Collège Gutenberg

7 minutes de lecture

Septembre 1992- Août 1996

Orvault

Gabriel et moi avions onze ans lorsque nous entrâmes au collège.

En sixième, pour la première fois, nous ne fûmes pas dans la même classe. Gabriel s’était retrouvé avec Rachel et Maël en 6ème1, alors que j’étais en 6ème3 avec le reste du groupe, sauf Quentin, qui rentrait en 4ème et qui ne nous parlait plus vraiment étant donné que nous n’étions que des petits de sixième, autrement dit des bébés.

Toutefois, même si nous n’étions pas dans la même classe et que, par conséquent, nous n’avions pas le même emploi du temps, nous nous attendions toujours pour rentrer ensemble. Le collège était à une demi-heure de marche, et nous profitions de ce moment pour parler des événements de la journée. Gabriel et moi adorions nous plaindre de nos professeurs, et de la tonne de devoirs que nous avions à faire. Même si Gabriel aurait directement pu passer en troisième et quelque que soit la dose de devoirs, il les finissait toujours en moins d’une heure. Je ne pense pas avoir vu Gabriel obtenir moins de vingt à un contrôle dans n’importe quelle matière. Je me défends pas trop mal non plus, ma moyenne générale au collège ne descendant jamais au dessous des dix-sept sur vingt. Nos amis nous surnommaient les intellos, mais ce n’étaient pas vraiment méchants, et pour le passage du brevet nous avions organisé un groupe de soutien ayant pour objectif : quinze sur vingt pour tous. Et mis à part Margaux, qui obtint treize, l’objectif fut atteint.

Mais le changement le plus notable fut le début de notre intérêt pour le beau sexe : nous commencions à parler de filles et d’amour. Comme probablement de nombreux jeunes de notre âge, Gabriel et moi eûmes notre premier baiser au tendre âge de douze ans. Et non, notre premier baiser ne fut pas ensemble, même s'il eut lieu au même moment, et avec la même fille à seulement quelques minutes d'intervalles.

C’était juste après la rentrée en 5ème, et tout notre groupe s'était donc réunis dans ma chambre, pour une soirée pyjama. Ma mère nous avait fait du popcorn et nous regardions un film, lorsque que la nouvelle du groupe, Margaux, qui était la partenaire de table de Gabriel en SVT, nous proposa de faire une partie du jeu de la bouteille.

Innocent que nous étions, nous ne savions évidemment pas en quoi consistait ce jeu, que Margaux avait vu dans une série américaine populaire de l’époque.

Suivant ses instructions, nous nous assîmes tous en cercle, alternant fille et garçon du mieux possible. Puis nous fîmes tourner une bouteille chacun à notre tour, embrassant la personne sur qui elle tombait. Le baiser n’était pas forcément sur la bouche, il pouvait être sur le nez, le front...mais si l’on tombait trois fois sur la même personne, on devait lui faire un bisou sur la bouche. Nous avions douze ans, donc le jeu resta très chaste, sans aucun débordement, mais nous nous sentions comme des grands et tout émoustillés à la simple idée d’embrasser des filles, ou des garçons, nous rendaient euphoriques.

Je partageais donc mon premier baiser avec Rachel. Et cinq minutes plus tard, Gabriel avait embrassé Rachel à son tour. Le jeu continua ainsi pendant plusieurs heures, dans les rires et les cris de dégoûts de certains jusqu'à ce que tout le monde ait embrassé tout le monde.

J’ai même embrassé Gabriel deux fois ce jour-là, enfin je l’ai embrassé sur le front une fois, et il m’a embrassé une fois sur le nez. Contrairement aux autres garçons, qui, quand ils devaient embrasser un autre garçon poussaient de grand cris, se plaignant de leurs virilités entachées, Embrasser Gabriel ne m’avait posé aucun soucis. Après tout, même en grandissant nous avions gardé l’habitude de dormir dans le même lit régulièrement. Ou sur le même canapé, blottis l’un contre l’autre. Depuis notre rencontre, Gabriel et moi avions une relation assez tactile, à toujours s’effleurer, s’assoir de façon à se toucher. Cela n’avait pas changé en grandissant. A cette époque, notre proximité me semblait normale, naturelle, car je ne connaissais rien d'autre. Mais en regardant en arrière, je me rends compte que mes sentiments pour Gabriel depassaient déjà l'amitié à cette époque.

Une autre grande découverte de nos années collège fut notre première cuite. Tous les élèves de 4ème s’étaient rendues en classe de neige pour une semaine. Je me souviens qu’à l’époque Margaux et Gabriel venait de commencer à sortir ensemble et qu'ils étaient tout le temps en train de se bécoter. Je dois dire que c’était légèrement écœurant.

