École primaire des Salentines

7 minutes de lecture

Septembre 1987-Août 1992

Orvault

Beaucoup de choses changèrent lorsque nous entrâmes à l’école primaire. Ni Gabriel, ni moi n’étions allés à l’école maternelle, et pour la première fois, nous n’étions plus seulement tous les deux. Pourtant Gabriel et moi restâmes aussi proches que des frères. La mère de Gabriel était enceinte et donc très fatiguée. Ce qui fit que Gabriel passa encore plus de temps que d’habitude chez nous, pour mon plus grand bonheur.

Notre entrée à l’école primaire se fit sans heurt. L'école étant très petite, il n'y avait qu'une seule classe par niveau et ainsi, Gabriel et moi fûmes dans la même classe du CP au CM2. Gabriel étant toujours aussi actif en grandissant, ses parents l’inscrivirent dans un club de football. Quant à moi, je sun club de science. Les deux clubs avaient leurs activités le mercredi après-midi, après l’école, et bien que cela n'ait lieu qu’une seule fois par semaine, grâce à ses différentes activités, nous nous fîmes d’autres amis, chacun de notre côté. Je me souviens avoir été un peu jaloux au début, mais pas parce que Gabriel avait des amis autres que moi. Je lui enviais surtout cette capacité à se faire des amis rapidement, partout où il allait. Gabriel était comme une bougie, attirant inévitablement tous ceux qui se trouvaient dans un rayon de dix kilomètres à la ronde. Cela me prit plus de temps, mais je finis quand même par me faire des amis au club de science. Je me souviens surtout de Quentin, qui avait deux ans de plus que moi et de Rachel, qui était dans notre classe. Ainsi, nous partagions une partie de notre monde avec d’autres enfants. Parfois, Gabriel ou moi, invitions certains de nos nouveaux amis un après-midi pour jouer ensemble. Dans ces cas-là, l’autre était toujours de la partie. Ainsi Gabriel devint lui aussi ami avec Quentin et Rachel, et je rencontrais Maël, Jérôme, Valentin et Guillaume de l’équipe de foot. Bientôt, la meilleure amie d’enfance de Rachel, Barbara, nous rejoint aussi, et nous formions un bon groupe hétéroclite d’amis pour la vie, comme nous le pensions à l’époque.

Pourtant, malgré la présence de ce groupe d’amis, la relation que j’entretenais avec Gabriel restait spéciale, à part de tout le reste. Nous ne nous disputions jamais. Sans être toujours d’accord sur tout. Je connaissais Gabriel comme ma poche et je savais que Gabriel me connaissait tout aussi bien. Il a toujours été mon plus fervent supporter et j’ai toujours été son fan numéro 1. Nous n’avions pas besoin de mots pour nous comprendre, ce qui fit de nous une redoutable équipe au Taboo.

En Janvier 1989, la mère de Gabriel donna naissance à des jumelles : Marie et Colline. Les parents de Gabriel étant débordés, nous restions chez moi la plupart du temps jouant et parlant pendant des heures. En grandissant, il arrivait que Gabriel soit de corvée baby-sitting, et ces jours là, je restais avec lui, à jouer avec les jumelles. Les deux petites filles avaient les même yeux bleu que Gabriel mais elles étaient blonde comme les blé. Et malheureusement pour les parents de Gabriel, Marie et Colline avaient hérité du caractère enjoué de Gabriel.

Même si parfois nous avions des activités différentes, Gabriel m’attendait toujours le soir, pour que nous puissions rentrer ensemble. L’école primaire des Salentines étant à seulement deux pâtés de maison de notre rue, nos parents nous avaient autorisé à y aller seul, comme des grands. Comme nos parents travaillaient assez tard le soir, nous mangions souvent chez Gabriel, avec les jumelles et la nounou.

Lorsque nous étions que tous les deux, sans tous les autres, nous avions un monde à part, un monde juste à nous. Le cabanon au fond du jardin de Gabriel avait été rénové et était devenu notre quartier général. Sans même nous concerter, ni Gabriel ni moi n’avions emmené le reste du groupe dans notre cabanon, c’était notre endroit à nous. A l'intérieur, nos parents y avait mis un vieux canapé marron et une table branlante. Pour deux garçons d’une dizaines d’années, c’était un véritable paradis.

