convenu d’un rendez-vous à 19 heures, mais ne tenant pas en place je m’étais rendu à la brasserie en avance, dès la fin de mon service à 18h30. Je m’étais installé à une table faisant face à la porte et j’avais commandé un jus de tomate, que je sirotais en faisant semblant de regarder le menu, levant les yeux à chaque fois que la porte s’ouvrait.

Gabriel arriva à 18h59. Il passa la porte, et je lui fit un signe de la main. Il me rejoignit en souriant, un peu timide. Il s’assit en me demandant :

_ Tu es là depuis longtemps ?

Ne voulant pas le mettre mal à l’aise avec mon empressement, je répondis avec un haussement d’épaule.

_ Pas trop, tu n’as pas eu de mal à trouver ?

La petite brasserie de la Sainte-Croix, se trouvait dans une toute petite rue et sa clientèle se constituait surtout d’habitué et du personnel de l’hôpital dont elle partageait le nom. Le propriétaire avait été un patient de l’hôpital durant son traitement contre le cancer et avait changé le no, de son établissement après être rentré en récession complète. J’expliquait l’histoire de la brasserie à Gabriel une fois que celui-ci fut installé. Il prit la carte et la parcourut rapidement du regard.

_ Tu as choisi ?

J’avais choisi. Etant un homme d’habitude, je prenais toujours la même chose : Une bavette, sauce aux échalotes avec les frites. Et je recommandais un jus de tomate. Gabriel leva un sourcil interrogateur devant mon choix de boisson mais ne fit aucun commentaire. Il commanda pour lui une papillote de saumon au curry avec une sauce à l’aneth et un poêlée de légumes de saison. Il prit une pression comme boisson. Lorsque notre serveur se fut éloigné, Gabriel se pencha vers moi avec un air conspirateur et me dit en désignant mon verre presque vide de jus de tomate:

_ Tu imagines que tu bois le sang de tes patients ?

Je le dévisageais avant d’éclater de rire.

_ C’est exactement ça, tu as tout compris !

Et en caressant du bout des doigts la bouche du verre, je dit d’une voix que j’espérais grave et dramatique :

_ Le sang des vierges est mon favori….Plus elles sont jeunes, mieux c’est !

Gabriel secoua la tête clairement amusé par mes pitreries. Je m’éclaircis la gorge avant de reprendre de ma voix habituelle :

_ Tu as passé une bonne journée au travail ?

La question me sembla bête dès qu’elle eut quitté mes lèvres, mais Gabriel me répondit avec entrain. Il me raconta comment une riche vieille dame lui avait amené sa voiture qui faisait une bruit étrange dans la matinée. Gabriel avait passé une bonne partie de la journée sous la capot et sous la voiture, cherchant ce qui faisait le bruit suspect avant de se rendre compte qu’il s’agissait simplement d’un gourde un métal roulant dans le coffre. En échange, je lui racontai la conversation gênante que j’avais eu avec une patiente de 14 ans, en lui expliquant comment mettre des serviettes hygiénique. Normalement ce genre de choses était expliqué par des femmes, mais la mère avait insisté pour que ce soit moi, pour une raison obscure.

_ Tu ne devine vraiment pas pourquoi elle a insisté pour que ce soit toi ?

Je regardais Gabriel qui se retenait à grand peine de rire. Quelque chose m’échappait visiblement, mais je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait bien être. Lorsque je secouais la tête, Gabriel prit pitié de moi et m’expliqua :

_ Laisse moi deviner, la mère de ta patiente, elle est célibataire ?

En effet, Delphine Maure était divorcée, mais je ne voyais toujours pas où Gabriel voulait en venir.

_ Je pense, que cette femme t’aime beaucoup, et voudrait te voir jouer un rôle plus…important dans sa vie et celle de sa fille.

Ma bouche s’ouvrit légèrement alors que le comportement étrange de Mme Maure prenait un tout autre sens…ainsi que les rires des infirmières sur mon passage.

_ Mais je ne suis pas… Enfin je suis…

_ Gay ? m’interrompit Gabriel avec un grand sourire.

Désespéré, je hochais la tête. Gabriel haussa les épaules.

_ Et ta patiente le sait ? Je veux dire, tu es loin d’être un stéréotype et ta sexualité n’est pas écrit sur ton front.

_ Et à ton avis, je devrais faire quoi…je veux dire je ne peux pas accepter ses avances !

Gabriel rit.

_ Tu n’as qu’a mettre une photo de toi et un de tes ex en évidence sur ton bureau lors de son prochain rendez-vous. Ou un poster je suis Gay et fier de l’être sur ton mur, si jamais elle te semble un peu longue à la comprenette.

Nos plats arrivèrent à ce moment, et les instants suivants furent passés dans le silence alors que nous mangions. Une fois fini, nous passâmes à des conversations plus banales : le temps anormalement froid, les élections à venir, le fameux brexit, le pays où nous voulions aller, notre film favoris et bien d’autre encore. Au bout d’un moment, le serveur nous apporta la carte des desserts que j’examinais. Je n’étais pas un grand amateur de desserts, ou de sucré en général, mais j’avais une faiblesse pour la tarte au citron. Lorsque le serveur revint prendre notre commande, je commandais donc la tarte au citron et Gabriel prit la même chose. Contrairement à moi, je savais que Gabriel adorait les desserts en tout genre, mais plus particulièrement tout ce qui avait du chocolat à l’intérieur. Je le regardais manger sa tarte avec un plaisir évident, l’expression d’extase sur son visage apportant un sourire sur mes lèvres et provocant une certaine agitation dans mon bas-ventre.

La soirée se termina sur cette note et nous partîmes chacun de notre côté. Je proposais à Gabriel de le ramener chez lui comme j’étais en voiture, mais celui-ci refusa, avançant que les transports en commun était plus rapide. Il me laissa tout de même le déposer à une station de RER. Dès qu’il fut sortit de la voiture, Gabriel commença à me manquer.

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