Bref, nous étions tous logés dans un hôtel, type formule 1, et nous étions quatre par chambre : je partageais la mienne avec Gabriel, Guillaume et Valentin. La dernière nuit, en cachette, nous nous étions tous réunis, amenant plusieurs bouteilles d'alcools. Aucun d’entre nous n’ayant jamais goûté de l’alcool en dehors du trempage de lèvres rituel dans le verre de nos parents, nous étions ivre mort (et surtout malade) à dix heure du soir. Lorsque Gabriel commença à vomir partout de façon assez bruyante, les surveillants l'entendirent et nous fûmes collés pour un mois. Je ne pense pas avoir déjà vu mon père plus furieux que ce jour là, et les parents de Gabriel semblaient dans un état assez similaire. Comme punition, ils nous interdirent de nous voir pour toute la durée des vacances scolaire, c’est à dire deux semaines. Comme nous n’avions pas de téléphone portables à cette époque, ce fut la plus longue période que nous passions sans nous parler depuis notre rencontre, dix ans auparavant.

Pendant notre séparation forcée, je passais beaucoup de temps avec Barbara, et bientôt nous étions un couple aussi. Je dis un couple, mais c’est un bien grand mot pour décrire notre relation. Je dirais plutôt que nous étions partenaire de recherche et découverte. Je l'appréciais beaucoup, et je la considère aujourd’hui tendrement comme mon premier et dernier amour féminin. Lorsque je la revis des années plus tard, mariée et enceinte jusqu’au dents, nous passions plusieurs longues conversations à rire et à se moquer de notre sérieux et de notre relation. Bien que nous ne soyions plus très proche actuellement, je la considère toujours comme une chère amie. Lorsque nous évoquâmes nos souvenirs de cette relation, je ne ressentis rien d’autre qu’une grande tendresse et un peu de nostalgie à son égard.

Je découvrais mon homosexualité par hasard. Un jour, j’attendais Gabriel pour qu’on rentre ensemble à la maison, et je passais le temps dans une maison de la presse, juste en face du collège. Je me baladais au hasard dans les rayons, pensant à mon prochain devoirs de SVT. Et j’étais tombé sur le magazine. Je l’ai juste entraperçut, et il devait être mal rangé car il se trouvait au milieu des magazines sportifs. Sur la couverture se trouvait deux hommes nus, dans une situation on ne peut plus explicite, l’un à genou, l’autre debout. Je restais immobile, les yeux fixés sur ce magazine, incapable de me détourner, le cœur battant à tout rompre. Ce fut une révélation pour moi. Cette nuit là, seul dans mon lit, je me masturbais en pensant à ces deux hommes. Je n’avais jamais été aussi excité et jamais été aussi perdu. J’avais quatorze ans, et je venais de rentrer en 3ème. Pour la première fois de ma vie, je cachais quelque chose à Gabriel. Je savais bien sûre que l’homosexualité existait, même dans notre petit village d'Orvault, ce genre de rumeurs faisaient rage. Mais je n’aurais jamais imaginé que je pourrais l’être moi-même. L’homosexualité était une des ces choses qui n’arrivent qu’aux autres. C’était sûrement l’époque qui voulait ça, et encore je fus chanceux d’être né dans un environnement familiale très ouvert.

Un samedi après-midi, alors que Gabriel avait un entraînement de foot, je pris le bus pour me rendre à Nantes même. Je rentrais dans une librairie pour adulte, Faisant croire que je venais pour mon grand frère, et je m’achetais un magazine érotique gay. Sitôt mes achats fait, je rentrais sur Orvault, me précipitais dans ma chambre, fermant la porte à clé. Délicatement, je sortis le magazine de mon sac avant de commencer à le feuilleter. Je me retrouvais presque instantanément excité, le pantalon sur mes chevilles, la main sur mon sexe dressé.

Après cette expérience assez révélatrice, je décidais de rompre avec Barbara. Celle-ci pris la nouvelle assez bien. Et commença bientôt à sortir avec Valentin. Gabriel avait lui aussi rompu avec Margaux deux semaines auparavant, et de ce fait, nous recommencèrent bientôt à nous retrouver juste tous les deux dans notre cabanon du jardin. Nous n’avions jamais vraiment arrêté mais, chacun d'entre nous ayant une petite-amie, nous y avions passé moins de temps l’année précédente.

L’été avant mon entrée au lycée, je partis dans un voyage à vélo avec Gabriel, Barbara et Valentin. Valentin et Barbara étant en couple depuis six mois, et selon leurs dires nouvellement actifs sexuellement, ils avaient décidé de faire deux tentes de deux, au lieu de la tente de quatre prévue à l’origine.

Encore aujourd’hui, ce voyage reste un souvenir doux-amer. Je m’étais découvert des sentiments légèrement plus profond que la simple amitié pour Gabriel, et mes sentiments pour mon meilleur ami me consumaient totalement car j’étais incapable d’agir, ou de réagir. Je n'étais même pas encore sortis du placard.

Passer des nuits collé à Gabriel, qui dormait le plus souvent dans un simple caleçon, suant légèrement dans la chaleur de l’été, je dormais à peine, passant mon temps à le dévorer du regard, me faisant violence afin de ne pas le toucher. Et terrifié à l’idée que Gabriel ne remarque quelque chose de différent chez moi et ne me rejette. Pendant deux semaines, j’alternais entre le paradis et l’enfer.

C’est sur cette découverte de mon homosexualité, et de mes sentiments pour Gabriel que se terminèrent notre collège. Bientôt, nous entrerions au lycée et tout changerait.

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