J’avais toujours su que Gabriel était intelligent. Une fois rentré à l’école, ce fut encore plus visible : personne ne pouvait égaler Gabriel dans notre classe, ou dans aucune des autres classes tous niveaux compris. Il était largement au dessus de nous tous. Par deux fois, nos maîtresses proposèrent à Gabriel de sauter une classe, mais Gabriel à toujours refuser. Il disait qu’il voulait rester avec nous, les enfants de son âge. Moi, j’étais bien content que mon meilleur ami reste avec moi et je n’y pensais pas plus que ça. Le plus surprenant à propos de l’intelligence de Gabriel était sa mémoire. Il lui suffisait de voir quelque chose pendant quelques secondes pour que son contenu soit imprimé dans son cerveau pour toujours. Évidemment, avec ce talent, Gabriel apprit à lire en quelques jours à peine. Étant légèrement dyslexique, j'eus beaucoup plus de mal que lui à apprendre. Alors, lorsque nous étions dans notre cabanon blottis sous une couverture aux motifs écossais, avec deux tasses de chocolat chaud fumantes à portée de main, Gabriel me faisait la lecture. Il me lisait tout et n’importe quoi, selon son humeur. Parfois, il me lisait des classiques, parfois des livres d’astronomie ou de cuisine. Mais ce que préférait Gabriel, c’était les maths. Il me lisait souvent des livres parlant d’obscures théories mathématiques dont je ne comprenais pas grand choses. Je ne me lassais jamais d’entendre sa voix, capable de lire des heures durant sans faiblir. Même une fois que je fus capable de lire par moi-même, je laissai Gabriel me faire la lecture. C'était une autre chose qui n’appartenait qu'à nous et j'appréciais particulièrement. Et j’aime à penser que Gabriel appréciait l’exercice autant que moi. Je serai incapable de dire le nombre de fois où je me suis endormi comme ça, la tête sur l’épaule de Gabriel. Parfois, Gabriel aussi s’endormait contre moi et nos parents devaient nous porter jusqu'à nos lits. Ou nous réveiller pour nous faire aller au lit.

A la fin du CM2, notre maîtresse nous demanda d’écrire une rédaction ayant pour sujet : Moi, dans vingt ans. Le dernier jour d’école primaire, nous devions lire nos compositions devant nos camarades de classe et devant nos parents, qui avaient été invité à venir pour l’occasion. A cette époque, j’avais déjà une idée assez précise de ce que je voulais faire plus tard : je voulais être médecin, soigner les gens. Mon oncle Jean-Jacques, le frère de ma mère, était mort d’une maladie cardio-vasculaire deux ans auparavant. Je n’avais pas vraiment connu mon oncle car il habitait en région parisienne, mais la douleur de ma mère à la mort de son frère aîné m’avait profondément touché. A neuf ans, je ne comprenais pas encore très bien la mort, mais je me souviens encore aujourd’hui des mots que ma mère avait prononcé lors de l’enterrement. Elle ne verrait plus jamais son frère. Je me souviens encore de la terreur qui m’avait envahie à ces mots. Et si je ne voyais plus jamais Gabriel? Ou mes parents? C’était une horrible pensée et je fis des cauchemars pendant plusieurs mois après ça. Afin d’y remédier, mes parents m'envoyèrent consulter un psychologue. Durant mes rendez-vous, le docteur me dit de ne pas réfléchir à ce que je ne pouvais pas changer mais plutôt à ce que je pouvais faire. C’est ainsi que l’idée de devenir médecin m’était venu et ne m’avait plus quitté. Je n’en avait parlé qu’a Gabriel, et il avait été aussi enthousiaste que moi. Il disait qu’avoir un meilleur ami médecin était trop cool.

Lors de mon passage, je pus voir des larmes couler sur le visage de ma mère et la fierté briller dans le regard de mon père.

Si je me souviens à peu près de ma rédaction, je me souviens parfaitement de celle de Gabriel. Je l’avais entendu avant le jour où nous devions les lire tout haut, car nous les avions rédigées en même temps dans notre cabanon.

Bonjour tout le monde,

Mon nom est Gabriel Blanc, de la classe de CM2 .

Aujourd’hui je vais vous parler de moi, comme je serai dans vingt ans.

Dans vingt ans, je construirais des fusées. Je ferai des études d’ingénieur et je travaillerai pour l’ESA, et je construirai des fusées pour aller voir les étoiles.

Dans vingt ans, mes sœurs auront vingt-six ans, et quand elles se marieront je serai au premier rang. Avec l’argent que je gagnerai, j’enverrai mon papa et ma maman en voyage sur la lune dans une de mes fusée. Ou à Hawaï, s'ils ont peur d’aller dans l’espace.

Dans vingt ans, j’aurais trente ans, et j'espère que j’aurais une femme qui cuisine aussi bien que ma maman, et des enfants aussi mignon qu'Alexandre.

Je ne sais pas pourquoi, mais les mots de Gabriel sont restés gravés dans mon cœur. Je ne me doutais pas de ce que nous réservait l’avenir à ce moment. Je pensais juste que Gabriel et moi allions grandir côte à côte, amis pour toujours. Je pensais que j’allais devenir médecin et que Gabriel allaient devenir constructeur de fusée et que le soir, nous nous retrouverions toujours dans notre cabanon pour boire un chocolat chaud en se racontant notre journée au travail.

Et c’est ainsi que nos années à l’école primaire s’achevèrent.

Annotations

Vous aimez lire AnemaryColin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0